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21/12/2020 | FRANCE | N°19PA01607

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 21 décembre 2020, 19PA01607


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris :

1°) d'annuler la décision implicite du 1er octobre 2017 par laquelle le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

2°) d'enjoindre au directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et, à ce titre, de prendre en charge l'ensemble des frais de justice qu'elle a exposés au cour

s de la procédure pour la somme de 3 240 euros HT à la date de la requête ;

3°) de condamn...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris :

1°) d'annuler la décision implicite du 1er octobre 2017 par laquelle le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

2°) d'enjoindre au directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et, à ce titre, de prendre en charge l'ensemble des frais de justice qu'elle a exposés au cours de la procédure pour la somme de 3 240 euros HT à la date de la requête ;

3°) de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis résultant de l'illégalité de la décision du 1er octobre 2017 et du manquement fautif de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à son obligation de protection.

Par un jugement n° 1718562/2-2 du 11 mars 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 13 mai 2019 et

21 janvier 2020, Mme B..., représenté par Me G... A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1718562/2-2 du 11 mars 2019 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet contestée devant ce tribunal ;

3°) d'enjoindre au directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et, à ce titre, de prendre en charge l'ensemble des frais de justice qu'elle a exposés au cours de la présente procédure pour la somme de 8 160 euros HT soit 9 792 euros TTC euros, montant à parfaire, à la date de la requête ;

4°) de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis résultant de l'illégalité de la décision du 1er octobre 2017 et du manquement fautif de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à son obligation de protection ;

5°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris la somme de

2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative ; les premiers juges n'ont pas répondu à tous les moyens qu'elle avait invoqués en première instance ; ils n'ont pas tenu compte des arguments qu'elle avait développés et étayés par des pièces contredisant l'argumentation de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ; le tribunal n'a pas confronté les assertions péremptoires de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris au crible de la preuve objective qui est à rechercher en matière de harcèlement moral ; les premiers juges ont procédé à un renversement de la charge de la preuve ;

- c'est à tort que les premiers juges, qui ont considéré que le harcèlement moral dont elle a estimé être victime n'était pas constitué et rejeté ses demandes comme irrecevables, ont entaché leur jugement d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation ; s'agissant de son évaluation au titre de l'année 2016, le tribunal n'a pas analysé l'ensemble des faits et des pièces versées au dossier ; cette évaluation , dépourvue d'objectivité, est fondée sur des rumeurs et révèle une intention de lui nuire ; s'agissant des courriels des 13 juillet et 28 septembre 2016, ils s'inscrivent, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, dans un conteste beaucoup plus large et complexe de mise à l'écart et de remise en cause de ses compétences ; s'agissant des représailles résultant des alertes dont elle a informé la direction générale du groupe, c'est à tort que le tribunal a relevé qu'aucun élément n'était de nature à démontrer qu'elle avait été pénalisée par sa supérieure hiérarchique pour avoir alerté la direction générale du groupe du mal-être de l'équipe d'encadrement de la direction des soins ; son évaluation injustement défavorable pourrait attester de la volonté de son supérieur hiérarchique de la sanctionner en représailles ; s'agissant des mesures d'éviction prises à son encontre, si le tribunal a estimé qu'elles s'inscrivaient dans le cadre d'une réorganisation des services, il est étonnant que les missions qui lui ont été retirées aient de nouveau été confiées à la direction des soins du groupe hospitalier des hôpitaux universitaires de Paris Centre après son départ ; il est, en outre, étonnant qu'alors qu'elle avait été évincée du comité de direction, sa remplaçante y ait été intégrée ; les erreurs qui lui ont été reprochées s'agissant du projet de désenfumage ne sont pas établies ; en tout état de cause, ces erreurs n'impliquaient pas que des mesures aussi drastiques qu'un retrait de fonctions soient prises à son encontre sans qu'elle en ait été informée préalablement ; ces mesures ont abouti à sa mobilité vers un autre établissement et sur un poste qui n'a aucun rapport avec ses compétences, dans l'attente d'une affectation définitive ; ainsi, ces mesures la visaient personnellement, ont été prises dans le but de lui nuire professionnellement, et ont conduit à une dégradation de ses conditions de travail ; l'obligation de protection s'imposant à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ne pouvait se résumer à un entretien avec elle ; s'agissant de sa nouvelle affectation, si elle présente un intérêt au regard des missions qui lui ont été confiées, il n'en demeure pas moins qu'elle a été affectée sur un poste qui ne correspond pas à celui d'un directeur des soins dans un établissement de santé ; ce poste, qui a été créé pour elle, ne justifie pas qu'elle l'occupe à temps plein ; elle ne figure, par ailleurs, pas sur l'organigramme ; elle se retrouve placée sous l'autorité du supérieur hiérarchique à l'origine des faits de harcèlement moral à son encontre ; la décision de lui faire quitter son logement de fonctions fait présumer, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, une situation de harcèlement moral ;

