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07/07/2020 | FRANCE | N°19PA00998

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 07 juillet 2020, 19PA00998


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande, la société anonyme de gestion de stocks stratégiques (SAGESS) a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 27 juillet 2016 fixant la liste des organismes divers d'administration centrale ayant interdiction de contracter auprès d'un établissement de crédit un emprunt dont le terme est supérieur à douze mois ou d'émettre un titre de créance dont le terme excède cette durée, en tant qu'il l'a inscrite sur la liste. Par une seconde demande, la SAGESS a de

mandé au tribunal d'annuler l'arrêté du

14 août 2017 fixant la liste des org...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande, la société anonyme de gestion de stocks stratégiques (SAGESS) a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 27 juillet 2016 fixant la liste des organismes divers d'administration centrale ayant interdiction de contracter auprès d'un établissement de crédit un emprunt dont le terme est supérieur à douze mois ou d'émettre un titre de créance dont le terme excède cette durée, en tant qu'il l'a inscrite sur la liste. Par une seconde demande, la SAGESS a demandé au tribunal d'annuler l'arrêté du

14 août 2017 fixant la liste des organismes divers d'administration centrale ayant interdiction de contracter auprès d'un établissement de crédit un emprunt dont le terme est supérieur à douze mois ou d'émettre un titre de créance dont le terme excède cette durée, en tant qu'il l'a inscrite sur la liste.

Par un jugement n° 1711029-1715261 du 8 janvier 2019, le tribunal administratif de Paris, après les avoir jointes, a rejeté ces deux demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 7 mars 2019, 21 mai 2019,

3 octobre 2019 et 24 janvier 2020, la société anonyme de gestion de stocks stratégiques (SAGESS) représentée par la SCP Piwnica et Molinié, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 janvier 2019 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 27 juillet 2016 et du 14 août 2017 fixant la liste des organismes divers d'administration centrale ayant interdiction de contracter auprès d'un établissement de crédit un emprunt dont le terme est supérieur à douze mois ou d'émettre un titre de créance dont le terme excède cette durée, en tant qu'ils l'ont inscrite sur la liste ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement qui ne vise pas la directive 2009/119/CE du conseil du 14 septembre 2009 est irrégulier de ce fait ;

- elle ne saurait être regardée comme un organisme divers d'administration centrale ;

- sa classification à des fins statistiques dans cette catégorie est incompatible avec son activité, ses statuts et la volonté du législateur de confier à la profession pétrolière la mission de gérer les stocks stratégiques ;

- elle exerce une activité marchande dans un but lucratif ;

- sa désignation par la loi comme entité centrale de stockage est contraire au droit communautaire ;

- la neutralisation fiscale prévue par l'article 1655 quater du code général des impôts n'est pas un contrôle public ;

- il n'y a pas de gouvernance publique au sens du droit communautaire et du droit français ;

- le ministre qui s'est cru à tort tenu par la liste établie par l'INSEE à méconnu sa propre compétence ;

- les trois ministres intéressés ont eux-mêmes admis par lettre du 6 janvier 2020 que la SAGESS ne constituait pas une entité centrale de stockage au sens de la directive 2009/110/CE et que la loi allait être modifiée en conséquence.

Par des mémoires en défense enregistrés les 29 juillet 2019 et 24 octobre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'administration est liée par l'appréciation de l'INSEE ;

- la SAGESS est un organisme divers d'administration centrale et les moyens de la requête ne sont pas fondés.

La clôture de l'instruction est intervenue le 25 février 2020.

La Cour a pris connaissance du mémoire du ministre de l'action et des comptes publics, enregistré le 18 juin 2020, reçu après la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement 223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009,

- la directive 2011/85/UE du Conseil du 8 novembre 2011,

- le règlement 549/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 et son annexe A,

- la loi n°51-711 du 7 juin 1951,

- la loi n°2010-1645 du 28 décembre 2010,

- le décret 93-132 du 29 janvier 1993,

- le code de l'énergie,

- le code général des impôts,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Péna, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., pour la SAGESS.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa du paragraphe I de l'article 12 de la loi du

28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 :

" Nonobstant toute disposition contraire des textes qui leur sont applicables, ne peuvent contracter auprès d'un établissement de crédit ou d'une société de financement un emprunt dont le terme est supérieur à douze mois, ni émettre un titre de créance dont le terme excède cette durée les organismes français relevant de la catégorie des administrations publiques centrales, au sens du règlement relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux en vigueur, autres que l'Etat, la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la Caisse de la dette publique et la Société de prises de participation de l'Etat. Un arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé du budget établit la liste des organismes auxquels s'applique cette interdiction. ".

2. Par un arrêté en date du 27 juillet 2016, le ministre des finances et des comptes publics et le secrétaire d'Etat chargé du budget ont fixé la liste des organismes divers d'administration centrale ayant interdiction de contracter prévue par ces dispositions et y ont inscrit en annexe 2 la société anonyme de gestion de stocks stratégiques (SAGESS), société chargée de concourir à la constitution et la conservation des stocks stratégiques de pétrole brut et de produits pétroliers. Par un arrêté du 14 août 2017, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics ont maintenu la SAGESS sur cette liste, en annexe 1. La SAGESS relève appel du jugement du 8 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur le moyen tiré de " l'incompétence négative " des signataires de l'arrêté :

