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14/02/2020 | FRANCE | N°17PA01505

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 14 février 2020, 17PA01505


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 167 417,52 euros, en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral qu'il estime avoir subi et des fautes commises dans la gestion de sa carrière.

Par un jugement n° 1521283/5-1 du 16 mars 2017, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 5 000 euros, assortie des intérêts au taux légal.

Procédure devant la Cour :

Par

une requête et un mémoire, enregistrés le 2 mai 2017 et le 9 octobre 2019, M. A..., représenté ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 167 417,52 euros, en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral qu'il estime avoir subi et des fautes commises dans la gestion de sa carrière.

Par un jugement n° 1521283/5-1 du 16 mars 2017, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 5 000 euros, assortie des intérêts au taux légal.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 mai 2017 et le 9 octobre 2019, M. A..., représenté par la Selafa Cabinet Cassel, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Paris a limité à 5 000 euros la condamnation de l'Etat au titre des préjudices qu'il estime avoir subis du fait d'un harcèlement moral et des fautes commises dans la gestion de sa carrière ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser un surplus de 162 417,52 euros, à parfaire, en réparation de ces préjudices, outre les intérêts de droit à compter de la date de réception de sa demande préalable ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que le secret du délibéré a été violé, en méconnaissance de l'article L. 8 du code de justice administrative ;

- le jugement est entaché d'insuffisance de motivation, s'agissant du motif relatif à la perte de chance d'être promu commissaire divisionnaire, compte tenu de la contradiction entre les deux versions du jugement qui lui ont été notifiées ;

- le jugement est irrégulier en ce que la contradiction susmentionnée révèle un manque de sérieux dans le traitement de son dossier par le Tribunal administratif de Paris ;

Sur la responsabilité :

- sa mise à l'écart et la dégradation de ses conditions de travail à partir de 2003, suivies d'une baisse brutale de sa notation au titre de 2004 et du refus de le faire bénéficier d'un avancement au grade de commissaire divisionnaire en 2006 sont des éléments de fait de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre ;

- sa " mise au placard ", à compter de 2003, ainsi que la baisse de sa notation au titre de 2004, constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de l'administration ;

- le défaut de régularisation de sa fiche de notation au titre de 2004, suite à l'annulation de celle-ci par le Tribunal administratif de Paris par son jugement du 27 mars 2013, constitue également une faute qui engage la responsabilité de l'administration ;

- la décision du ministre de l'intérieur du 30 mars 2006 refusant de le maintenir en activité au-delà de la limite d'âge est illégale au fond, contrairement à ce qu'a estimé la Cour, dans son arrêt n° 13PA0002 du 31 décembre 2013, dès lors qu'elle est fondée sur la fiche de notation au titre de 2004, dont le Tribunal administratif de Paris, par son jugement du 27 mars 2013, pourvu de l'autorité de la chose jugée, a estimé qu'elle était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- l'illégalité de sa fiche de notation au titre de 2004, ainsi que celle du refus de le maintenir en activité au-delà de la limite d'âge, lui ont fait perdre une chance certaine, ou au moins sérieuse, d'être promu au grade de commissaire divisionnaire à la date du 1er avril 2006, ce qui l'a privé d'une prolongation d'activité jusqu'au 31 décembre 2007 avec traitements et indemnités ainsi que d'une pension de retraite revalorisée ;

- de nombreux témoignages en sa faveur établissent cette perte de chance d'être promu commissaire divisionnaire ;

- la gestion négligente voire calamiteuse de sa carrière révèle une faute de l'Etat de nature à engager sa responsabilité ;

Sur le préjudice :

- le préjudice de perte de chance certaine ou au moins sérieuse d'être promu au grade de commissaire divisionnaire lui a fait subir, entre le 1er avril 2006 et le 31 décembre 2007, un manque à gagner de 50 018 euros ;

- le même préjudice l'a privé d'une revalorisation de sa pension de retraite représentant un manque à gagner de 54 399 euros ;

- il a subi un préjudice moral qui doit être évalué à la somme de 30 000 euros ;

- l'ensemble des frais qu'il a exposés au titre des diverses instances qu'il a dû introduire pour faire valoir ses droits doit être évalué à la somme de 28 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés s'en rapportant, pour certains moyens, à son mémoire en défense présenté devant le Tribunal administratif de Paris.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

