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19/01/2021 | FRANCE | N°19PA01814

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 19 janvier 2021, 19PA01814


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise personnelle à responsabilité (EURL) Raipoe International a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la Polynésie française à lui verser une indemnité de 121 073 000 francs CFP en réparation du préjudice causé par la destruction de 121 073 perles lui appartenant.

Par un jugement n° 1800326 du 12 mars 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la Polynésie Française à verser une indemnité de 48 429 200 francs CFP à l'E

URL Raipoe International.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise personnelle à responsabilité (EURL) Raipoe International a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la Polynésie française à lui verser une indemnité de 121 073 000 francs CFP en réparation du préjudice causé par la destruction de 121 073 perles lui appartenant.

Par un jugement n° 1800326 du 12 mars 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la Polynésie Française à verser une indemnité de 48 429 200 francs CFP à l'EURL Raipoe International.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 3 juin 2019, 4 mars 2020 et 6 octobre 2020, la Polynésie française, représentée par la SELARL Jurispol, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 12 mars 2019 ;

2°) de rejeter les demandes de l'EURL Raipoe International ;

3°) de mettre à la charge de l'EURL Raipoe International la somme de 238 664 Francs Pacifique, soit 2 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la destruction des perles de rebut, dont elle ne conteste pas qu'elle a pour effet de porter atteinte au droit de propriété de l'EURL Raipoe International, est fondée sur une réglementation poursuivant un motif d'intérêt général ;

- le service, qui a mis en oeuvre une réglementation encore applicable à la date des faits, n'a commis aucune faute ;

- la valeur des perles de rebut, qui ne sont pas commercialisables, doit être regardée comme nulle ;

- l'indemnisation des perles dites de rebut ne saurait se fonder sur le prix des perles de culture, effectivement commercialisables ;

- les attestations de négociants en perles, placés dans la même situation que l'EURL Raipoe International, ne sont pas probantes ;

- la Polynésie n'a pas à indemniser un risque pris en connaissance de cause par le négociant ;

- il n'y a pas de rupture d'égalité entre les producteurs, dont il y a lieu d'indemniser le cout engagé pour l'exploitation, et les négociants qui ne sont pas placés dans une situation identique.

Par des mémoires en défense et d'appel incident enregistrés les 27 novembre 2019,

8 septembre 2020, et 30 octobre 2020, l'EURL Raipoe International, représentée par la SELARL Cabinet JPO Lawyer Consultants, demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement attaqué et de condamner la Polynésie française à lui verser une indemnité totale de 86 272 717 francs CFP (soit 722 969 euros) dont seront déduites les sommes versées en application du jugement ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 420 000 francs Pacifique, soit 3 500 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la rétention et la destruction des perles, en violation de son droit de propriété, sur le fondement d'une réglementation illégale, lui a causé un préjudice irréversible ;

- elle est également constitutive d'une faute personnelle des agents du service ;

- les perles dites de rebut, utilisables pour la confection de produits d'artisanat et de bijoux de fantaisie destinés à une clientèle locale ou internationale, ont une valeur marchande ;

- le nombre de perles détruites est de 121 073 et non de 112 588, chiffre indiqué par erreur en première instance et retenu par le tribunal ;

- la valeur marchande des perles détruites a été sous-estimée par le tribunal, ainsi qu'elle peut le démontrer à partir d'exemples tirés de sa comptabilité ;

- le cabinet Ingefi a évalué son préjudice à la somme totale de 86 272 717 francs Pacifique sur la base d'une valeur unitaire de 713 francs CFP par perle détruite.

La clôture de l'instruction est intervenue le 18 novembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, et notamment son préambule,

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004,

- la délibération n° 2005-42 APF du 4 février 2005,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Péna, rapporteur public,

- et les observations de Me C... pour l'EURL Raipoe International.

Considérant ce qui suit :

1. L'article 2 de la délibération du 4 février 2005 portant définition des produits tirés de l'activité de la perliculture en Polynésie française et fixation des règles relatives à la classification, au transport, à la commercialisation et aux formalités d'exportation de la perle de culture de Tahiti, des ouvrages et des articles de bijouterie en comportant, définit les qualités que doivent présenter, pour être qualifiée de "perle de culture de Tahiti", les perles de l'huître perlière Pinctada margaritifera var. cumingii. L'article 3 de la même délibération dispose qu'il est strictement interdit d'exposer, de mettre en vente ou de vendre les perles, qualifiées de "perles de rebut" qui ne satisfont pas à cette exigence de qualité. L'article 10 de cette délibération prévoit enfin que les rebuts sont conservés et détruits par le service en charge de la perliculture.

