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02/02/2021 | FRANCE | N°19PA02828

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 02 février 2021, 19PA02828


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2019 par lequel le préfet de l'Yonne l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1900624 du 22 mars 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

:

Par une requête et un mémoire enregistrés les 27 août 2019 et 21 janvier 2020, M. C..., r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2019 par lequel le préfet de l'Yonne l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1900624 du 22 mars 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 27 août 2019 et 21 janvier 2020, M. C..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 22 mars 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Yonne du 11 janvier 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à son conseil, en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les procédures de vérification des actes d'état civil prévues par le décret du 24 décembre 2015 et par les dispositions de l'article R. 221-11 alinéa 7 du code de l'action sociale et des familles n'ont pas été respectées ; le rapport d'évaluation des documents produits par M. C... est incohérent et les vérifications menées ont manqué de sérieux ; dans ces conditions, le préfet ne pouvait renverser la présomption d'authenticité desdits documents, qui établissent sa minorité ;

- il s'est vu délivrer un passeport biométrique sur production des documents dont l'authenticité est contestée ;

- le procès-verbal d'investigation établi le 11 janvier 2019, sur lequel s'est fondé le préfet pour estimer qu'il était majeur, a été dressé de manière sommaire et en méconnaissance de l'arrêté du 17 novembre 2016 pris en application du décret n° 2016-840 du 24 juin 2016 relatif aux modalités de l'évaluation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ;

- son refus de se soumettre à un examen osseux n'est pas établi ; les résultats de cet examen n'auraient pas eu de valeur probante ;

- le préfet de l'Yonne a méconnu les dispositions de l'article L. 511-4 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il était mineur de dix-huit ans ;

- l'arrêté du 11 janvier 2019 a été pris en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 décembre 2019, le préfet de l'Yonne, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par une décision du 15 juillet 2019, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. C....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;

- l'arrêté du 17 novembre 2016 pris en application du décret n° 2016-840

du 24 juin 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les observations de Me D..., représentant le préfet de l'Yonne.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., de nationalité ivoirienne, déclare être entré en France en 2019 alors qu'il était encore mineur ; il s'est présenté aux services de l'aide sociale à l'enfance le 8 janvier 2019. Par un arrêté du 11 janvier 2019, le préfet de l'Yonne l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. C... relève appel du jugement du 22 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes du II de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles : " II. -Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. (...) le président du conseil départemental peut également solliciter le concours du préfet de département (...) pour vérifier l'authenticité des documents détenus par la personne ". Il résulte de ces dispositions que la saisine du préfet de département est une faculté dont dispose le président du conseil départemental et ne saurait constituer une exigence procédurale dont la méconnaissance serait susceptible d'être invoquée à l'encontre de la décision en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une mesure de reconduite à la frontière en application du présent chapitre : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans ; (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

5. Le préfet de l'Yonne a estimé que M. C... était majeur au vu d'un faisceau d'indices constitué par les conclusions de l'évaluation menée le 10 janvier 2019 par le service d'évaluation des mineurs non accompagnés, les déclarations de l'intéressé lors de son audition par un officier de police judiciaire le 11 janvier 2019, l'examen par un analyste en fraude documentaire des documents d'état civil présentés par M. C..., ainsi que le refus de ce dernier de se soumettre à un examen radiologique osseux. L'intéressé ne peut utilement soutenir que chacun de ces éléments revêtirait un caractère insuffisant dès lors qu'il ressort de l'arrêté contesté que le préfet a considéré qu'ils devaient être regardés comme un ensemble d'indices concordants et a porté à leur égard une appréciation globale.

6. À l'appui de sa demande de prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance, M. C... a produit un certificat de nationalité ivoirienne établi le 23 octobre 2018 ainsi qu'un extrait du registre des actes de l'état civil pour l'année 2016 et une copie intégrale du registre des actes de l'état civil pour l'année 2016 établis le 18 octobre 2016, selon lesquels il est né le 31 juillet 2002. Contrairement à ce que soutient M. C..., la démarche comparative menée par l'analyste en fraude documentaire saisi par l'administration par rapport aux documents répertoriés notamment par les services de la direction centrale de la police aux frontières est suffisamment explicitée dans le procès-verbal d'investigation versé par le préfet de l'Yonne. Cet examen a permis de montrer, notamment du fait de la technique d'impression noire bureaucratique de type xérographie employée pour les documents présentés par l'intéressé, alors que les documents de comparaison présentent une impression couleur professionnelle de type offset, que l'extrait de l'acte de naissance et le registre des actes de l'état civil pour l'année 2016 sont des faux. Dès lors qu'en dépit de son authenticité, le certificat de nationalité de l'intéressé avait été établi à partir de documents contrefaits, c'est sans incohérence que l'analyste en fraude documentaire a pu émettre un avis défavorable concernant ce document. Dans ces conditions, les mentions du certificat de nationalité, relatives notamment à l'âge de l'intéressé, ne présentent aucune garantie d'authenticité.

