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20/01/2021 | FRANCE | N°20PA03257

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 20 janvier 2021, 20PA03257


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... G... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 26 février 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Libella.

Par un jugement n°2007994 du 8 septembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une req

uête enregistrée le 6 novembre 2020, et un mémoire enregistré le

21 décembre 2020, Mme D....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... G... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 26 février 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Libella.

Par un jugement n°2007994 du 8 septembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 6 novembre 2020, et un mémoire enregistré le

21 décembre 2020, Mme D... G..., représentée par Me F..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 septembre 2000 ;

2°) d'annuler la décision du 26 février 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Libella ;

3°) de mettre à la charge de la société Libella la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Libella n'a pas fourni au comité social et économique et à l'administration l'ensemble des données et informations économiques et financières relatives à la situation du groupe ; en particulier, aucun élément n'est fourni s'agissant la société-mère et les filiales étrangères du groupe ; par ailleurs, les données financières s'arrêtent à 2018 alors que la situation s'est redressée en 2019 et 2020 ; la base de données économiques et sociales prévue par les articles L. 2312-18 et L. 2312-36 n'a pas été communiquée au comité social et économique ;

- l'administration n'a pas évalué les risques psycho-sociaux ;

- les catégories socio-professionnelles établies par la société Libella sont artificielles ; il en va particulièrement ainsi des catégories " maquettes ", " photocomposition " et " fabrication " d'une part, " marketing opérationnel " et " directeur marketing " d'autre part, en vue d'évincer certains salariés et de préserver l'emploi de certains autres ;

- le critère des qualités professionnelles n'a pas été pris en compte alors qu'aucun élément objectif ne s'y opposait et qu'il existe dans l'entreprise un système d'évaluation des salariés, et la prise en compte des absences injustifiées ne saurait s'y substituer ;

- la modification du contrat de travail que lui a proposée l'employeur, qui impliquait un transfert de son poste d'Arles à Paris ne répond à aucun motif objectif ; les activités de maquettistes sont souvent sous-traitées et leur centralisation à Paris n'étant qu'une explication fallacieuse ; l'application d'un critère géographique vise uniquement à permettre son licenciement ;

- le plan ne comporte aucune mesure de reclassement et le contrôle sur son exécution est insuffisant ;

- le nombre de salariés à licencier a été dissimulé et l'autorisation de l'administration a été obtenue par fraude.

Par un mémoire enregistré le 8 décembre 2020, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la décision est suffisamment motivée au regard des exigences de la jurisprudence ;

- l'employeur a fourni des informations suffisantes et l'administration n'a pas à apprécier le caractère économique du licenciement ni à contrôler la remise des documents au titre des orientations stratégiques ni la base de données économiques et sociales ;

- les risques psycho-sociaux ont fait l'objet d'une évaluation ;

- la détermination des catégorises socio professionnelles a fait l'objet de discussions approfondies au sein de l'entreprise et ne présente pas de caractère discriminatoire ;

- les entretiens annuels n'avaient pas vocation à se prononcer sur la valeur professionnelle et ils ne sont d'aucune utilité pour l'apprécier ;

- Mme G... s'est vu offrir la possibilité de travailler comme maquettiste à Paris dans le cadre d'un studio graphique unique ; il n'appartient pas à l'administration de se prononcer sur le bien-fondé des mesures de réorganisation ; les critères d'ordre n'avaient pas lieu de s'appliquer ;

- le contrôle a porté sur les moyens du groupe dans son ensemble et sur les possibilités de reclassement en France ;

- la fraude n'est pas établie et les départs dont il est fait état sont postérieurs à l'homologation du plan.

Par un mémoire enregistré le 16 décembre 2020, la société Libella, représentée par le cabinet Racine conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge de Mme G... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que

- le contrôle du motif économique et de la mise en oeuvre du plan ne relève que de la seule juridiction judiciaire ;

- le périmètre d'appréciation du motif économique étant limité au territoire national, les orientations stratégiques du groupe échappant au contrôle de l'administration, et la remise de la base de données économique et sociale n'étant pas une des conditions de la régularité de la procédure, les informations fournies étaient suffisantes ;

- la prise en compte des risques psycho-sociaux a fait l'objet d'un document ;

- la détermination des catégories professionnelles a fait l'objet de longues négociations, et elle répond aux particularités d'une petite entreprise qui associe des métiers très variés, distincts, comportant des postes non interchangeables ;

- les entretiens annuels ne pouvaient pas être exploités pour apprécier les qualités professionnelles ;

- si, en application des critères d'ordre, Mme G... n'avait pas vocation à être licenciée, la suppression du poste à Arles, qui relève du pouvoir d'organisation de l'entreprise a été discutée, expressément prévue par le plan et soumise au contrôle de l'administration ;

- les mesures d'accompagnement correspondent aux moyens du groupe dont toutes les composantes sont déficitaires de manière permanente ;

- le nombre de suppression d'emplois annoncé a été respecté.