- la décision en litige n'est pas motivée ; la décision expresse du 4 juillet 2018, qui ne peut être regardée comme s'étant substituée à cette décision, n'est pas susceptible d'en régulariser les irrégularités ;

- même en l'absence de faute de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, les agissements constitutifs de harcèlement moral à son encontre étant établis, son employeur devra l'indemniser intégralement des préjudices subis et rembourser les frais de justice qu'elle a engagés en l'absence de tout motif d'intérêt général ; l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation en refusant de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle ; l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation au regard de la loi du 13 juillet 1983, de l'article L. 4121-2 du code du travail et de la circulaire du 20 mars 2014 ; ce faisant, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- elle a subi un préjudice moral qui peut être évalué à la somme de 10 000 euros ;

- elle a subi un préjudice de carrière qui peut être évalué à la somme de 10 000 euros.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 29 novembre 2019 et 20 février 2020, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, représentée par Me F... E..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme B... la somme de 1 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués par Mme B... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 22 janvier 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 24 février 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme H...,

- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., substituant Me E..., avocat de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., directeur des soins de 1ère classe, affectée à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), en qualité d'adjoint au coordinateur des activités de soins des hôpitaux universitaires Paris Centre (HUPC), a intégré, à compter du 1er septembre 2013, le groupe HUPC, au sein duquel elle a exercé les fonctions de directeur des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques, avant d'être affectée, le 1er septembre 2017, à la direction des soins et des affaires paramédicales centrale de l'AP-HP, en qualité de chargé de mission auprès de la directrice. Dès son entrée en fonction au sein du groupe HUPC, Mme B... a connu des difficultés relationnelles avec son supérieur hiérarchique direct, le coordinateur général des soins du groupe, lesquelles se sont aggravées avec le recrutement d'un nouveau cadre de santé puis avec l'arrivée d'un coordinateur de soins par intérim au mois de septembre 2016 et la nomination d'un nouveau directeur du groupe HUPC au mois d'octobre 2016. Le 27 juillet 2017, Mme B... a sollicité du directeur général de l'AP-HP le bénéfice de la protection fonctionnelle, au motif qu'elle subirait des agissements constitutifs d'une situation de harcèlement moral de la part de ses supérieurs hiérarchiques, ainsi que la réparation des préjudices qui résulteraient de cette situation. Par une décision du 4 juillet 2018, le chef du département du droit des personnels et de la législation du travail a expressément rejeté sa demande après que l'administration l'ai implicitement rejetée le 1er octobre 2017. Par un jugement n° 1718562/2-2 du 11 mars 2019, dont Mme B... relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet, à la condamnation de

l'AP-HP à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis et à ce qu'il soit enjoint à l'AP-HP de lui accorder la protection fonctionnelle et de prendre en charge, à ce titre, ses frais de justice.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Mme B... soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé à défaut pour le tribunal d'avoir répondu aux moyens qu'elle avait invoqués en première instance. Il ressort, toutefois, du jugement attaqué que le tribunal, qui n'était pas tenu de discuter et de faire état dans le détail de tous les arguments et de toutes les pièces qui avaient été présentées devant lui, a répondu par une motivation précise et circonstanciée, aux points 7. à 9. de son jugement, aux moyens invoqués par Mme B... dans ses écritures. En outre, contrairement à ce que soutient cette dernière, la régularité du jugement attaqué ne dépend pas du bien-fondé des motifs retenus par le tribunal pour écarter les moyens qu'elle avait invoqués. La circonstance que le tribunal se serait mépris sur les règles de dévolution de la charge de la preuve en matière de harcèlement moral, qui se rattache au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal, est en tout état de cause sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

Sur les conclusions aux fins d'annulation, d'injonction et tendant à la condamnation de l'AP-HP :

4. En premier lieu, il ne ressort pas des termes du jugement attaqué, contrairement à ce que soutient Mme B..., que le tribunal a rejeté les conclusions qu'elle avait présentées en première instance comme irrecevables. Il suit de là que ce moyen ne peut qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, Mme B... soutient que la décision implicite du 1er octobre 2017 par laquelle le directeur général de l'AP-HP a rejeté sa demande tendant à ce qu'il lui accorde la protection fonctionnelle n'est pas motivée.

6. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) ; / 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 dudit code : " La motivation exigée (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. / Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".

7. Si le silence gardé par l'administration sur un recours gracieux ou hiérarchique fait naître une décision implicite de rejet qui peut être déférée au juge de l'excès de pouvoir, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement, qu'elle fasse suite ou non à une demande de communication des motifs de la décision implicite présentée en application des dispositions précitées de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, se substitue à la première décision. Il en résulte que des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde et que, dès lors, celle-ci ne peut être utilement contestée au motif que l'administration aurait méconnu ces dispositions en ne communiquant pas au requérant les motifs de sa décision implicite dans le délai d'un mois qu'elles lui impartissent.

8. Il résulte de ce qui vient d'être dit, ainsi que l'a relevé le tribunal, que la demande de Mme B... tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet intervenue le 1er octobre 2017 doit être regardée comme dirigée contre la décision explicite du 4 juillet 2018 par laquelle ce refus a été confirmé. Cette décision dûment motivée s'étant substituée à la décision implicite initialement intervenue, le moyen tiré du défaut de motivation de cette dernière décision, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, ne peut qu'être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes du IV de l'article 11 de la loi du

13 juillet 1983 : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ".

10. Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

11. Si la protection résultant du principe rappelé au point précédent n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

12. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".

13. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

14. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

15. Mme B... soutient qu'elle a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de ses supérieurs hiérarchiques au sein de la direction des soins puis au sein de la direction des soins et des affaires paramédicales centrale de l'AP-HP.

16. Elle fait valoir, dans un premier temps, que son évaluation au titre de l'année 2016, dépourvue d'objectivité, est fondée sur des rumeurs et révèle une intention de nuire du coordinateur général des services. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction que le coordinateur général des services, qui a procédé à son évaluation, ait eu l'intention de l'évincer du service aux motifs qu'il aurait validé les appréciations infondées de son prédécesseur et d'appliquer des consignes qui lui auraient été données pour " faire le ménage aux HUPC ". Il ne résulte pas davantage de l'instruction que le coordinateur général des services aurait estimé que sa gestion avait été remise en cause par Mme B... du seul fait qu'elle avait informé la direction générale du groupe HUPC, sans l'en aviser, du courriel d'un agent de la direction des soins exprimant son mal-être, à la suite du décès de ce dernier. Ainsi que l'a relevé le tribunal, le contenu de l'évaluation de Mme B..., qui est globalement positif à l'exception de la dernière phrase, ne permet pas de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, Mme B... ayant en outre obtenu, le 23 octobre 2017, à la suite de la saisine de la commission administrative paritaire nationale compétente, la révision des éléments litigieux de cette évaluation par le directeur des ressources humaines de l'AP-HP. Ce faisant, Mme B... ne peut être regardée comme apportant des éléments faisant présumer une situation de harcèlement moral. Si elle fait valoir que les courriels des 13 juillet et 28 septembre 2016 du coordinateur général des services s'inscrivent dans un contexte beaucoup plus large et complexe de mise à l'écart et de remise en cause de ses compétences, il résulte de l'instruction que le premier courriel n'a eu d'autre objet que de rappeler à Mme B..., ainsi que l'a, à juste, estimé le tribunal, le circuit hiérarchique des décisions à prendre au sein de la direction des soins, notamment en matière de recrutement, sans remettre en cause la capacité de l'intéressée de se prononcer sur la pertinence d'un recrutement. Le second courriel, pour regrettable que soit la circonstance que son supérieur hiérarchique l'ait également adressé à un cadre de santé qui n'aurait pas dû en être destinataire, n'est pas de nature à établir une marque de défiance à l'encontre de Mme B..., qui a d'ailleurs répondu au coordinateur général des services ainsi qu'aux autres destinataires mis en copie du courriel du 28 septembre 2016, ni à faire présumer une situation de harcèlement moral. Si Mme B... soutient qu'elle a été pénalisée par le coordinateur général des services au motif qu'elle avait alerté la direction générale du groupe HUPC, sans l'en aviser, du courriel d'un agent de la direction des soins exprimant son mal-être, à la suite du décès de ce dernier, elle n'apporte aucun élément faisant présumer un harcèlement moral, alors que son interlocuteur au sein de la direction générale a approuvé sa démarche et proposé l'organisation d'une réunion d'écoute et d'échanges.

