La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/01/2021 | FRANCE | N°19PA03917

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 19 janvier 2021, 19PA03917


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société MHD K... G... et Sons Co, la société MHK Import et Export Co, la société Steelor company, M. F... G..., M. B... G..., Mme J... G..., M. F... I... G..., et M. A... G... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 18 janvier 2018, prise en application des articles L. 562-3 et suivants du code monétaire et financier, par laquelle le ministre de l'économie et des finances a imposé une mesure de gel de leurs fonds, instruments financiers et ressources économiques et i

nterdisant les mouvements ou transferts de fonds, instruments financiers e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société MHD K... G... et Sons Co, la société MHK Import et Export Co, la société Steelor company, M. F... G..., M. B... G..., Mme J... G..., M. F... I... G..., et M. A... G... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 18 janvier 2018, prise en application des articles L. 562-3 et suivants du code monétaire et financier, par laquelle le ministre de l'économie et des finances a imposé une mesure de gel de leurs fonds, instruments financiers et ressources économiques et interdisant les mouvements ou transferts de fonds, instruments financiers et ressources économiques à leur bénéfice pour une durée de six mois.

Par un jugement n° 1813227 du 4 octobre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 4 décembre 2019, le 26 février 2020,

10 décembre 2020 et 21 décembre 2020, la société MHD K... G... et Sons Co,

M. F... I... G..., la société Steelor company, M. F... K... G..., M. B... G..., Mme J... G..., et M. A... G..., représentés par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif du 4 octobre 2019 ;

2°) de faire droit à leur demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leurs moyens n'ont pas été correctement analysés ;

- le tribunal n'a pas répondu, ou ne l'a fait que de manière lapidaire, aux moyens tirés de ce que la résolution 1540(2004) du conseil de sécurité et la décision d'exécution PESC du Conseil du 25 septembre 2017 ne pouvaient constituer la base légale de la décision attaquée ;

- pour écarter le moyen tiré de l'erreur de fait, le tribunal n'a pas suffisamment motivé son jugement ;

- les réponses péremptoires apportées à son argumentation ont porté atteinte à leur droit d'être entendus par un tribunal impartial, garanti par l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision n'est pas suffisamment motivée, ce qui les a privés du droit à un contrôle juridictionnel effectif garanti par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;

- l'article L. 562-3 du code monétaire et financier ne permet pas au ministre de décider discrétionnairement de mesures restrictives indépendamment de menaces pour la sécurité et l'ordre public ;

- la résolution 1540 (2004) du conseil de sécurité qui ne prévoit pas de mesure restrictive et qui vise à interdire la production et les trafics d'armes non conventionnelles par des acteurs non étatiques ne pouvait s'appliquer à la livraison de produits au CERS qui est une entité étatique ;

- les décisions de l'Union Européenne qui permettent de geler les avoirs du CERS syrienne ne justifient pas le gel des avoirs des personnes physiques ou morales ayant contracté en Syrie avec lui ;

- la décision PESC 2013/155 n'édicte aucune intervention extra territoriale et ne sauraient imposer d'obligation à des ressortissants syriens dans leurs rapports avec l'Etat syrien sans méconnaitre le principe de territorialité de la loi ;

- la mesure ne sert pas les objectifs de l'Union Européenne qui affirme vouloir faire pression sur le régime sans sanctionner les populations civiles ;

- la note blanche, qui ne contient que des considérations vagues et abstraites n'est pas suffisamment circonstanciée ; elle comporte également des inexactitudes et des contradictions qui en entachent la crédibilité ;

- les sanctions ne sont pas proportionnées et portent atteinte à la vie privée et familiale des requérants.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 décembre 2020, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

La clôture de l'instruction est intervenue le 28 décembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la résolution 1540 (2004) du Conseil de sécurité des Nations unies du 28 avril 2004 ;

- la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 31 mai 2013 concernant les mesures restrictives à l'encontre de la Syrie ;

- la décision d'exécution PESC du Conseil du 25 septembre 2017 mettant en oeuvre la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 31 mai 2013 concernant les mesures restrictives à l'encontre de la Syrie ;

- le code monétaire et financier ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-524 QPC du 2 mars 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bernier,

- les conclusions de Mme Péna rapporteur public,

- et les observations de Me Weigel et de Me Dangibeaud pour les requérants.

Une note en délibéré, enregistrée le 14 janvier 2021, a été produite pour la société MHD K... G... et Sons Co et autres par la SCP Lyon-Caen et Thiriez.