3. Aux termes de l'article 1er du règlement n°549/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans l'Union européenne : " 1. Le présent règlement établit le système européen de comptes 2010 (ci-après dénommé " SEC 2010 " ou " SEC "). 2. Le SEC 2010 prévoit : a) une méthodologie (annexe A) relative aux normes, définitions, nomenclatures et règles comptables communes, destinée à permettre l'élaboration de comptes et de tableaux sur des bases comparables pour les besoins de l'Union, ainsi que des résultats selon les modalités prévues à l'article 3 (...) ". Aux termes du point 1.01 du chapitre I de l'annexe A du même texte : " Le système européen des comptes (" SEC 2010 " ou simplement " SEC ") est un cadre comptable, compatible au plan international, permettant de décrire de façon systématique et détaillée ce que l'on appelle une " économie totale " (c'est-à-dire une région, un pays ou un groupe de pays), ses composantes et ses relations avec d'autres économies totales ". Aux termes du §16 de la directive 2011/85/UE du Conseil du 8 novembre 2011 sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des Etats membres : " ces règles (budgétaires chiffrées) devraient se fonder sur des analyses fiables et indépendantes réalisées par des organismes indépendants ou jouissant d'une autonomie fonctionnelle à l'égard des autorités budgétaires des Etats membres ". Aux termes de l'article 4 du règlement 223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 relatif aux statistiques européennes : " Le système statistique européen (SSE) est le partenariat entre l'autorité statistique communautaire, c'est-à-dire la Commission (Eurostat), et les instituts nationaux de statistique (INS) ainsi que les autres autorités nationales responsables dans chaque Etat membre du développement, de la production et de la diffusion de statistiques européennes ". Aux termes de l'article 5bis du même texte : " 1. Au sein de leur système statistique national, les Etats membres garantissent l'indépendance professionnelle des agents chargés des tâches énoncées dans le présent règlement (...)2. A cette fin, les dirigeants des INS : (...) c) agissent de manière indépendante lors de l'exécution de leurs tâches statistiques et ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucun gouvernement, institution, organe, organisme ou entité (...) ". L'article 1 de la loi n°51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière statistiques prévoit que : " La conception, la production et la diffusion des statistiques publiques sont effectuées en toute indépendance professionnelle. ".

4. Aux termes du point 1.35 de l'annexe A du règlement 549/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 : " Le secteur public comprend toutes les unités institutionnelles résidentes de l'économie nationale qui sont contrôlées par les administrations publiques. ". Le point 2.38 précise : " Une administration publique peut exercer le contrôle d'une société en s'appuyant sur une loi, un décret ou une disposition réglementaire spécifique qui lui donne le pouvoir de déterminer la politique de la société. Les huit indicateurs suivants sont les principaux facteurs à prendre en considération pour déterminer si une société est sous contrôle public : a) une administration publique possède la majorité des droits de vote ; b) une administration publique contrôle le conseil d'administration ou tout autre organe directeur ; c) une administration publique contrôle la nomination et la destitution du personnel clé ; d) une administration publique contrôle les principaux comités de l'entité ; e) une administration détient une action préférentielle ; f) il existe une disposition réglementaire spécifique ; g) les administrations publiques sont un client dominant de la société ; h) la société emprunte auprès d'une administration publique. Si un indicateur unique peut être suffisant pour établir le contrôle, dans certains cas, plusieurs indicateurs distincts peuvent indiquer ensemble le contrôle. ".

5. S'il résulte des dispositions citées au point 3 du présent arrêt qu'il revient à un organisme indépendant ou jouissant d'une autonomie fonctionnelle à l'égard des autorités budgétaires de l'Etat de fournir aux instances de l'Union Européenne l'ensemble des données statistiques et comptables exigées par les réglementations communautaires, ces dispositions ne confèrent pas en elles-mêmes à cet organisme une compétence pour déterminer les catégories juridiques correspondant aux données statistiques qu'il transmet. En l'absence de texte qui préciserait le rôle respectif de l'INSEE et des ministres dans la détermination de la liste de organismes français relevant de la catégorie des administrations publiques centrales, il résulte des dispositions de l'article 12 de la loi du 28 décembre 2010, citées au point 1, que cette liste est fixée par l'arrêté conjoint, mentionné par ce texte, du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé du budget à qui il revient exclusivement de déterminer si les organismes entrent dans le champ du secteur public au regard des indicateurs mentionnés au point 4 du présent arrêt. Dans l'appréciation juridique à laquelle ils se livrent, les ministres ne sauraient être légalement tenus par les listes établies aux fins de transmission de données statistiques aux instances européennes par l'INSEE, dont l'autonomie fonctionnelle vise simplement à garantir la sincérité des données statistiques et comptables fournies aux organismes communautaires. En renonçant à exercer le pouvoir de détermination des organismes français relevant de la catégorie des administrations publiques centrales qui leur incombe en vertu de l'article 12 de la loi du

28 décembre 2010 et en s'en remettant exclusivement à l'appréciation de l'INSEE ainsi qu'ils l'indiquent en défense, les ministres ont donc méconnu l'étendue de leur compétence et entachés leur décision d'une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement et sur les autres moyens de la requête, que la SAGESS est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation des arrêtés du 27 juillet 2016 et du 14 août 2017 fixant la liste des organismes divers d'administration centrale en tant qu'ils l'ont inscrite sur la liste.

Sur les frais de justice :

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées par la SAGESS sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 janvier 2019 est annulé.

Article 2 : Les arrêtés du 27 juillet 2016 et du 14 août 2017 fixant la liste des organismes divers d'administration centrale sont annulés en tant qu'ils ont inscrit la SAGESS sur cette liste.

Article 3 : Les conclusions de la SAGESS présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : le présent arrêt sera notifié à société anonyme de gestion des stocks de sécurité et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 23 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. B..., premier vice-président,

- M. A..., président assesseur,

- Mme Mornet, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 7 juillet 2020.

Le rapporteur,

Ch. A...Le président,

M. B...

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 19PA00998


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00998
Date de la décision : 07/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SCP PIWNICA-MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-07;19pa00998 ?
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