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26/05/2020 | FRANCE | N°18PA01182

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 26 mai 2020, 18PA01182


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... I... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral et du préjudice d'image subis en raison de la décision du 20 avril 2016 par laquelle le préfet de police a ordonné une perquisition administrative à son domicile à compter du 22 avril 2016 à 06h00.

Par l'article 3 du jugement n° 1708802/3-1;1708817/3-1 du 17 octobre 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure d

evant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 9 avril 2018, Mme I..., représentée pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... I... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral et du préjudice d'image subis en raison de la décision du 20 avril 2016 par laquelle le préfet de police a ordonné une perquisition administrative à son domicile à compter du 22 avril 2016 à 06h00.

Par l'article 3 du jugement n° 1708802/3-1;1708817/3-1 du 17 octobre 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 9 avril 2018, Mme I..., représentée par Me G..., demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 3 de ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 17 octobre 2017 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la décision du 20 avril 2016 par laquelle le préfet de police a ordonné une perquisition administrative à son domicile à compter du 22 avril 2016 à 06h00, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi que la somme de 13 euros, au titre des droits de plaidoirie.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif ne pouvait rejeter ses conclusions indemnitaires sans s'assurer du bien-fondé des motifs de la décision du 20 avril 2016 par laquelle le préfet de police a ordonné la perquisition de son domicile ; en statuant ainsi, il a méconnu l'office du juge ;

- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision du 27 janvier 2016 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a interdit de sortir du territoire français pour une durée de six mois ;

- le préfet de police a commis une erreur de droit en s'estimant en situation de compétence liée pour l'adoption de la décision en litige ;

- l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache aux motifs du jugement n° 1607642/3-1 du 19 juillet 2016 ayant annulé la décision d'interdiction de sortie du territoire du 27 janvier 2016 entraîne l'illégalité de la perquisition administrative en litige dès lors que celle-ci était fondée sur les mêmes motifs que l'interdiction de sortie du territoire ;

- le préfet de police a commis une erreur d'appréciation en estimant qu'il existerait des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ;

- l'illégalité de sa décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- l'autorité de police a aussi commis une faute dans l'exécution matérielle de la perquisition au cours de laquelle un lourd dispositif a été déployé devant son jeune enfant, des stores ont été arrachés, sa serrure a été endommagée, et des propos désobligeants ont été tenus à son encontre ;

- ces fautes lui ouvrent droit à la réparation du préjudice moral et du préjudice d'image qu'elles lui ont causés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme I... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 13 mars 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 mars 2019.

Mme I... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 9 février 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

- la loi n° 2016-162 du 19 février 2016 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. H...,

- et les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 20 avril 2016, le préfet de police a ordonné la perquisition de l'appartement dans lequel réside Mme I..., estimant que son comportement constituait une menace pour la sécurité et l'ordre publics, en raison de sa radicalisation religieuse, des liens étroits qu'elle entretient avec la mouvance jihadiste internationale et de sa volonté de rejoindre la Syrie, au motif qu'il existerait des raisons sérieuses de penser que des objets dont l'exploitation pourrait permettre de prévenir une menace terroriste, pourraient se trouver dans cet appartement. Par un jugement n° 1607960/3-1 du 19 juillet 2016, le Tribunal administratif de Paris a annulé cette décision. Par un arrêt n° 16PA03600 du 13 juin 2017, la Cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement, et rejeté les conclusions aux fins d'annulation de Mme I.... Par l'article 3 de son jugement n° 1708802/3-1;1708817/3-1 du 17 octobre 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions de Mme I... aux fins d'indemnisation des préjudices qu'elle soutenait avoir subis du fait de cette perquisition. Mme I... fait appel de l'article 3 de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si Mme I... soutient que le Tribunal administratif aurait dû vérifier l'exactitude matérielle des faits à l'origine de l'adoption de la décision en litige, le bien-fondé du jugement du tribunal administratif est sans incidence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, visée ci-dessus : " I.- Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, (...), lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. (...) ". Aux termes de l'article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure : " Tout Français peut faire l'objet d'une interdiction de sortie du territoire lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'il projette :/ 1° Des déplacements à l'étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes ; / 2° Ou des déplacements à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes, dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français (...) ".

4. L'article 11 de la loi du 3 avril 1955 permet aux autorités administratives compétentes d'ordonner des perquisitions dans les lieux qu'il mentionne lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ces lieux sont fréquentés par au moins une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Il appartient au juge administratif d'exercer un entier contrôle sur le respect de cette condition, afin de s'assurer, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, que la mesure ordonnée était adaptée, nécessaire et proportionnée à sa finalité, dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Ce contrôle est exercé au regard de la situation de fait prévalant à la date à laquelle la mesure a été prise, compte tenu des informations dont disposait alors l'autorité administrative sans que des faits intervenus postérieurement, notamment les résultats de la perquisition, n'aient d'incidence à cet égard.