2. Il ressort du procès-verbal du 20 mars 2017 de la direction des ressources marines et minières que le 10 mars 2017, soit avant l'entrée en vigueur de la " loi du pays " n° 2017-16 du 18 juillet 2017 qui a supprimé la notion de rebut interdit à la commercialisation ainsi que la possibilité pour l'administration de retenir et de détruire des perles présentées à son contrôle, les autorités administratives de la Polynésie française ont détruit, en application des dispositions de la délibération du 4 février 2005 mentionnées au point précédent un lot de 121 073 perles de rebut appartenant à l'EURL Raipoe International, négociant en perles de culture, qu'elles retenaient. Sa demande d'indemnisation présentée le 18 juin 2018 ayant été implicitement rejetée, l'EURL Raipoe International a demandé au tribunal administratif de condamner la Polynésie française à l'indemniser de son préjudice.

3. La Polynésie française relève appel du jugement du 12 mars 2019 par lequel le tribunal administratif l'a condamnée à verser à l'EURL Raipoe International une indemnité de

48 429 200 francs CFP en faisant valoir que la société ne justifie d'aucun préjudice. Par la voie de l'appel incident, l'EURL Raipoe International demande à la Cour de porter l'indemnité à la somme de 86 272 717 francs CFP.

4. S'agissant de la responsabilité, il n'est pas sérieusement contesté par les parties que, seule une loi pouvant porter atteinte au droit de propriété en vertu de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la Polynésie française ne pouvait pas sur le fondement de la délibération du 4 février 2005, dépourvue sur ce point de toute base légale, saisir et détruire les perles de la société requérante et porter ainsi atteinte à son droit de propriété. La Polynésie française a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité en procédant à la rétention et à la destruction des perles.

5. Le préjudice de l'EURL Raipoe International est constitué par la perte de chance de commercialiser après l'entrée en vigueur de la " loi du pays " n° 2017-16 du 18 juillet 2017 qui a supprimé la notion de rebut, un lot de 121 073 perles entrant dans cette catégorie, qui avaient été retenues puis détruites le 10 mars 2017 en application des dispositions dépourvues de base légale de l'article 10 de la délibération du 4 février 2005. La circonstance que l'interdiction de commercialiser les perles de rebut prévue par l'article 3 de cette délibération ait été édictée dans un but d'intérêt général ne prive pas l'EURL Raipoe International de son droit à indemnisation, la faute de la Polynésie française étant constituée par la rétention et la destruction d'un bien appartenant à ce négociant et non par les restrictions apportées par la réglementation à la commercialisation des perles. Le risque pris par l'EURL Raipoe International en achetant aux producteurs locaux des perles qui, à l'époque, n'étaient pas susceptibles d'être commercialisées ne saurait davantage, et pour les mêmes raisons, la priver de son droit à indemnisation. La mise en cause en appel par l'EURL Raipoe International de la faute personnelle, mais en lien avec le service, des agents ayant procédé à la destruction des perles est, quant à elle, sans conséquence sur le montant de l'indemnisation.

6. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'avis du Conseil économique, social et culturel du territoire et de celui de l'Autorité polynésienne de la concurrence, rendus dans le cadre de l'élaboration de la " loi du pays " du 18 juillet 2017, que les perles qualifiées de rebut par la délibération du 4 février 2005 pouvaient avoir une valeur marchande, ces perles de qualité inférieure à celles dont la commercialisation était alors autorisée pouvant être notamment écoulées sur les marchés asiatiques pour la confection de bijoux de fantaisie, d'objets artisanaux ou de pacotilles diverses, en fonction de leurs caractéristiques très disparates. Cependant aucune étude incontestable ne permet d'évaluer avec une précision suffisante les cours de ces produits et moins encore la valeur exacte qu'aurait pu avoir après l'entrée en vigueur de la " loi du pays " du 18 juillet 2017 le lot de perles appartenant à l'EURL Raipoe International, illégalement détruit peu avant sa promulgation. A cet égard, dès lors que le lot litigieux a été détruit, une expertise ne présenterait pas de caractère utile.