La clôture de l'instruction est intervenue le 23 décembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... ;

- les conclusions de Mme Péna, rapporteur public ;

- les observations de Me F..., représentant Mme G... ;

- et les observations de Me A..., substituant Me E..., représentant la société Libella.

Une note en délibéré a été présentée le 7 janvier 2021 pour Mme G....

Une note en délibéré a été présentée le 19 janvier 2021 pour la société Libella.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée Libella, qui regroupe les éditions Buchet Chastel, Phébus, Libretto, Delpire éditeur, les éditions Photosynthèses et Le Temps apprivoisé, est spécialisée dans l'édition de livres. En février 2020, la société comptait 78 salariés, dont 76 en contrat à durée indéterminée et 2 en contrat à durée déterminée. Par une décision du 26 février 2020, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de cette société portant sur la suppression de 16 postes. Mme G..., qui exerçait les fonctions de technicienne de fabrication et concepteur graphique au sein de l'établissement d'Arles de la société Libella, a, le 23 mars 2020, refusé la modification de son contrat de travail, proposée par lettre du 3 mars 2020, qui portait sur le transfert de son lieu de travail à Paris. A la suite de ce refus et en l'absence de possibilité de reclassement, la société Libella a, le 30 avril 2020, notifié à Mme G... son licenciement pour motif économique. Mme G..., qui justifie de son intérêt pour agir a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi du 26 février 2020. Elle relève appel du jugement du 8 septembre 2020 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur le moyen tiré de l'insuffisance des informations fournies au comité économique et social :

2. Lorsqu'elle est saisie par un employeur d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail et fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise, ou du comité social et économique, a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'homologation demandée que si le comité a été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi. A ce titre, il appartient à l'administration de s'assurer que l'employeur a adressé au comité tous les éléments utiles pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation.

3. Il ressort des pièces du dossier que le document relatif au projet de réorganisation et de compression des effectifs de la société Libella remis aux membres du comité social et économique le 20 novembre 2019 fait une présentation du groupe Libella auquel appartient la société et contient les informations économiques et financières relatives à la situation du groupe en France, y compris des trois filiales de la société Libella - Les Cahiers dessinés, Les Editions Noir sur Blanc et la Librairie polonaise à Paris - et de la société Au Diable Vauvert. Ce document comporte également une analyse économique du secteur de l'édition et des enjeux auxquels est confrontée la société Libella. Le document a été remis à l'expert désigné par le comité social et économique qui a présenté son rapport au cours de la réunion du 27 janvier 2020. Il ne ressort d'aucun texte, et en particulier pas de l'article L. 1233-31 du code du travail, que l'employeur, qui doit faire connaitre aux représentants du personnel la ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement, doive dans le cadre de cette information leur communiquer des données relatives aux moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe. Enfin, les comptes de l'exercice clos en 2019, qui n'ont été définitivement finalisés qu'en juin 2020, ne pouvaient pas être remis au comité social et économique à la date à laquelle il a examiné le projet de plan. Il n'est pas établi que la situation de l'entreprise se serait substantiellement améliorée en 2019 et que les instances représentatives du personnel auraient délibéré au vu de données qui n'étaient plus d'actualité et susceptibles de les induire en erreur.

4. Si Mme G... soutient qu'en l'absence de telles informations fournies aux instances représentatives du personnel, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi n'était pas en mesure d'exercer la plénitude de son contrôle, d'une part cette considération est sans rapport avec le moyen qu'elle soulève qui porte sur l'insuffisance de l'information fournie au comité social et économique lors qu'il a été amené à formuler un avis sur le plan de sauvegarde de l'emploi. Par ailleurs, la circonstance que l'administration n'aurait pas disposé lorsqu'elle a été saisie en février 2020 d'informations financières actuelles et mises à jour sur la situation de la société qui aurait pu s'améliorer en 2019 est indifférente dès lors que l'administration n'a pas à se prononcer, lorsqu'elle statue sur une demande d'homologation d'un document fixant un plan de sauvegarde de l'emploi, sur le motif économique du projet de licenciement collectif, dont il n'appartient qu'au juge du licenciement, le cas échéant ultérieurement saisi, d'apprécier le bien-fondé.