5. En premier lieu, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale.

6. Il résulte des dispositions du code de la sécurité intérieure et de la loi du 3 avril 1955 citées au point 2 que les décisions d'interdiction de sortie du territoire et de perquisition administrative sont des décisions distinctes pouvant être prises de manière parfaitement indépendante les unes des autres. Par conséquent, la décision de procéder à la perquisition administrative du domicile de Mme I... n'a pas été prise pour l'application de la décision du 27 janvier 2016 par laquelle le ministre de l'intérieur lui avait par ailleurs interdit de sortir du territoire français, qui ne constitue pas non plus la base légale de la décision de perquisition. Dès lors, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision d'interdiction de sortie du territoire français est inopérant.

7. En deuxième lieu, le présent arrêt n'ayant pas le même objet que le jugement n° 1607642/3-1 du 19 juillet 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision d'interdiction de sortie du territoire du 27 janvier 2016, mentionnée au point qui précède, Mme I... n'est pas fondée à invoquer l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache aux motifs de ce jugement, pour contester la légalité de la perquisition administrative ordonnée par la décision du préfet de police du 20 avril 2016.

8. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le préfet de police se serait cru en situation de compétence liée pour prendre la décision ordonnant la perquisition en litige.

9. En quatrième lieu, il résulte des éléments précis et circonstanciés mentionnés dans une " note blanche " des services de renseignement, que Mme I... s'est convertie à l'Islam depuis plusieurs années et s'est radicalisée, qu'elle a effectué de nombreux voyages dans les pays du Moyen-Orient, qu'elle a été la seconde épouse de M. K... E..., connu pour son extrémisme religieux et ses différentes expulsions du Yémen et des Emirats Arabes Unis et qu'ensemble, ils ont été expulsés d'Egypte le 28 janvier 2008. Cette même note mentionne en outre qu'en 2009, Mme I... est devenue l'épouse religieuse de M. J..., détenu pour terrorisme avec lequel elle entretenait une correspondance, et connu pour être en relation avec M. D... C.... Cette note précise que Mme I... a été également en relation avec Mme A... B..., ressortissante belge, veuve successive de deux kamikazes, et condamnée par les justices suisse et belge en 2010 pour avoir créé et dirigé un groupe à visées terroristes. Cette note mentionne également qu'elle se serait félicitée des attentats de janvier 2015 et qu'elle a manifesté son intention de partir en Syrie. Mme I... reconnaît avoir entretenu de tels liens avec les membres de la mouvance jihadiste entre 2006 et 2010, tout en se défendant d'avoir adhéré aux thèses jihadistes et en soutenant s'en être éloignée après 2010. Si Mme I... conteste son intention de rejoindre la Syrie, il est constant qu'elle s'est rendue en Turquie par avion entre le 14 et 25 décembre 2015 avec son fils mineur. Si elle soutient avoir réalisé ce voyage à Istanbul dans le but d'y bénéficier d'une intervention de chirurgie esthétique capillaire prévue dès le mois d'octobre 2015, en produisant des pièces susceptibles de justifier de la réalité des faits dont elle se prévaut, elle n'a produit ni devant le Tribunal administratif, ni devant la Cour, aucune pièce de nature à établir la réalité des conséquences opératoires de l'intervention chirurgicale dont elle fait état pour expliquer la prolongation de son séjour en Turquie au-delà du 19 décembre 2015, date de retour initialement prévue. Par ailleurs, Mme I... ne produit aucun élément sur sa situation professionnelle et l'origine de ses ressources. Dès lors, il ne résulte pas de l'instruction que Mme I..., se serait rendue en Turquie uniquement pour subir cette intervention chirurgicale. Ainsi, Mme I... n'est pas fondée à soutenir que le préfet de police aurait entaché sa décision d'erreur d'appréciation en estimant qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que son comportement constituait une menace pour la sécurité et l'ordre publics justifiant une perquisition de son domicile.

10. Par suite, et dès lors que la décision du 20 avril 2016 n'est entachée d'aucune illégalité fautive, les conclusions de Mme I... tendant à la réparation des préjudices nés de cette décision, ne peuvent qu'être rejetées.

11. En dernier lieu, Mme I... n'établit pas davantage devant la Cour qu'en première instance, que des fautes auraient été commises dans l'exécution de la perquisition ordonnée par la décision du 20 avril 2016. Ses conclusions tendant à la réparation des préjudices résultant des conditions matérielles d'exécution de la perquisition doivent donc être rejetées par adoption des motifs retenus par les premiers juges.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme I... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme I... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... I... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 10 mars 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugoudeau, président de chambre,

- M. H..., président assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Lu en audience publique le 26 mai 2020.

Le rapporteur,

J-C. H...Le président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

T. ROBERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 18PA01182 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01182
Date de la décision : 26/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Police - Aggravation exceptionnelle des pouvoirs de police - État d'urgence.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services de police - Services de l'Etat - Intervention des forces de police.


Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : VERNON

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-05-26;18pa01182 ?
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