- et les observations de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été titularisé dans le corps des commissaires de police par un arrêté ministériel en date du 29 septembre 1993, à compter du 1er août 1993, et promu au grade de commissaire principal à compter du 10 août 1996. Par un arrêté préfectoral du 15 avril 1998, il a été nommé chef du parc sud au département des transports de la direction opérationnelle des services techniques et logistiques de la préfecture de police. Estimant avoir fait l'objet, à partir de l'année 2003, d'un harcèlement moral et de diverses fautes commises dans la gestion de sa carrière, il a formé une demande préalable, reçue par le ministre de l'intérieur le 12 décembre 2014, tendant à la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, à hauteur d'une somme de 156 750 euros, à parfaire. Le ministre de l'intérieur a implicitement rejeté cette demande. M. A... relève appel du jugement du 16 mars 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a limité à 5 000 euros la condamnation de l'Etat. M. A... demande en outre à la Cour de condamner l'Etat à lui verser un surplus de 162 417,52 euros, à parfaire, en réparation des préjudices susmentionnés.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. M. A... soutient que le jugement attaqué est irrégulier en ce que le secret du délibéré a été violé, dès lors qu'un projet de jugement, très différent du jugement définitif, a été porté à sa connaissance et lui a révélé, d'une part, l'opinion d'un des membres de la formation de jugement, très probablement celle du magistrat rapporteur et, d'autre part, l'évolution de la réflexion de cette formation jusqu'au terme de ce délibéré.

3. Il ressort des pièces du dossier qu'alors que, par le jugement attaqué, notifié au requérant le 21 mars 2017, le Tribunal administratif de Paris a estimé qu'il ne résultait pas de l'instruction que M. A... avait une chance sérieuse d'être promu au grade de commissaire divisionnaire au titre de l'année 2006 et a écarté, en conséquence, ce chef de préjudice, un projet de jugement avait été notifié le 20 mars 2017 au conseil de M. A..., motivé, notamment, par le fait que ce dernier avait subi un préjudice de perte de chance d'être promu à ce même grade ainsi qu'un préjudice moral, lesquels justifiaient la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 30 000 euros, portée à l'article premier de ce projet de jugement.

4. Aux termes de l'article L. 8 du code de justice administrative : " Le délibéré des juges est secret ". Il résulte de ces dispositions que la communication à M. A... d'un projet de décision, non signé et significativement différent du jugement définitif, qui a eu pour effet de révéler à celui-ci l'opinion d'un des magistrats appelés à délibérer, à tout le moins à la date d'élaboration de ce projet, a entaché d'irrégularité le jugement finalement adopté. Par suite et sans qu'il besoin de se prononcer sur les autres moyens de régularité invoqués, M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M.A... devant le Tribunal administratif de Paris.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité :

6. En premier lieu, M. A... soutient que sa " mise au placard ", à compter de 2003, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Si le requérant, qui occupait, ainsi qu'il a été dit au point 1, le poste de chef du parc sud au département des transports de la direction opérationnelle des services techniques et logistiques (DOSTL) de la préfecture de police, fait notamment valoir qu'il a été exclu de l'ensemble des réunions de direction, il ne l'établit par aucun document. En outre, il résulte de l'instruction, notamment de la lettre du 11 octobre 2005 du directeur de la logistique au préfet de police, relative à la demande de maintien en activité de M. A..., que si ce dernier a été effectivement mis à l'écart en 2003/2004 et confiné dans une certaine inactivité par sa direction, en raison du conflit qui l'opposait à celle-ci à propos de la réorganisation de la DOSTL, une telle situation est également imputable à l'intéressé, du fait de son propre repli et des démarches insistantes faites par lui pour quitter cette direction. De plus, il résulte des motifs de l'arrêt du Conseil d'Etat n° 326700 du 16 juillet 2010 que c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Paris, par son jugement n° 0608204 du 19 février 2009, a considéré que la décision d'affectation de M. A..., à compter de décembre 2004, sur un poste de chargé de mission, n'était pas dépourvu d'attributions effectives et ne constituait ni une nomination pour ordre ni une sanction déguisée, dès lors notamment que ce poste était mentionné dans l'organigramme de septembre 2005 de la direction précitée et qu'il a été occupé par un autre commissaire de police, postérieurement à la mise à la retraite du requérant. Enfin, dans la fiche de notation de l'intéressé au titre de 2005, le directeur de la logistique indique que M. A..., après sa période de mise à l'écart, " a su reprendre pied " et que " les deux importantes études que je lui ai confiées (sécurité et périmètre de la direction) ont été menées à bien avec conscience et efficacité ". Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M.A... n'est pas fondé à soutenir que sa situation, à compter de 2003, s'apparenterait à une " mise au placard ".

