La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/09/2019 | FRANCE | N°18PA02632

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 24 septembre 2019, 18PA02632


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler les décisions par lesquelles le préfet du Val-de-Marne a implicitement refusé d'abroger l'arrêté du ministre de l'intérieur du 21 mars 1988 prononçant son expulsion et a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1800690 du 3 mai 2018, le tribunal administratif de Melun a annulé ces décisions, a enjoint au préfet du Val-de-Marne de délivrer à M. E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et

familiale " et a mis le versement d'une somme de 1 200 euros à la charge de l'Etat en a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler les décisions par lesquelles le préfet du Val-de-Marne a implicitement refusé d'abroger l'arrêté du ministre de l'intérieur du 21 mars 1988 prononçant son expulsion et a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1800690 du 3 mai 2018, le tribunal administratif de Melun a annulé ces décisions, a enjoint au préfet du Val-de-Marne de délivrer à M. E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et a mis le versement d'une somme de 1 200 euros à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 31 juillet 2018, le préfet du Val-de-Marne demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1800690 du 3 mai 2018 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. E... devant ce tribunal ;

3°) de mettre à la charge de M. E... le versement d'une somme de 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le préfet du Val-de-Marne soutient que M. E... représentant toujours une menace grave pour l'ordre public au sens de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'intéressé ne saurait se prévaloir des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'atteinte disproportionnée qui serait portée au respect de son droit à une vie privée et familiale normale, en conséquence de quoi il n'y a pas lieu d'enjoindre à l'administration de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 novembre 2018, 6 septembre 2019 et

6 septembre 2019, M. E..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit fait injonction au préfet de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. E... soutient que les décisions portant refus d'abrogation de l'arrêté et refus de titre de séjour sont insuffisamment motivées et entachées de défaut d'examen de sa situation et qu'elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors même qu'il ne représente plus une menace à l'ordre public et qu'il est en droit d'obtenir la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale ".

Les parties ont été informées le 3 juillet 2019, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que le jugement du tribunal administratif ne pouvait être rendu en l'absence de prononcé de conclusions à l'audience du rapporteur public, le litige dont le tribunal était saisi relevant du contentieux de l'expulsion qui ne figure pas parmi ceux pour lesquels le président de la formation de jugement peut accorder une dispense en application des dispositions de l'article R. 732-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., avocat de M. E....

Une note en délibéré, présentée pour M. E..., a été enregistrée le 10 septembre 2019.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant marocain né le 4 septembre 1964, est entré en France en 1972, à l'âge de huit ans. Condamné en 1982 pour des faits de vol avec effraction, de destruction volontaire d'un bien appartenant à autrui et, en 1983, pour des faits de vol avec arme, il a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion du territoire français, le 21 mars 1988. Par un arrêté du

5 juillet 2006, le préfet du Val-de-Marne l'a assigné à résidence et lui a par la suite délivré des autorisations provisoires de séjour, entre le 25 octobre 2006 et le 18 juin 2017. Par une demande du 30 mars 2017 transmise au préfet du Val-de-Marne le 5 avril 2017, M. E... a sollicité l'abrogation de l'arrêté d'expulsion du 21 mars 1988 et, par voie de conséquence, la délivrance d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale ". Le préfet du Val-de-Marne relève appel du jugement du 3 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Melun a prononcé l'annulation des décisions implicites par lesquelles le préfet du Val-de-Marne a refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion du 21 mars 1988 et de lui délivrer un titre de séjour, lui a enjoint de délivrer à

M. E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 732-1 du code de justice administrative : " Dans des matières énumérées par décret en Conseil d'Etat, le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d'exposer à l'audience ses conclusions sur une requête, eu égard à la nature des questions à juger. ". Aux termes de l'article R. 732-1-1 du même code : " Sans préjudice de l'application des dispositions spécifiques à certains contentieux prévoyant que l'audience se déroule sans conclusions du rapporteur public, le président de la formation de jugement ou le magistrat statuant seul peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience sur tout litige relevant des contentieux suivants : (...) 4° Entrée, séjour et éloignement des étrangers, à l'exception des expulsions ".