Considérant ce qui suit :

1. La société MHD K... G... et Sons Co est une société de droit syrien ayant son siège à Damas qui a pour objet le commerce, l'importation et l'exportation de tous genres de métaux. Elle a pour représentants légaux M. F... G... et M. B... G.... Leur soeur, Mme J... G... est associée commanditaire de la société. La société Steelor Company a été fondée par la famille G... en vue d'exercer ses activités au Liban et serait aujourd'hui dissoute. M. F... I... G... fait du commerce de matières premières pour l'industrie, et notamment de métaux, sous le nom commercial de MKH Import et Export. Son fils, M. A... G..., gère sous son nom un commerce d'importation et d'exportation de matériaux de construction, et notamment de métaux.

2. Par un arrêté du 18 janvier 2018, pris sur le fondement de l'article L. 562-3 du code monétaire et financier, le ministre de l'économie et des finances a gelé les avoirs possédés, détenus ou contrôlés par MHD K... G... et Sons Co, MKH Import et Export, Steelor Company, M. F... G..., M. B... G..., Mme J... G...,

M. F... I... G..., et M. A... G... pour une durée de six mois et a interdit pour la même durée que des fonds soient mis de manière directe ou indirecte à leur disposition.

Les sociétés MHD K... G... et Sons Co et Steelor Company, M. F... G..., M. B... G..., Mme J... G..., M. F... I... G..., et M. A... G... relèvent appel du jugement du 4 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

3. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal administratif a visé les moyens soulevés par les requérants et qu'il les a analysés avant d'y répondre dans le corps de la motivation. Les dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative n'ont donc pas été méconnues.

4. Pour écarter le moyen tiré du défaut de base légale, le tribunal a, aux points 10 à 12 de son jugement, répondu que la résolution 1540 (2004) prévoyait que des mesures puissent être prises contre des personnes physiques et morales de droit privé et que la circonstance que les requérants ne seraient pas mentionnés dans les annexes de la décision d'exécution PESC du Conseil du 25 septembre 2017 mettant en oeuvre la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 31 mai 2013 était sans incidence sur la légalité de l'arrêté contesté qui trouvait son fondement légal dans l'article L. 562-3 du code monétaire et financier. Le tribunal qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble de l'argumentation des requérants à l'appui d'une interprétation différente de ces textes a ainsi suffisamment motivé son jugement. Une erreur commise par les premiers juges dans l'interprétation des dispositions susmentionnées ressortirait du bienfondé du jugement et non de sa régularité.

5. Pour écarter le moyen tiré de l'inexactitude matérielle des faits, le tribunal a, au point 13 de son jugement, considéré que les requérants ne contestaient pas utilement les faits consignés dans une " note blanche ", et que les contradictions qui entachaient leur argumentation en réduisaient la crédibilité. Ce faisant, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments des requérants, ont ainsi suffisamment motivé leur jugement. La contestation de la réponse apportée par le tribunal à ce moyen relève du bien fondé et non de la régularité du jugement.

6. Enfin, il ne saurait se déduire de la motivation du jugement, que les requérants estiment lapidaire, que leur droit d'être entendus par un tribunal indépendant et impartial, garanti par l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aurait été en l'espèce méconnu. Le jugement attaqué n'est donc pas irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision :

7. L'ampliation de l'arrêté attaqué cite l'article L. 562-3 du code monétaire et financier, le point 2 de la résolution 1540 (2004) du Conseil de sécurité des Nations unies du 28 avril 2004, l'article 28 de la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 31 mai 2013 concernant les mesures restrictives à l'encontre de la Syrie et mentionne la décision d'exécution PESC du Conseil du 25 septembre 2017 mettant en oeuvre la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 31 mai 2013. Elle relève que les sociétés K... G... et Sons Co et la société MKH import et export ont fourni au cours de ces dernières années au Centre d'études et de recherches scientifiques syrien des dizaines de milliers de tonnes de métaux et d'alliages divers pouvant être utilisés dans la production de vecteurs balistiques notamment d'armes chimiques, et que la société Steelor company est utilisée comme consignataire destinataire de leurs commandes de marchandises avant qu'elles ne soient acheminées en Syrie. Elle relève également que M. F... G..., M. B... G..., Mme J... G..., de par leurs fonctions au sein de la société K... G... et Sons Co, et M. F... I... G... et M. A... G... de par leurs fonctions au sein de MKH import et export, facilitent et fournissent une assistance au CERS et qu'ils ont recours à des placements financiers en France en vue de faire fructifier leurs bénéfices tout en développant les activités de cet organisme. Ainsi donc, les requérants qui pouvaient à la seule lecture de la décision connaître les motifs de la mesure qui les frappe, ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté contesté serait insuffisamment motivé. Ils ne sont pas davantage fondés à soutenir que l'insuffisance alléguée de la motivation, en ce qu'elle repose pour l'essentiel sur des faits relatés par une " note blanche ", les priverait de leur droit à un contrôle juridictionnel effectif garanti par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.