7. Si, pour demander à la Cour, dans son mémoire du 27 novembre 2019, de condamner la Polynésie française à lui verser la somme de 75 304 172 francs CFP, l'EURL Raipoe International se fonde sur les pertes financières résultant de l'impossibilité de vendre à des clients étrangers une partie des lots de perles qui n'avaient pas satisfait au contrôle de qualité entre 2014 et 2017, l'illégalité fautive ne consiste pas dans les restrictions imposées jusqu'à cette date à la commercialisation des perles ne satisfaisant pas aux critères de qualité mais dans la rétention et à la destruction sans base légale des perles de rebut. D'autre part la méthode suivie suppose que les perles de rebut auraient eu une valeur analogue à celle des perles de la meilleure qualité, ce qui est n'est guère vraisemblable, et elle ne permet pas d'apprécier la valeur qu'aurait pu avoir le lot litigieux après le 18 juillet 2017 s'il n'avait pas été détruit peu auparavant.

8. La méthodologie suivie par le rapport du cabinet d'experts comptable INGEFI du

2 septembre 2020, dont la Polynésie française relève qu'il n'a pas de compétence reconnue en matière perlière, repose exclusivement sur les dires, documents et factures produits par l'EURL Raipoe International et sur le postulat invérifiable, au demeurant non confirmé par les autres pièces du dossier, que le prix des perles de rebut de belle apparence visuelle se rapprocherait de celui des perles de la meilleure qualité destinées à la bijouterie de prestige. La conclusion selon laquelle le prix moyen de chacune des perles de rebut détruite serait de 713 francs CFP alors que le prix moyen de la perle de qualité commercialisable s'établissait à 909 francs CFP parait dès lors peu crédible. Le rapport ne constitue donc pas une base suffisante pour apprécier la valeur que d'éventuels acheteurs auraient accordée, au cas par cas, aux perles dites " de rebut " qui, ainsi qu'il a été dit, étaient d'apparence, de qualité et donc de valeur très disparate. Les conclusions d'appel incident de l'EURL Raipoe International, présentées dans son mémoire du

8 septembre 2020, tendant à ce que son préjudice soit évalué sur la base de ce rapport à la somme de 86 272 717 francs CFP doivent dès lors être rejetées.

9. En l'absence d'éléments permettant d'apprécier avec une plus grande précision les diverses qualités des 121 073 rebuts détruits le 10 mars 2017, il y a donc lieu, ainsi que l'a fait le tribunal administratif, de se référer aux attestations concordantes de quatre professionnels du secteur perlicole qui estiment qu'une perle classée en rebut sous le régime de la délibération du

4 février 2005 peut être vendue à un détaillant à un prix moyen variant de 300 à 500 francs CFP, qui ne sont pas contestées de manière argumentée par la Polynésie française. Pour apprécier le préjudice résultant de la perte de chance de commercialiser après le 18 juillet 2017 le lot détruit, il y a lieu également de tenir compte de la baisse du prix des rebuts que n'aurait pas manqué de provoquer dès l'entrée en vigueur de la " loi du pays " du 18 juillet 2017 la libération des perles saisies par l'administration sur un marché perlicole concurrentiel et volatil. Dans les circonstances de l'espèce, il y a donc lieu de fixer à 30 millions de francs CFP le montant forfaitaire de l'indemnité allouée à l'EURL Raipoe International.

10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La somme que la Polynésie française a été condamnée à verser à l'EURL Raipoe International par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 12 mars 2019 est ramenée à 30 millions de francs CFP.

Article 2 : Le jugement du 12 mars 2019 du tribunal administratif de la Polynésie française est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Polynésie française et à l'EURL Raipoe International. Copie en sera adressée pour information au Haut-Commissaire de la République en Polynésie française et au ministre des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- M. B..., premier vice-président,

- M. A..., président assesseur,

- Mme Jayer, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2021.

Le rapporteur,

Ch. A...Le président,

M. B...

Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne au ministre des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

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N° 19PA01814


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01814
Date de la décision : 19/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice - Préjudice matériel.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SELARL PIRIOU QUINQUIS BAMBRIDGE-BABIN

Origine de la décision
Date de l'import : 30/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-01-19;19pa01814 ?
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