7. En deuxième lieu, M. A... soutient que la baisse de sa notation au titre de l'année 2004 est illégale et constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Il résulte de l'instruction que, par son jugement n° 0608204 du 23 décembre 2010, devenu définitif, le Tribunal administratif de Paris a annulé la fiche de notation initiale du 19 novembre 2004 de M.A... au titre de l'année 2004 et, par son jugement n° 1109677 et 1120402 du 27 mars 2013, également devenu définitif, le même tribunal a annulé la fiche de notation révisée du 20 mai 2011 de M. A... au titre de l'année 2004, faisant suite à l'injonction de réexamen de cette notation ordonnée par le jugement du 23 décembre 2010. En outre et malgré l'injonction faite au ministre de l'intérieur, dans les motifs du jugement du 27 mars 2013, de faire procéder à une nouvelle notation de M. A... pour l'année 2004 dans un délai de trois mois, celle-ci n'a pas été mise en oeuvre. Dès lors, et ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, tant l'illégalité des notations successives de M. A... au titre de 2004 que l'inexécution du jugement du 27 mars 2013 au regard de l'injonction de procéder à une nouvelle notation constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

8. En troisième lieu, M. A... soutient que sa fiche de notation au titre de l'année 2004, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, ainsi que l'a estimé le Tribunal administratif de Paris par son jugement n° 1109677 et 1120402 du 27 mars 2013, devenu définitif ainsi qu'il a été dit au point 7, a servi de fondement à la décision du ministre de l'intérieur du 30 mars 2006 refusant de le maintenir en activité au-delà de la limite d'âge. Cette dernière décision, qui l'a empêché de bénéficier, au titre d'une prolongation d'activité jusqu'au 31 décembre 2007, de ses traitements et indemnités ainsi que d'une pension de retraite revalorisée, serait, dès lors, selon le requérant, également entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Il résulte toutefois des motifs de l'arrêt n° 13PA00902 de la présente Cour du 31 décembre 2013, devenu définitif dès lors que le pourvoi formé par M. A... contre cet arrêt a fait l'objet d'un refus d'admission par le Conseil d'Etat par une décision n° 375797 du 29 septembre 2014, que la décision du ministre de l'intérieur du 30 mars 2006, si elle est entachée d'un défaut de motivation, est justifiée au fond, pour des motifs qui relèvent de l'intérêt du service, et qu'elle ne procède en tout état de cause pas de la décision de notation de M. A... au titre de 2004. Cette appréciation, revêtue de l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache aux motifs de cet arrêt qui sont le soutien nécessaire de son dispositif, n'est plus susceptible d'être discutée au contentieux. Il s'ensuit que la fiche de notation de M. A... au titre de 2004 n'a pas, contrairement à ce que celui-ci soutient, servi de fondement à la décision précitée du 30 mars 2006 et, en conséquence, que l'intéressé ne peut utilement invoquer l'autorité de la chose jugée qui s'attacherait aux motifs du jugement du Tribunal administratif de Paris du 27 mars 2013, selon lesquels sa notation au titre de 2004 est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que seule l'illégalité tenant au défaut de motivation de la décision du ministre de l'intérieur du 30 mars 2006 est de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

9. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que, par ses deux jugements n° 0608204 du 23 décembre 2010 et n° 1109677 et 1120402 du 27 mars 2013, le Tribunal administratif de Paris a annulé les arrêtés des 3 janvier 2006 et 26 octobre 2011 refusant l'inscription de M. A... au tableau d'avancement au grade de commissaire divisionnaire au titre de l'année 2006. L'illégalité de ces arrêtés constitue également une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, introduit par la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération :1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ;2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ;3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ".

11. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour être qualifiés de harcèlement moral, les agissements en cause doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles n'est pas constitutive de harcèlement moral.

12. M. A... soutient qu'alors que sa carrière s'était déroulée jusque-là dans de très bonnes conditions, il aurait fait l'objet, à partir des années 2003/2004, d'une série d'actes de gestion illégaux associée à une dégradation de ses conditions de travail, constitutives, selon lui, d'un harcèlement moral. Cette série d'actes consiste, selon lui, en une baisse brutale de sa notation au titre de 2004, qui ne lui a été communiquée que fin 2005, une " mise au placard " s'étant traduite par une affectation sur un poste de chargé de mission non nomenclaturé, un refus d'avancement au grade de commissaire divisionnaire ainsi qu'une radiation des cadres à compter de juillet 2006, alors qu'il avait sollicité une prolongation d'activité. Il résulte toutefois de l'instruction que, en premier lieu et ainsi qu'il a été dit au point 6, la " mise au placard " alléguée par M. A... n'est pas établie et ne saurait, dès lors, être utilement invoquée par lui au soutien du moyen tiré du harcèlement moral. En second lieu et ainsi qu'il a été dit au point 8, la décision du ministre de l'intérieur du 30 mars 2006 refusant de maintenir M. A... en activité au-delà de la limite d'âge, préalable à son admission à la retraite à compter du 1er juillet 2006 et à sa radiation des cadres, était justifiée au fond pour des motifs relevant de l'intérêt du service. Cette décision ne saurait, par suite, être davantage utilement invoquée par l'intéressé alors, en tout état de cause, que la Cour a estimé, dans son arrêt précité du 31 décembre 2013, que cette décision ne saurait être regardée comme " relevant d'agissements présentant les caractères d'un harcèlement moral en méconnaissance de 1'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ". Enfin, si M. A... a fait l'objet de certaines mesures de gestion qui ont été ultérieurement jugées illégales, comme la baisse de sa notation au titre de l'année 2004 et le refus de son inscription au tableau d'avancement au grade de commissaire divisionnaire au titre de l'année 2006, ces seules mesures ne suffisent pas à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part de la hiérarchie de M. A.... Ce dernier, par suite, n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat serait engagée pour harcèlement moral.

13. Enfin, si M. A... soutient que " l'administration a géré sa carrière de manière particulièrement négligente, erratique et, au final, calamiteuse ", ce qui constituerait une faute supplémentaire de nature à engager la responsabilité de l'Etat, une telle appréciation n'est pas corroborée par les pièces du dossier.

En ce qui concerne le préjudice :

14. En premier lieu, M. A... soutient que l'évaluation illégale dont il a fait l'objet au titre de 2004 a servi de fondement à la décision, elle-même illégale, de refus d'inscription au tableau d'avancement au grade de commissaire divisionnaire au titre de l'année 2006. Il invoque, par suite, un préjudice de perte de chance certaine, ou au moins sérieuse, d'être promu au grade de commissaire divisionnaire. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment des écritures du requérant lui-même, ainsi que de l'ensemble des pièces et témoignages produits, qu'à compter de 2003 a été engagée, au sein de la préfecture de police, une réorganisation en profondeur de la direction opérationnelle des services techniques et logistiques (DOSTL) à laquelle M. A... appartenait. Dans ce cadre, M. A... s'est trouvé en conflit avec sa direction, à tout le moins jusqu'à la fin 2004, au sujet des orientations et de la mise en oeuvre de cette réorganisation. A cet égard, il résulte de la lettre du 11 octobre 2005 mentionnée au point 6, adressée par le supérieur hiérarchique de M. A..., directeur de la logistique, au préfet de police, telle qu'évoquée par la présente Cour, dans son arrêt précité du 31 décembre 2013, " qu'il était impossible de le maintenir (M. A...) au sein de la direction de la logistique où il avait perdu toute crédibilité en raison de son comportement de repli face à la réorganisation du service et de ses démarches insistantes pour quitter cette direction ". En outre, le même arrêt mentionne que les appréciations du supérieur hiérarchique de M. A... " traduisent la réalité des conflits intervenus entre l'intéressé et sa direction à l'occasion de cette réorganisation et un manque de confiance à son égard rendant difficile son maintien au sein du service ". Il résulte de ce qui précède que, indépendamment de l'incidence de la baisse de notation de M. A... au titre de 2004 sur la décision refusant son inscription au tableau d'avancement au grade de commissaire divisionnaire, le positionnement de l'intéressé au sein de la DOSTL, tel qu'analysé ci-dessus, ne permet pas de le faire regarder comme ayant disposé d'une chance sérieuse d'être promu au grade de commissaire divisionnaire au titre de l'année 2006. Par suite, ce chef de préjudice doit être écarté.