En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de base légale :

8. L'arrêté contesté a été pris sur le fondement de l'article L 562-3 du code monétaire et financier qui prévoit que : " Le ministre chargé de l'économie peut décider, pour une durée de six mois, renouvelable, le gel des fonds et ressources économiques : / 1° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actions sanctionnées ou prohibées par les résolutions adoptées dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies ou les actes pris en application de l'article 29 du traité sur l'Union européenne, y participent ou qui sont désignées par ces résolutions ou ces actes ; / 2° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes morales ou toute autre entité elles-mêmes détenues ou contrôlées par les personnes mentionnées au 1° ou agissant sciemment pour le compte ou sur instructions de celles-ci ". L'arrêté se réfère d'une part au point 2 de la résolution 1540 (2004) du Conseil de sécurité des Nations unies du 28 avril 2004 relatif aux obligations qui incombent aux Etats pour prévenir notamment la mise au point d'armes chimiques. Il se réfère d'autre part à l'article 28 de la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 31 mai 2013 susvisée qui prévoit que sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant à des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie, à des personnes et entités bénéficiant des politiques menées par le régime et à des personnes et entités qui leur sont liées, et à la décision d'exécution PESC du Conseil du

25 septembre 2017 qui désigne parmi ces entités le Centre d'études et de recherches syrien (CERS) présenté comme l'entité publique chargée du développement et de la production d'armes non conventionnelles, y compris d'armes chimiques. Le ministre, qui s'est ainsi référé d'une part à une résolution adoptée dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies, d'autre part à des actes pris en application de l'article 29 du traité sur l'Union européenne n'a pas dès lors, contrairement à ce que soutiennent les requérants, fait un usage discrétionnaire du droit de geler les fonds et ressources économiques qu'il tient de l'article L 562-3 du code monétaire et financier.

9. La résolution 1540 (2004) du Conseil de sécurité des Nations unies du 28 avril 2004, qui n'est pas d'application directe, confère aux Etats membres de cette organisation un large pouvoir d'appréciation pour adopter et appliquer conformément à leurs procédures internes une législation appropriée et efficace pour prévenir notamment la mise au point d'armes chimiques et des vecteurs susceptibles de les transporter par des acteurs non étatiques. Si elle permet notamment aux Etats de prendre des mesures à l'encontre des acteurs non-étatiques qui participent en tant que complices à la fabrication et à la mise au point de telles armes et de leurs vecteurs, les requérants sont fondés à soutenir qu'elle ne constitue pas la référence appropriée dans le cas d'espèce pour sanctionner les personnes physiques ou morales, en l'occurrence les membres de la famille G... et les entreprises qu'ils contrôlent, pour l'assistance qu'ils apportent au Centre d'études et de recherches syrien, acteur étatique, notamment en lui livrant les métaux nécessaires à la fabrication de vecteurs d'armes prohibées par le droit international.

10. Si les requérants font également valoir, qu'à la différence du Centre d'études et de recherches syrien, ils ne figurent pas sur les listes arrêtées par le Conseil de l'Union Européenne qui désignent les personnes et entités dont les avoirs sont gelés, les dispositions précitées de l'article L 562-3 du code monétaire et financier permettent au ministre de l'économie et des finances de geler les avoirs des personnes physiques ou morales qui facilitent des actions sanctionnées ou prohibées par les actes pris en application de l'article 29 du traité sur l'Union européenne, ou qui y participent, sans que ces personnes aient été nécessairement désignées par ces actes. En l'espèce, la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 31 mai 2013, qui a été prise sur le fondement de l'article 29 du traité sur l'Union européenne, vise les personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie, les personnes et entités bénéficiant des politiques menées par le régime et les personnes et entités qui leur sont liées. L'assistance qui serait apportée par les requérants aux personnes et entités responsables de la répression en Syrie, en l'espèce le Centre d'études et de recherches syrien, entre donc dans le champ des dispositions de l'article L 562-3 du code monétaire et financier. Ces dispositions, en ce qu'elles permettent au ministre de geler les fonds et ressources économiques de ces personnes et entités détenus ou circulant en France et qui ne créent aucune obligation pour les Etats tiers qu'au demeurant elles ne concernent pas, ne portent pas atteinte au principe de territorialité des lois.