5. Par ailleurs, il ne résulte d'aucune disposition du code du travail que la base de données économiques et sociales mentionnée par les dispositions des articles L. 2312-18 et

L. 2312-36 du code du travail doive être mise à jour et transmise au comité social et économique à l'occasion de la procédure d'information et de consultation se tenant lorsque l'employeur envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique d'au moins dix salariés, une telle procédure ne pouvant être regardée comme une procédure récurrente au sens de l'article L. 2312-18. La circonstance que le comité social et économique n'ait pas été amené à débattre en 2019 sur les orientations stratégiques de l'entreprise ne révèle pas en elle-même que l'ensemble des éléments qui lui ont été fournis lors de l'examen du plan de sauvegarde pour l'emploi auraient été insuffisants pour qu'il puisse exprimer un avis éclairé sur ce plan.

6. Enfin, le plan remis aux instances représentatives comporte en page 29 et 30 les dispositions prévues pour l'identification et la prévention des risques psychosociaux pour lesquels l'employeur a fait appel à une structure externe de soutien appelée Qualisocial sur laquelle tous les éléments utiles sont fournis. Il ressort de la motivation de la décision contestée que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi s'est assuré de ce que le comité social et économique en avait délibéré lors de sa séance du 7 février 2020. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les éléments fournis et le contenu du plan auraient été insuffisants sur ce point.

7. Dans ces conditions, Mme G... n'est pas fondée à soutenir que le comité social et économique n'aurait pas disposé de tous les éléments utiles - notamment les éléments d'ordre économique - lui permettant de formuler ses avis en toute connaissance de cause.

Sur le moyen tiré du caractère arbitraire de la définition des catégories professionnelles :

8. Aux termes de l'article L. 1233-24-2 du code du travail : " L'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 porte sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233 63. / Il peut également porter sur : / 1° Les modalités d'information et de consultation du comité social et économique (...) ; / 2° La pondération et le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements mentionnés à l'article L. 1233-5 ; / 3° Le calendrier des licenciements ; / 4° Le nombre de suppressions d'emploi et les catégories professionnelles concernées ; / 5° Les modalités de mise en oeuvre des mesures de formation, d'adaptation et de reclassement prévues à l'article L. 1233-4 ". L'article L. 1233-57-3 du même code prévoit qu'en l'absence d'accord collectif, ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° : " (...) l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2 (...) ".

9. En vertu de ces dispositions, il appartient à l'administration, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'homologation d'un document qui fixe les catégories professionnelles mentionnées au 4° de l'article L. 1233-24-2 cité ci-dessus, de s'assurer, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis, notamment des échanges avec les représentants du personnel au cours de la procédure d'information et de consultation ainsi que des justifications qu'il appartient à l'employeur de fournir, que ces catégories regroupent, en tenant compte des acquis de l'expérience professionnelle qui excèdent l'obligation d'adaptation qui incombe à l'employeur, l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune. Au terme de cet examen, l'administration refuse l'homologation demandée s'il apparaît que les catégories professionnelles concernées par le licenciement ont été déterminées par l'employeur en se fondant sur des considérations, telles que l'organisation de l'entreprise ou l'ancienneté des intéressés, qui sont étrangères à celles qui permettent de regrouper, compte tenu des acquis de l'expérience professionnelle, les salariés par fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune, ou s'il apparaît qu'une ou plusieurs catégories ont été définies dans le but de permettre le licenciement de certains salariés pour un motif inhérent à leur personne ou en raison de leur affectation sur un emploi ou dans un service dont la suppression est recherchée.

10. Il ressort des pièces du dossier qu'alors que le projet initial de la société Libella comportait 35 catégories professionnelles, ce nombre a été réduit à 26 au terme des dix réunions d'information et de consultation qui se sont tenues au sein du comité social et économique, et que le nombre de catégories professionnelles constituées d'un seul salarié est passé de 27 à 12. Au terme de ces échanges, le seul différend qui subsistait entre la direction et les instances représentatives portait sur le refus de l'employeur d'intégrer le poste de directeur marketing dans la catégorie professionnelle du " management commercial ". Mme G... fait valoir néanmoins qu'en dépit du rapprochement des positions intervenu en cours de négociation, les catégories professionnelles ont été arbitrairement déterminées entre la direction et les instances représentatives sur la base de critères artificiels ne correspondant pas à la réalité des taches, en vue de favoriser le départ de certains salariés et de permettre le maintien de ceux que l'on tendait conserver. La société Libella justifie pour sa part le nombre de catégories professionnelles par sa taille relativement modeste et la diversification des métiers en son sein, qui englobe la totalité des métiers de l'édition.