3. Le requérant, en contestant le refus implicite d'abroger un arrêté d'expulsion pris à son encontre, soulève un litige relevant du contentieux de l'expulsion. Il résulte des dispositions de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative précitées, relatives à la dispense du rapporteur public de prononcer des conclusions à l'audience, que les litiges relevant du contentieux des expulsions ne figurent pas parmi ceux pour lesquels le président de la formation de jugement peut accorder une telle dispense. Ainsi, en l'absence de prononcé de conclusions à l'audience par le rapporteur public, le jugement attaqué a été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière et doit, dès lors, en tant qu'il statue sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision implicite d'abroger l'arrêté d'expulsion, être annulé.

4. Dans ces conditions, et indépendamment des conclusions dirigées contre la décision implicite refusant la délivrance d'un titre de séjour, dont la cour se trouve saisie par l'effet dévolutif de l'appel, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande d'annulation de cette décision implicite.

Sur la légalité de la décision portant refus implicite d'abrogation de l'arrêté d'expulsion :

5. D'une part, l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 524-1 du même code : " L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé. (...) ". En vertu de l'article L. 534-3 du même : " Il ne peut être fait droit à une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion présentée plus de deux mois après la notification de cet arrêté que si le ressortissant étranger réside hors de France. Toutefois, cette condition ne s'applique pas : / (...) / 3° Lorsque l'étranger fait l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence pris en application des articles L. 523-3, L. 523-4 ou L. 523-5. ". Il résulte de ces dispositions que lorsqu'il entend exercer le pouvoir que lui confère cet article d'abroger ou de maintenir un arrêté d'expulsion, le ministre ou le préfet compétent doit procéder à un examen individuel du comportement de l'étranger à l'effet de déterminer si, d'après l'ensemble de son comportement, sa présence sur le territoire présente ou continue de présenter une menace pour l'ordre public.

6. D'autre part, en vertu des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Il ressort des pièces versées au dossier par le préfet du Val-de-Marne en appel que, postérieurement à l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 21 mars 1988, M. E... a été condamné à dix reprises à des peines d'emprisonnement de durées comprises entre deux mois et un an, notamment pour des faits de vol aggravé, mise en danger d'autrui ou de recels de bien, ainsi qu'à trois reprises à des amendes pour des faits de vol ou vol en réunion. Toutefois, il est constant que M. E..., entré en France à l'âge de huit ans, justifie ainsi d'une durée de résidence de quarante-cinq ans, dont plus de dix années pendant lesquelles il a bénéficié d'autorisations provisoires de séjour. Il établit, par ailleurs, la nationalité française de son fils, de son petit-fils, de sa soeur et de deux de ses frères, ainsi que la régularité du séjour de sa mère titulaire d'une carte de résident valable jusqu'en 2025. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé ait conservé des liens sociaux ou familiaux dans son pays d'origine dont il est parti à un très jeune âge. Dans ces conditions, compte tenu notamment de la durée de résidence de M. E... et de l'intensité de ses liens personnels et affectifs en France, le refus du préfet du Val-de-Marne d'abroger l'arrêté du 21 mars 1988 prononçant son expulsion a porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris.

8. Il résulte de ce qui précède que M. E... est fondé à soutenir que la décision attaquée est entachée d'illégalité et doit être annulée.

Sur la légalité de la décision portant refus implicite de délivrance d'un titre de séjour :

9. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Val de Marne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision implicite par laquelle il a refusé de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " et lui a enjoint de délivrer à M. E... un titre de séjour.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. E..., qui n'est pas pour l'essentiel la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à verser à M. E... sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1800690 du tribunal administratif de Melun en date du 3 mai 2018 est annulé en tant qu'il a annulé la décision implicite par laquelle le préfet du Val-de-Marne a refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion du 21 mars 1988.

Article 2 : La décision implicite par laquelle le préfet du Val-de-Marne a refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion du 21 mars 1988 est annulée.

Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel du préfet du Val-de-Marne est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à M. E... une somme de 1 500 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... E....

Copie en sera transmise au préfet du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. C..., premier vice-président,

- M. Bernier, président assesseur,

- Mme A..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 24 septembre 2019.

Le rapporteur,

M. D. A... Le président,

M. C...

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

2

N° 18PA02632


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02632
Date de la décision : 24/09/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-02 Étrangers. Expulsion.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : GAFSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 17/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-09-24;18pa02632 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award