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19/02/2019 | FRANCE | N°18PA00549

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 19 février 2019, 18PA00549


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics (SMABTP) a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières qui lui ont été assignées en Nouvelle-Calédonie au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 1700257/1 du 14 décembre 2017, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a partiellement fait droit à sa demande en prononçant la décharge des cotisations d

'impôt sur le revenu des valeurs mobilières (IRVM) contestées au titre de l'année 2013.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics (SMABTP) a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières qui lui ont été assignées en Nouvelle-Calédonie au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 1700257/1 du 14 décembre 2017, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a partiellement fait droit à sa demande en prononçant la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières (IRVM) contestées au titre de l'année 2013.

Procédure devant la Cour :

I) Par une requête enregistrée sous le n° 18PA00484 le 9 février 2018 et un mémoire enregistré le 17 juillet 2018, la société à responsabilité limitée (SARL) Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics (SMABTP), représentée par

la SCP Mermillon-Rault, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement n° 1700257/1 du 14 décembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) de prononcer la décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés qui lui a été assignée au titre de l'année 2013, pour un montant de 18 913 845 francs CFP, et d'ordonner le versement des intérêts moratoires ;

3°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie le versement de la somme

de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les mémoires produits pour la Nouvelle-Calédonie sont irrecevables ; le président de la Nouvelle-Calédonie, seul compétent pour produire des mémoires en défense au nom de la collectivité territoriale, ne justifie pas d'une délibération l'autorisant à le faire ;

- le jugement ne répond pas au moyen tiré de ce que l'article 26 de la convention fiscale bilatérale a été méconnu ;

- c'est à tort que le tribunal a fait prévaloir l'article L. 15 du code des impôts calédonien sur la convention fiscale franco-calédonienne au motif erroné que la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 aurait conféré aux lois de pays une valeur législative, alors qu'elles n'ont pas une telle valeur, la loi organique indiquant seulement qu'elles ont force de loi et non pas qu'elle sont des lois ; il a violé l'article 26 de la convention fiscale ;

- en tout état de cause, s'il était reconnu une valeur de loi aux lois de pays, en l'absence de dénonciation par la métropole ou le territoire de la convention fiscale des 31 mars et

5 mai 1983, celle-ci conserve toute sa force et prévaut sur le code général des impôts métropolitain ainsi que sur le code des impôts calédonien ;

- elle n'a pas d'établissement stable en Nouvelle-Calédonie ; les modalités d'exercice de l'activité de M. V. ne caractérisent pas un établissement stable ;

- le jugement attaqué contrevient à l'article 26 de la convention fiscale.

Par des mémoires en défense enregistrés les 29 juin, 12 juillet 2018 et

17 décembre 2018 la Nouvelle-Calédonie, représentée par la SCP Potier de la Varde-Buk

Lament-Robillot, conclut au rejet de la requête et à ce soit mise à la charge de la société appelante une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 3 décembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée

au 17 décembre 2018.

II) Par une requête enregistrée sous le n° 18PA00549 le 15 février 2018, et des mémoires enregistrés les 21 juin et 12 juillet 2018 le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, représentée par la SCP Potier de la Varde-Buk Lament-Robillot, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 1700257 du 14 décembre 2017 prononçant la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières assignées à la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics au titre de l'année 2013 pour un montant de 2 853 543 francs CFP ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par cette société devant le tribunal

administratif ;

3°) subsidiairement de renvoyer la SMABTP devant les services fiscaux de la

Nouvelle-Calédonie pour la liquidation, selon les règles et le rapport définis à l'article 552 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, de son imposition sur le revenu des valeurs mobilières au titre de l'année 2013 ;

4°) de mettre à la charge de ladite société le versement de la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie soutient que :

- le jugement a été rendu au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'elle n'a pas été mise à même de prendre connaissance des conclusions du rapporteur public avant

l'audience ;

- il est entaché d'une insuffisance de motivation dès lors que le tribunal s'est borné à dénier l'existence d'un établissement stable de la SMABTP en Nouvelle-Calédonie au seul motif erroné que l'administration aurait renoncé à le soutenir ; le tribunal n'a pas statué concrètement sur l'existence d'un tel établissement au sens du 5° de l'article 5 de la convention fiscale ;

- le tribunal a dénaturé ses écritures et commis une erreur de droit en estimant que la substitution de base légale sollicitée ne concernait pas que l'impôt sur les sociétés et qu'elle ne pouvait pas, s'agissant de l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, se fonder sur l'existence d'un établissement stable de la SMABTP, alors que cette notion était indispensable pour l'application de l'article 553 du code des impôts ;

- si la substitution de l'article 15 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie au 5° de l'article 5 de la convention fiscale a été sollicitée à titre principal dans le mémoire complémentaire produit devant le tribunal administratif, la Nouvelle-Calédonie a expressément à titre subsidiaire, maintenu le fondement de la convention ; le tribunal ne pouvait dès lors, s'agissant de l'IRVM décharger la SMABTP sans avoir au préalable examiné au vu de la convention, le bien-fondé de cette imposition ;

