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12/01/2021 | FRANCE | N°20PA00839

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 12 janvier 2021, 20PA00839


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions du 13 octobre 2019 par lesquelles le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français et a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire ou, à titre subsidiaire, la décision lui interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée de douze mois.

Par un jugement n° 1922174/8 du 28 octobre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris, d'une part,

a annulé les décisions attaquées, et d'autre part, a enjoint au préfet de police de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions du 13 octobre 2019 par lesquelles le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français et a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire ou, à titre subsidiaire, la décision lui interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée de douze mois.

Par un jugement n° 1922174/8 du 28 octobre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris, d'une part, a annulé les décisions attaquées, et d'autre part, a enjoint au préfet de police de procéder à un nouvel examen de la situation de M. D... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 5 mars 2020, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1922174/8 du 28 octobre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que la décision portant obligation de quitter le territoire français était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de la situation personnelle et familiale de M. D..., dès lors que d'une part, ce dernier n'établit pas qu'un défaut de prise en charge médicale pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni qu'il ne pourrait pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine, et que d'autre part, les éléments produits par l'intéressé ne permettent pas d'attester de l'ancienneté, de l'intensité et de la stabilité de ses liens privés et familiaux en France ;

- les autres moyens soulevés par M. D... en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 juin 2020 et complété par des pièces enregistrées le 28 décembre 2020, M. D..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à titre subsidiaire, demande à la Cour :

1°) d'annuler les décisions du 13 octobre 2019 par lesquelles le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de douze mois ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, ainsi que l'a jugé le premier juge ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que l'avis du médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a été rendu postérieurement à son édiction, qu'il n'a pas été examiné ni même interrogé par le médecin ayant rendu l'avis et que cet avis est insuffisamment motivé ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet de police s'est fondé à tort sur les dispositions du 3° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet de police n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard à la stabilité de sa relation maritale avec une ressortissante française ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G...,

- et les observations de Me A..., substituant Me B..., avocat de M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant marocain né le 17 janvier 1996 et entré en France en 2014 sous couvert d'un visa de court séjour, a été interpellé le 11 octobre 2019 par les services de police à la Gare Montparnasse à Paris 15ème, pour des faits de détention et transport de stupéfiants et détention de contrefaçons. Par des décisions du 13 octobre 2019, le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination d'une mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois. Le préfet de police relève appel du jugement du 28 octobre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé ses décisions du 13 octobre 2019.

Sur le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

2. Pour annuler la décision du 13 octobre 2019 obligeant M. D... à quitter le territoire français, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a jugé que le préfet de police a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle et familiale de l'intéressé au regard, d'une part, de la relation maritale qu'il entretenait avec une ressortissante française et des liens qu'il avait développés avec la famille de cette dernière, d'autre part, de la pathologie grave et dégénérative dont il est atteint qui nécessitait des soins et des traitements appropriés qui ne pouvaient être dispensés au Maroc alors que l'interruption du traitement constitué d'injections mensuelles régulières pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et, enfin, de la circonstance que l'une de ces injections était programmée en milieu hospitalier le 21 octobre 2019. Toutefois, les pièces versées au dossier sont insuffisantes pour établir la réalité de la vie commune depuis décembre 2018 alléguée de M. D... et de sa compagne, née en 2001. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que les parents et la fratrie de M. D... vivent au Maroc où lui-même a vécu au moins jusqu'à l'âge de 18 ans. Dans ces conditions, eu égard à la courte durée de la relation maritale et à l'absence de liens familiaux de M. D... en France, et alors même que le requérant s'est marié le 19 décembre 2020, postérieurement à l'arrêté en litige, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé pour le motif tiré de l'erreur manifeste d'appréciation la décision obligeant M. D... à quitter le territoire français, et, par voie de conséquence, la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, la décision fixant le pays de destination, et la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.

3. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif et la Cour.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 511- 4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

4. Aux termes de l'article L. 511- 4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ".

5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des certificats médicaux des 19 mai 2017 et 2 mai 2018 des praticiens hospitaliers des hôpitaux universitaires Paris-Nord Val-de-Seine Bichat-Claude Bernard que M. D... souffre d'une forme très active de sclérose en plaques " rémittente-récurrente " avec une charge lésionnelle importante, ayant entrainé notamment une hémiparésie droite, une hypoesthésie du membre inférieur droit, des troubles de la marche, ainsi qu'une paralysie faciale périphérique droite, pour laquelle il suit depuis le 22 juin 2017 un traitement régulier à base de Tysabri (natalizumab), molécule indiquée pour le traitement des formes de scléroses en plaques résistantes à d'autres traitements, qui lui est administré par voie intraveineuse toutes les quatre semaines dans le service de neurologie de cet hôpital. Par un avis du 15 octobre 2019, le médecin de l'OFII a estimé que si l'état de santé de M. D... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il pourrait, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans son pays d'origine, y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Si le préfet de police soutient que le Tysabri fait partie des médicaments commercialisés au Maroc, il se borne à verser au dossier des captures d'écran tirées du site intranet du ministère de l'intérieur faisant référence des liens hypertextes relatifs à la liste des médicaments remboursés au Maroc pour 2018, à des " fiches pays " et à la liste des médicaments essentiels au Maroc pour 2017, mais ne produit aucun document concernant la disponibilité au Maroc du Tysabri ou du natalizumab, ou même de quelque médicament que ce soit susceptible de traiter les formes actives de sclérose en plaque. Ces seuls éléments produits par le préfet ne sont pas de nature à démontrer que le Tysabri serait effectivement disponible au Maroc. Il ressort au contraire de l'attestation établie par un pharmacien dont l'officine est située à Oujda au Maroc ainsi que de l'attestation en date du 21 octobre 2019 du délégué de la santé de la province de Figuig auprès du ministère de la santé au Maroc que le Tysabri est en rupture de stock et que les délais d'attente après une commande s'étendent de 60 à 90 jours. Or, il ressort des certificats médicaux établis les 5 juillet 2017 et 17 octobre 2019 par un praticien hospitalier des hôpitaux universitaires Paris Nord Val de Seine Bichat-Claude Bernard que le Tysabri doit être administré " en 1ère ligne car il existait une forme très active de la maladie ", que son administration toutes les quatre semaines est nécessaire " afin d'éviter l'évolutivité de la maladie " et que l'arrêt du traitement " entraînera une reprise rapide, évolutive et grave de la maladie avec risque de handicap sévère ". Si certains de ces certificats médicaux et attestations ont été établis postérieurement à la décision en litige, ils révèlent toutefois une situation existante à la date de celle-ci et peuvent ainsi être retenus comme éléments de preuve. Le requérant apporte ainsi des éléments suffisamment précis et circonstanciés de nature à justifier de l'impossibilité de bénéficier effectivement du traitement approprié à son état de santé au Maroc à la date de l'arrêté en litige. Dans ces conditions, M. D... est fondé à soutenir qu'en édictant une décision l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, le préfet de police a méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé ses décisions du 13 octobre 2019 obligeant M. D... à quitter le territoire français sans délai, fixant le Maroc comme pays à destination duquel il sera éloigné et prononçant à son encontre une interdiction de retour du territoire français pour une période de douze mois.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à M. D... de la somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. D... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 7 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme C..., président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme G..., premier conseiller.

Rendu public part mise à disposition au greffe le 12 janvier 2021.

La présidente de la 8ème chambre,

H. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 20PA00839


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00839
Date de la décision : 12/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : PLACE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-01-12;20pa00839 ?
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