11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les fonctions liées au markéting tendent à l'analyse du marché, à la valorisation d'un livre dans le cadre d'actions de communication et de promotion notamment par la publicité. Elle se distinguent donc des actions de commercialisation qui portent sur la négociation des contrats avec les distributeurs et les libraires, la relation avec les réseaux de diffusion, et la direction des équipes de vente. La distinction entre le markéting et la commercialisation opérationnelle n'est donc pas artificielle et les fonctions, qui ne sont pas de même nature et qui requièrent des aptitudes différentes, ne sauraient être confondues.

12. En second lieu, il ressort également des pièces du dossier que les postes de la catégorie " maquette " qui mobilisent des aptitudes de conception relèvent de la filière artistique. Ils ne sauraient dès lors être confondus avec les catégories qui relèvent de la filière fabrication. Ces derniers, et notamment le poste de fabricant pré-presse de la catégorie gestion de presse, celui de technicien d'édition de la catégorie photocomposition, et celui de technicien de fabrication de la catégorie fabrication, portent respectivement sur la supervision du travail des correcteurs qui s'assurent du respect de l'orthographe, de la syntaxe et de la grammaire, sur la mise en page des épreuves de texte sur support numérique, et sur le suivi de la fabrication depuis la remise du manuscrit jusqu'à l'imprimeur. Ces taches, de conception pour les unes, d'exécution pour les autres, qui relèvent de spécialités différentes et reposent sur une formation et une expérience différentes ne sont pas interchangeables.

13. En troisième lieu, et s'il est vrai que la détermination de catégories, surtout quand elles ne comprennent qu'une personne, est susceptible d'avoir des incidences sur la préservation d'un poste et d'affecter les critères d'ordre d'éventuels licenciements, il ne ressort pas des pièces du dossier que les catégories professionnelles que critique Mme G... auraient été définies dans le but de permettre le licenciement de certains salariés pour un motif inhérent à leur personne ou en raison de leur affectation sur un emploi ou dans un service dont la suppression est recherchée, ni que le découpage anticiperait la future organisation de l'entreprise telle qu'elle était projetée. Au demeurant, le licenciement économique dont la requérante a fait l'objet résulte non de l'application des critères d'ordre au sein de la catégorie professionnelle " maquette " mais de son refus d'une modification de son contrat de travail et de l'absence de possibilité de reclassement.

14. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du caractère arbitraire de la détermination des catégories professionnelles doit être écarté.

Sur la contestation des critères d'ordre des licenciements :

15. Aux termes de l'article L. 1233-5 du code du travail : " Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique. / Ces critères prennent notamment en compte : / 1° Les charges de famille, en particulier celle des parents isolés ; / 2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ; / 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ; / 4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie. / L'employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus au présent article. (...) ".

16. Il résulte de la lettre même de ces dispositions qu'en l'absence d'accord collectif en ayant disposé autrement, l'employeur qui procède à un licenciement collectif pour motif économique est tenu, pour déterminer l'ordre des licenciements, de se fonder sur des critères prenant en compte l'ensemble des critères d'appréciation mentionnés aux 1° à 4° ci-dessus. Par suite, en l'absence d'accord collectif ayant fixé les critères d'ordre des licenciements, le document unilatéral de l'employeur fixant le plan de sauvegarde de l'emploi ne saurait légalement fixer des critères d'ordre des licenciements qui omettraient l'un de ces quatre critères d'appréciation ou neutraliseraient ses effets. Il n'en va autrement que s'il est établi de manière certaine, dès l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, que, dans la situation particulière de l'entreprise et pour l'ensemble des personnes susceptibles d'être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour le critère d'appréciation en question ne pourra être matériellement mise en oeuvre lors de la détermination de l'ordre des licenciements.