7. Le rapport dressé par le service d'évaluation des mineurs non accompagnés, qui comprend plusieurs parties exposant chacune les réponses détaillées de M. C... ainsi que l'analyse de l'évaluateur, indique de manière suffisamment étayée les imprécisions et incohérences du parcours migratoire de l'intéressé. Celles-ci portent notamment sur des informations relatives à son enfance, concernant sa scolarité ou l'absence de ressources de l'oncle qui le prenait en charge en Côte d'Ivoire, lui a fourni un téléphone portable et a organisé son voyage pour la France, mais aussi sur des indications concernant l'impossibilité de joindre ses proches en raison de la casse de son téléphone durant la traversé de la Méditerranée, alors que ce téléphone a été utilisé en Espagne lorsque l'intéressé a contacté son oncle pour l'envoi de ses documents d'état civil.

8. En outre, si M. C... soutient que le procès-verbal d'investigation d'âge apparent dressé par les services de police est trop sommaire, ce dernier a seulement pour objet de présenter une description physique de l'intéressé, accompagnée de photographies permettant de compléter l'appréciation portée sur l'âge de l'intéressé en lien avec les autres éléments recueillis par l'administration. Enfin, si le requérant conteste avoir refusé de se soumettre à un examen radiologique osseux sur proposition des services de police, les éléments qu'il fait valoir ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère effectif de ce refus, attesté par le procès-verbal de l'officier de police judiciaire informant l'autorité judiciaire dudit refus. En particulier, la circonstance que ce procès-verbal a été dressé à une heure durant laquelle l'intéressé était censé se trouver en temps de repos, n'est pas de nature à remettre en cause la véracité du constat de ce refus. M. C... ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'arrêté du 17 novembre 2016 pris en application du décret du 24 juin 2016 pour contester le procès-verbal d'investigation du 11 janvier 2019 dès lors que ces dispositions sont seulement applicables à l'évaluation menée en application des dispositions de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles. En tout état de cause, en se bornant à soutenir que les agents du service de gendarmerie d'Avallon auraient agi " en dehors de tout cadre légal ", le requérant n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations permettant d'en apprécier le bien-fondé.

9. Dès lors, les moyens tirés de ce que le rapport d'évaluation et le rapport d'investigation auraient été émis au terme de procédures irrégulières et seraient insuffisamment probants doivent être écartés. De même, il ne ressort ni de ces rapports, qui présentent un caractère circonstancié, ni des autres pièces du dossier que le préfet de l'Yonne n'aurait pas procédé à un examen sérieux et personnalisé de la situation de M. C....

10. Dans ces conditions, en l'absence de toute autre pièce au soutien de ses allégations ou d'éléments de nature à confirmer la réalité de l'âge qu'il prétend avoir, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le préfet a estimé que son état civil, impliquant la condition d'âge induite par les dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'était pas établi. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.

11. En troisième lieu, en vertu de l'article 1er du décret susvisé n° 2015-1740 du

24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet (...) ". Contrairement à ce que soutient M. C..., ces dispositions n'imposent pas à l'administration française de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre Etat afin d'établir qu'un acte civil présenté comme émanant de cet Etat est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 à 10 que, compte tenu des indices concordants recueillis, le préfet de l'Yonne pouvait, sans avoir à solliciter les autorités ivoiriennes, conclure à l'absence d'authenticité des documents d'état civil présentés par M. C....

12. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. M. C... soutient qu'il a établi de manière définitive sa vie privée en France, pays qui constitue son " cadre habituel d'existence " protégé par les stipulations précitées. Toutefois, eu égard à la très faible durée de séjour en France de l'intéressé, entré sur le territoire national début janvier 2019 selon ses déclarations, et à la circonstance qu'il est célibataire et sans charge de famille, l'arrêté attaqué du 11 janvier 2019 n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris. Le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de l'Yonne.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2021 à laquelle siégeaient :

- M. E..., premier vice-président,

- M. Bernier, président-assesseur,

- Mme B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2021.

Le rapporteur,

G. B...Le président,

M. E...Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : MAIRE

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 02/02/2021
Date de l'import : 16/03/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19PA02828
Numéro NOR : CETATEXT000043141551 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-02-02;19pa02828 ?
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