15. En deuxième lieu, M. A... soutient que l'évaluation illégale dont il a fait l'objet au titre de 2004 ayant également servi de fondement à la décision du ministre de l'intérieur du 30 mars 2006 refusant de le maintenir en activité au-delà de la limite d'âge, il a été privé d'une prolongation d'activité qui lui aurait permis de bénéficier, au plus tard jusqu'au 31 décembre 2007, de ses traitements et indemnités ainsi que d'une pension de retraite revalorisée. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 8, la fiche de notation de M. A... au titre de 2004 n'a pas servi de fondement à la décision précitée du 30 mars 2006. Par suite, ce chef de préjudice doit être également écarté.

16. En troisième lieu, M. A... soutient qu'il a subi un important préjudice moral du fait des différentes décisions illégales dont il a fait l'objet, à savoir l'illégalité de sa fiche de notation au titre de 2004, la décision du ministre de l'intérieur du 30 mars 2006 refusant de le maintenir en activité au-delà de la limite d'âge ainsi que la décision de refus d'inscription au tableau d'avancement au grade de commissaire divisionnaire au titre de l'année 2006. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant à M. A... une somme de 5 000 euros.

17. Enfin, M. A... invoque le préjudice subi au titre des diverses instances engagées par lui devant la juridiction administrative. Il produit à cet égard, pour la première fois en appel, un état d'honoraires de la société d'avocats Bettinger et Associés, daté du 26 mai 2006, dont l'un des libellés est " recherches, préparation et rédaction de l'importante requête pour excès de pouvoir du 20 mai 2006 tendant à l'annulation du rejet du recours gracieux et des chefs de préjudice qui y étaient visés ", pour un montant global de 8 084,96 euros. A supposer que cet état d'honoraires soit relatif à l'instance n° 0608204 ayant donné lieu au jugement du Tribunal administratif de Paris du 19 février 2009, dans laquelle M. A... a présenté une requête enregistrée le 26 mai 2006, il incombait à celui-ci de présenter ce document à l'occasion de cette instance, laquelle est définitivement close. En tout état de cause, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative faisaient obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'était pas dans cette instance la partie perdante, le versement de la somme demandée par M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il s'ensuit que ce chef de préjudice doit être rejeté.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des fautes commises dans la gestion de sa carrière. Le surplus de sa demande doit, en conséquence, être rejeté.

En ce qui concerne les intérêts :

19. M. A... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 5 000 euros à compter du 12 décembre 2014, date de réception de sa demande préalable par le ministre de l'intérieur.

Sur les frais liés au litige :

20. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. A... sur le fondement des dispositions qui précèdent.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1521283/5-1 du 16 mars 2017 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : L'Etat versera à M. A... la somme de 5 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2014.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de M. A... et de ses conclusions d'appel est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 31 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

- Mme B..., président de chambre,

- Mme D..., présidente-assesseure,

- M. C..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 14 février 2020.

Le rapporteur,

P. C...

Le président,

M. B... Le greffier,

S. GASPAR

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA01505


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA01505
Date de la décision : 14/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Notation et avancement - Notation.

Fonctionnaires et agents publics - Notation et avancement - Avancement - Avancement de grade - Tableaux d'avancement.

Fonctionnaires et agents publics - Cessation de fonctions - Mise à la retraite pour ancienneté - limites d'âge.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : S.E.L.A.F.A. CABINET CASSEL

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-02-14;17pa01505 ?
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