17. Pour apprécier les qualités professionnelles, le document unilatéral retient le nombre de jours d'absence injustifiée au cours des vingt-quatre mois précédant la date d'application des critères d'ordre en attribuant deux points au salarié qui n'a eu aucune absence injustifiée, un point à celui qui a eu une absence injustifiée et aucun point à celui qui a eu plus d'une absence injustifiée. Si la société Libella organise la tenue d'entretiens annuels d'évaluation pour ses salariés, il ressort des pièces du dossier, notamment des comptes rendus d'entretien fournis par la société et par Mme G..., que ces documents, qui se bornent à rappeler les taches réalisées en cours d'année et à esquisser celles prévues l'année à venir ainsi qu'à consigner les souhaits du salarié en matière de formation, ne contiennent aucune évaluation formalisée par le responsable hiérarchique de la valeur professionnelle du salarié et de ses résultats. Par ailleurs, il n'est pas contesté qu'il n'existe aucune méthodologie commune pour la conduite de ces entretiens, et que ceux-ci, qui se tiennent selon des modalités très variables, se traduisent souvent par la seule expression du salarié sur le ressenti de son action et sur ses attentes. Dès lors en l'absence de tout élément écrit qui permettrait une évaluation qualitative de la manière dont le salarié accomplit les taches qui lui sont confiés et qui permettrait le cas échéant une comparaison objective, la société Libella doit être regardée comme dépourvue de système d'évaluation exploitable susceptible de permettre la prise en compte des qualités professionnelles de ses salariés, appréciées par catégorie. Cette carence est objective et certaine et elle a été constatée par les instances représentatives du personnel dès le début des consultations. En l'absence de meilleure alternative, qui n'a été à aucun moment envisagée par l'employeur ou le comité social et économique, le plan pouvait retenir le critère des absences injustifiées, qui n'est pas neutre en lui-même, alors même qu'en l'espèce il n'existe pas de différence sensible dans l'assiduité des salariés.

Sur le moyen tiré de l'existence d'une mesure spécifique destinée à provoquer son licenciement :

18. En premier lieu, le document relatif au projet de réorganisation et de compression des effectifs de la société Libella remis aux représentants du personnel a été communiqué au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France. Ce document fait état du projet de disposer d'un studio graphique unique à Paris et, en conséquence, de supprimer le poste de technicienne de fabrication et concepteur graphique à Arles, poste qui était occupé par Mme G.... Il précise également que, dans l'hypothèse où l'application des critères d'ordre ne conduirait pas à désigner la salariée, il lui serait proposé une modification de son contrat de travail transférant son lieu de travail de Arles à Paris et qu'en cas de refus de cette modification et à défaut de possibilité de reclassement, la salariée ferait l'objet d'un licenciement économique. Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, la suppression de son poste et la proposition qui lui a été faite de modifier son contrat de travail figuraient dans le projet de restructuration de l'entreprise et l'administration, qui disposait de toutes les informations relatives à cette mesure, a pu exercer pleinement son contrôle.

19. En second lieu, l'employeur a entendu dans le cadre de son pouvoir d'organisation de l'entreprise regrouper les maquettistes à Paris en vue de permettre une meilleure gestion de la charge de travail. Il n'appartient pas à l'administration de se prononcer sur le bien-fondé intrinsèque d'une telle mesure d'organisation dont il n'est pas établi, par ailleurs, qu'elle cible spécifiquement Mme G... et qu'elle n'aurait été retenue que pour provoquer de sa part un refus de modification de son contrat de travail qui l'exposait à un licenciement.

20. Enfin, Mme G... n'a pas été licenciée par application des critères d'ordre mais en raison de la suppression du poste de concepteur graphique à Arles du fait du regroupement des activités du studio graphique à Paris et de son refus d'accepter une modification de son contrat de travail. La circonstance que cette modification portait sur le lieu de travail et celle que la suppression du poste dans la catégorie professionnelle " maquette " n'a en définitive pas procédé de l'application des critères d'ordre ne sauraient révéler l'ajout d'un critère géographique pour l'ordre des licenciements ni une manoeuvre de l'employeur pour provoquer son départ.

Sur le caractère suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi :

21. D'une part, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier la conformité de ce document et du plan de sauvegarde de l'emploi dont il fixe le contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles applicables, en s'assurant notamment du respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du même code. A ce titre elle doit, au regard de l'importance du projet de licenciement, apprécier si les mesures contenues dans le plan sont précises et concrètes et si, à raison, pour chacune, de sa contribution aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à ces objectifs compte tenu, d'une part, des efforts de formation et d'adaptation déjà réalisés par l'employeur et, d'autre part, des moyens dont disposent l'entreprise et, le cas échéant, l'unité économique et sociale et le groupe.