11. La référence aux décisions précitées de l'Union Européenne présentant en l'espèce un caractère suffisant, il résulte de ce qui précède que l'arrêté contesté n'est pas dépourvu de base légale.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur matérielle :

12. Pour prononcer la mesure contestée, le ministre de l'économie et des finances s'est fondé sur une " note blanche " versée au débat contradictoire, dont il ressort que le groupe commercial et familial syrien G..., composé des sociétés MHD G... et Sons Co et MKH Import et Export, spécialisées dans l'importation d'aciers et d'alliages d'aluminium, commande très régulièrement auprès de nombreux fournisseurs étrangers principalement chinois mais aussi égyptiens et turcs plusieurs de milliers de tonnes de métaux et d'alliages divers, et notamment d'aluminium, pour le compte du Centre d'études et de recherches syrien, pouvant être utilisés dans la production de missiles, de propulseurs et de lanceurs. La note fait état de l'expédition d'un chargement de 53 tonnes d'aluminium commandées par la société MHD G... et Sons Co commandée au fournisseur égyptien Egyptalum et destiné à l'institut du CERS en charge du développement et de la production de vecteurs balistiques, en définitive bloqué au Liban en février 2017. Elle fait également état des démarches du groupe en septembre 2017 pour acquérir 17 000 tonnes de métaux et d'aluminiums de qualité aéronautique (aluminium 2024, aluminium 7075-T6 et acier 25CRMo4) utilisés pour la production de missiles Fateh-110 et les moteurs de roquettes à propulsion solide. Elle mentionne que la société Steelor, contrôlée par la famille G..., qui dispose d'une adresse au Liban, est utilisée comme consignataire destinataire de ces commandes, dont certaines ont pu être bloquées ou saisies par les autorités turques et roumaines avant qu'elles ne soient acheminées en Syrie. Selon la note, des fonds issus de l'activité du groupe transitent par seize comptes bancaires détenus dans les livres de la banque Société Bancaire Arabe à Paris. Enfin la note blanche comporte des indications sur le rôle des membres de la famille G....

13. Aucune disposition législative ni aucun principe ne s'oppose à ce que des faits relatés par des notes blanches produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif. La prise en compte de ces notes blanches, qui garantissent la confidentialité des sources, ne porte pas en elle-même atteinte au droit au procès équitable et au droit à un contrôle juridictionnel effectif dès lors que, dans le cadre du débat contradictoire, le requérant peut utilement contester, ce qui est le cas en l'espèce, les éléments qu'elles contiennent et notamment leur exactitude matérielle, d'éventuelles contradictions ou leur imprécision.

14. Pour contester les indications précises et circonstanciées figurant dans cette note, les requérants se bornent à faire valoir que l'achat de lingots d'aluminium pour le compte du CERS ne constitue qu'une hypothèse, mais sans utilement démentir les faits relatés. S'ils soutiennent qu'il ne saurait être fait grief à des sociétés dont l'objet est le commerce de métaux d'avoir prospecté les marchés en vue de se les procurer, ils n'apportent aucun démenti sérieux aux indications selon lesquelles des métaux et alliages spéciaux étaient destinés au CERS. Les affirmations des requérants selon lesquelles les aciers spéciaux et l'aluminium pur peuvent être utilisés pour la fabrication d'appareils électroménagers et de climatiseurs ne contredisent pas sérieusement la réalité des commandes passées par l'institut du CERS en charge du développement et de la production de vecteurs balistiques. L'arrêté attaqué présentant le caractère d'une mesure de police administrative et non celui d'une sanction, la circonstance que certains achats pour le compte du CERS seraient intervenus avant l'intervention de la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 31 mai 2013 et de la décision d'exécution PESC du 25 septembre 2017 est indifférente. La circonstance que les quantités de métaux livrées au CERS seraient modestes au regard de l'activité du groupe l'est tout autant. Si les requérants font valoir que MKH Import et Export n'est pas une société mais la dénomination commerciale de l'entreprise personnelle de M. F... I... G..., et que Mme J... G... n'est pas associée consignataire mais associée commanditaire de la société MHD K... G... et Sons Co, ces menues inexactitudes n'entachent pas la crédibilité et le sérieux des informations contenues dans la note, et ne mettent pas en cause la substance des faits qui fondent la mesure. La circonstance que l'un des comptes français des requérants aurait été débiteur en 2013 et qu'il le serait redevenu après novembre 2017, que d'autres comptes auraient été peu actifs n'infirme pas la réalité de mouvements de fonds. Elle est même en réalité indifférente au regard de l'objectif poursuivi qui est notamment de faire obstacle à l'utilisation par les personnes visées des canaux financiers dont ils disposent dans les institutions financières françaises. Il n'est pas contesté que des cargaisons de métaux de Steelor ont été bloquées en Turquie et en Roumanie, les documents produits par les requérants ne fournissant aucun éclairage utile sur les raisons et les circonstances de ces saisies. Les liens d'affaires de M. F... G... et de M. B... G..., dirigeants de la société MHD K... G... et Sons Co avec le CERS ne sont pas utilement contestés. Il ne saurait se déduire de la seule circonstance que leur soeur n'exercerait pas formellement de responsabilité dans la société familiale et qu'elle résiderait à Athènes, qu'elle ne participerait pas, ou qu'elle ne serait pas susceptible de participer, aux mouvements de fonds de l'écheveau d'entreprises familiales dont elle est une associée. M. A... G..., qui comme le reste de sa famille fait commerce de métaux, est intervenu au lieu et place de son père, âgé et présenté comme parlant mal l'anglais, pour tenter de débloquer une cargaison de 45 tonnes d'acier commandée par MKH import et export à un fournisseur indien. Ainsi donc, à l'appui de leur critique pointilliste de la note, les requérants ne fournissent aucun élément concret et sérieux dont il pourrait se déduire que les informations sur lesquelles s'est fondé le ministre de l'économie et des finances seraient erronées ou peu fiables. En particulier, ils ne contestent sérieusement ni la livraison au CERS de métaux nécessaires à la fabrication de missiles, ni les liens constants entretenus avec cet organisme qui contribue à la répression des populations civiles de Syrie. Le moyen tiré de l'erreur matérielle doit dès lors être écarté.