17. Mme B... soutient, dans un deuxième temps, que les mesures d'éviction prises par le nouveau directeur général du groupe HUPC s'inscrivent dans un contexte de harcèlement moral. Il résulte toutefois de l'instruction que le directeur général a, dans le cadre de la réorganisation du service, entendu clarifier le pilotage de la direction des soins et décidé que cette direction serait désormais représentée au sein du comité de direction par le coordinateur général des services, qui se chargerait de transmettre les informations diffusées aux agents, en fonction de leurs missions au sein de la direction des soins. Il résulte, en outre, de l'instruction que la redistribution de certaines des missions confiées à Mme B... résulte des erreurs qu'elle a pu commettre, notamment dans le cadre du dossier " désenfumage ", de son désinvestissement de la gestion de l'équipe de la chambre mortuaire et des difficultés rencontrées dans la gestion du service transport. Ces mesures, contrairement à ce que fait valoir Mme B..., ne sont pas suffisantes pour faire présumer un harcèlement moral à son encontre. Ce faisant, Mme B... ne peut fait grief au directeur général du groupe HUPC d'avoir méconnu son obligation de protection à son encontre.

18. Mme B... soutient, enfin, que la décision de l'affecter au sein de la direction des soins et des activités paramédicales de l'AP-HP est constitutif d'un fait de harcèlement moral. Il résulte, toutefois, de l'instruction que l'affectation de Mme B... auprès du directeur des soins et des activités paramédicales, en qualité de chargée de mission à compter du 1er septembre 2017, résulte des difficultés qu'elle a rencontrées précédemment au sein de la direction des soins du groupe HUPC. La circonstance qu'elle occuperait des fonctions qui ne correspondraient pas à son grade n'est pas, dans ces conditions, suffisante pour faire présumer un harcèlement moral, d'autant que Mme B... a indiqué, dans son évaluation de 2018, que " le climat au sein de la direction est serein et propice au bon déroulement de ses missions " et qu'elle trouvait intérêt à exercer les missions qui lui ont été confiées, à savoir " maintenir des relations de travail privilégiées avec les CGS/DS de chaque groupe hospitalier ", " donne[r] une vision élargie et une connaissance transversale des missions des divers interlocuteurs professionnels " en lien avec ses missions et " travailler avec tous les membres de l'équipe de la DSAP centrale en créant une complémentarité professionnelle et multidisciplinaire ". La circonstance, en outre, que l'ancien directeur général du groupe HUPC ait été nommé directeur des ressources humaines de l'AP-HP, alors, au demeurant, qu'il n'est pas établi qu'elle aurait été placée sous son autorité directe, n'est pas de nature à faire présumer un harcèlement moral à son encontre. Par ailleurs, la circonstance qu'elle ait dû quitter son logement de fonctions, consécutivement à son remplacement sur le poste de directeur des soins au sein du groupe HUPC, n'est pas davantage susceptible de faire présumer un harcèlement moral. Il résulte, en effet, de l'instruction que, suite à son remplacement, Mme B... a été informée, par un courrier du 3 juillet 2018, qu'elle ne pouvait plus assurer les gardes administratives pour le groupe HUPC et qu'elle devait envisager son départ de son logement de fonctions. Il lui était en outre précisé qu'elle pourrait de nouveau bénéficier d'un logement de fonctions si elle effectuait des gardes administratives du groupe hospitalier des hôpitaux universitaires Val-de-Seine. Il résulte, d'ailleurs, de l'instruction que Mme B... a présenté une demande en ce sens.

19. Il suit de là que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges, qui n'ont pas renversé la charge de la preuve, ont estimé à tort qu'elle n'avait apporté aucun élément de nature à faire présumer une situation de harcèlement moral à son encontre et qu'elle n'était, dès lors, pas fondée à se prévaloir de la protection fonctionnelle prévue à l'article 11 précité de la loi du 13 juillet 1983.

20. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter sa requête, ensemble ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions que l'Assistance publique -Hôpitaux de Paris présente sur ce même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.

Délibéré après l'audience du 9 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- M. Magnard, premier conseiller,

- Mme H..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2020.

Le rapporteur,

S. H...Le président,

I. BROTONS

Le greffier,

S. DALL'AVA

La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris et au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 19PA01607


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01607
Date de la décision : 21/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sonia BONNEAU-MATHELOT
Rapporteur public ?: Mme JIMENEZ
Avocat(s) : MAZZA

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-12-21;19pa01607 ?
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