22. D'autre part, aux termes de l'article L. 1233-61 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. / Ce plan intègre un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement sur le territoire national des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-62 du même code : " Le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit des mesures telles que : / 1° Des actions en vue du reclassement interne sur le territoire national (...) ". Il résulte de ces dispositions les mesures de reclassement interne prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi sont limitées au territoire national.

23. Il ressort du livre II du document unilatéral soumis au contrôle de l'administration que si le groupe Libella est contrôlé par une maison mère de droit suisse, ses activités d'édition et de distribution, assurées par six entreprises (maisons d'édition et librairies) dépendant de la société française Libella SAS, se concentrent en France et que les activités en Pologne, exercées notamment au travers de la société française Noir sur Blanc présentent un caractère subsidiaire. Ce document comportait des données suffisantes sur la structuration du groupe. Il ressort également des pièces du dossier, d'une part, que la société Libella connaît un déficit structurel depuis quinze ans, accentué depuis cinq ans par l'accroissement des charges d'exploitation et s'élevant en 2019 à plus de 12 millions d'euros, d'autre part, que la société Libella est lourdement endettée, enfin, que les filiales de la société ainsi que les autres sociétés du groupe en France et à l'étranger sont également toutes en situation de déficit depuis plusieurs années. Il ne saurait se déduire de l'embauche récente de certains cadres que la société ou le groupe seraient plus prospères que ne l'indiquent les données financières, ni d'aucune pièce du dossier que la situation se serait redressée en 2019.

24. Il ressort des pièces du dossier que le projet de licenciement de la société Libella porte sur 16 postes pour un effectif total de 78 salariés. Le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit la mise en place d'une cellule de reclassement ainsi qu'une aide financière à la mobilité géographique, le financement de formations d'adaptation et de reconversion, cette aide étant renforcée pour les salariés considérés comme vulnérables du fait de leur âge, de leur situation de handicap ou de maladie professionnelle et de leur situation de parents isolés, le versement d'une indemnité différentielle de salaire en cas de baisse de rémunération et un soutien à la création d'entreprise sous la forme d'une aide financière et d'une formation à la gestion d'entreprise. Le plan prévoit aussi le versement d'une indemnité additionnelle de licenciement venant s'ajouter à l'indemnité légale ou conventionnelle. Le coût total de ce plan a été estimé à 1,4 million d'euros. S'agissant du reclassement interne que la société n'était tenue de proposer que sur le territoire national, le plan de sauvegarde de l'emploi indique que la liste des postes disponibles au sein du groupe en France sera diffusée aux salariés. Si le plan de sauvegarde de l'emploi fait état de ce que, à la date à laquelle il a été rédigé, aucun poste de reclassement interne n'est disponible en France, il ne saurait être déduit de cette seule circonstance que les mesures du plan seraient insuffisantes dès lors que, prises dans leur ensemble, elles sont de nature à satisfaire aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, compte tenu des moyens dont disposent la société Libella et le groupe auquel elle appartient. Par suite, en homologuant ce plan, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France n'a pas méconnu les dispositions des articles L. 1233-61 à

L. 1233-63 du code du travail.

Sur les allégations de fraude :

25. D'une part, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la société Libella aurait délibérément minoré le nombre de suppressions de postes dans le document unilatéral soumis à l'administration, un tel agissement ne pouvant être déduit du seul fait que, postérieurement à l'homologation, des salariés ont quitté l'entreprise dans le cadre d'une rupture conventionnelle individuelle. Par suite, Mme G... n'est pas fondée à soutenir que la décision d'homologation attaquée aurait été obtenue par fraude et devrait être retirée.

26. D'autre part, ainsi que l'ont relevé également les premiers juges, à les supposer établies, les circonstances, postérieures à la décision d'homologation, que l'employeur aurait supprimé plus de postes que ceux annoncés dans le document unilatéral, n'aurait pas effectué la suppression de poste prévue dans la catégorie professionnelle " management commercial " et aurait procédé à des recrutements externes sont sans incidence sur la légalité de la décision d'homologation attaquée.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mis à la charge de la société Libella, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions que présente la société Libella sur le même fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme G... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Libella présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... G..., à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à la société Libella.

Copie en sera adressée au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- M. C..., premier vice-président,

- M. B..., président assesseur,

- Mme Jayer, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 janvier 2021.

Le rapporteur,

Ch. B...Le président,

M. C...

Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

2

N° 20PA03257


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA03257
Date de la décision : 20/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07 Travail et emploi. Licenciements.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : GHNASSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 30/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-01-20;20pa03257 ?
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