15. Par ailleurs, les décisions de l'Union Européenne auxquelles se réfère la décision contestée du ministre de l'économique et des finances ont pour objet de faire cesser la répression violente exercée contre la population civile en Syrie, notamment en créant des obstacles à la confection d'armes utilisées par le régime mais également en sanctionnant personnellement les personnes et entités bénéficiant des politiques menées par le régime et les personnes et entités qui leur sont liées. Il ressort des pièces du dossier que les membres de la famille G... et les entreprises qu'ils contrôlent, de par leur activité de fournisseur de métaux stratégiques et par les liens d'affaires entretenus avec le CERS peuvent être regardés comme liés au régime et comme bénéficiant de ses politiques. L'article L 562-3 du code monétaire et financier et les décisions de l'Union européenne auxquelles la mesure contestée se réfère permettent de sanctionner des entreprises dont l'activité était originellement civile, et qui le reste partiellement ou même majoritairement, pour autant, ce qui est le cas en l'espèce, qu'elles contribuent à la politique du régime. Ces dispositions permettent donc de sanctionner des ressortissants et des entreprises syriennes, au titre de leur activité commerciale en Syrie, quand bien même celle-ci serait elle soumise au droit syrien. Les requérants ne peuvent utilement faire valoir qu'il est " éthiquement inacceptable " d'imposer à des citoyens syriens d'opposer un refus de vente à un organisme d'Etat syrien lorsqu'il leur passe des commandes. Si les requérants soutiennent que la mesure qui les frappe ne sert pas les objectifs poursuivis par l'Union Européenne, il n'appartient pas à la Cour de se livrer à ce type d'appréciation, et notamment de se prononcer sur le point de savoir si la décision en litige porte atteinte à l'image de l'Union européenne auprès de la population civile syrienne. La mesure contestée, qui ne s'applique qu'aux avoirs des requérants détenus en France, ne porte pas, eu égard aux objectifs poursuivis, une atteinte disproportionnée à leur droit à une vie privée et familiale. Elle ne prive pas en elle-même Mme J... G... d'accès à tout service bancaire dans la mesure où cette dernière réside en Grèce et que la décision du ministre ne s'y applique pas. Eu égard aux éléments qui la fondent et à ses conséquences effectives, la décision litigieuse n'est ni disproportionnée, ni entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société MHD K... G... et Sons Co et autres doit être rejetée.

17. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société MHD K... G... et Sons Co et autres est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société MHD K... G... et Sons Co, la société MHK Import et Export Co, la société Steelor company, M. F... G..., M. B... G..., Mme J... G..., M. F... I... G..., M. A... G... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- M. Bernier, président assesseur,

- Mme Jayer, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2021.

Le rapporteur,

Ch. BernierLe président,

M. Bouleau

Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

2

N°19PA03917


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA03917
Date de la décision : 19/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Droits civils et individuels - Droit de propriété - Actes des autorités administratives concernant les biens privés.

Police - Étendue des pouvoirs de police.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN-THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 30/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-01-19;19pa03917 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award