- il est proposé une nouvelle base légale à l'imposition de la SMABTP à l'IRVM, définie par les articles 550 et 553 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie et les

articles 5 et 7 de la convention fiscale bipartite ;

- la SMABTP dispose en Nouvelle-Calédonie, au sens de ces textes, d'un établissement stable en la personne de son agent spécial M. V. ; la SMABTP qui supporte la charge de la preuve ne dément pas de manière probante l'existence d'un tel établissement stable ;

- en vertu de l'article 1116-1 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, l'article 552 dudit code trouve à s'appliquer pour fonder l'imposition de la SMABTP à l'IRVM ; la quotité du revenu des valeurs mobilières imposable en Nouvelle-Calédonie, sauf si elle est déterminée par une convention fiscale, devra être fixée pour chaque exercice sur la base du rapport défini par cet article, la Cour pouvant renvoyer la SMABTP devant l'administration fiscale de Nouvelle-Calédonie pour la fixation de l'imposition après avoir précisé les règles applicables.

Par des mémoires en défense enregistrés les 29 juin et 19 juillet 2018, la société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics, représentée par la SCP Mermillon-Rault, conclut au rejet de la requête d'appel de la Nouvelle-Calédonie et à la mise à la charge de celle-ci d'une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête d'appel est irrecevable faute d'avoir été introduite par le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, seul compétent pour ce faire en vertu de l'article 134 alinéa 2 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 et sous réserve d'une délibération du gouvernement l'y autorisant ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 5 juillet 2018, la clôture d'instruction a été fixée

au 3 août 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la constitution du 4 octobre 1958 ;

- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999, relatives à la Nouvelle-Calédonie ;

- le code des assurances ;

- le code des impôts de la Nouvelle-Calédonie ;

- la loi n° 83-676 du 26 juillet 1983 et la convention fiscale entre le gouvernement de la République française et le conseil de gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et dépendances en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, signée à Nouméa

le 31 mars 1983 et à Paris le 5 mai 1983 ;

- la loi de pays du 16 janvier 2007 portant diverses dispositions d'ordre fiscal à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur les sociétés ;

- le code de justice administrative dans sa rédaction applicable en Nouvelle-Calédonie.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Appèche,

- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public,

- et les observations de Me Robillot, avocat du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Considérant ce qui suit :

1. La société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics (SMABTP) a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières (IRVM) et d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignées en Nouvelle-Calédonie au titre de l'année 2013 et de son exercice clos en 2013.

2. Par un jugement n° 1700257/1 du 14 décembre 2017, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a partiellement fait droit à sa demande en prononçant la décharge de la cotisation d'IRVM mise à sa charge au titre de l'année 2013.

3. Par la requête susvisée n° 18PA00549, la Nouvelle-Calédonie, relève appel de ce jugement en tant que, par son article 1er il a déchargé la SMABTP de cette imposition, et par la requête susvisée n° 18PA00484, la SMABTP relève appel du même jugement en tant que, par

son article 2, il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande, et notamment celles tendant à la décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés afférentes à l'exercice 2013. Il y a lieu pour la Cour de joindre ces deux requêtes dirigées contre un même jugement pour statuer par un seul arrêt.

Sur la recevabilité des écritures produites en appel pour le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, dans l'instance 18PA00484 :

4. Aux termes de l'article 134 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 : " Le président du gouvernement représente la Nouvelle-Calédonie. / En vertu d'une délibération du gouvernement, il intente les actions et défend devant les juridictions, au nom de

la Nouvelle-Calédonie, sous réserve des dispositions de l'article 69 (...) ".

5. La Nouvelle-Calédonie ayant produit, le 12 juillet 2018, une délibération en date du 10 avril 2018 par laquelle son gouvernement autorise son président à défendre

la Nouvelle-Calédonie devant la Cour dans l'instance n° 18PA00484 susvisée, la SMABTP n'est pas fondée à soutenir que les écritures produites dans cette instance pour la Nouvelle-Calédonie seraient irrecevables faute d'habilitation régulière du président du gouvernement.

6. De même, il résulte des pièces produites par la Nouvelle-Calédonie, que le président du gouvernement a été régulièrement habilité à interjeter appel du jugement susmentionné.

Sur la régularité du jugement :

7. La Nouvelle-Calédonie fait valoir qu'en méconnaissance des dispositions

de l'article R. 711-3 du code de justice administrative elle n'a pas été mise à même de prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public avant l'audience du tribunal. Toutefois, il ressort du dossier de première instance transmis à la Cour par le tribunal administratif que les parties ont été destinataires d'un courrier, en date du 7 novembre 2011 et émanant du greffe du tribunal, qui indiquait : " Conformément à l'article R. 711-3 du code de justice administrative, vous êtes informé que vous pourrez, si vous le souhaitez, prendre connaissance du sens des conclusions que le rapporteur public prononcera à l'audience, en consultant l'application Sagace./ Si vous n'êtes pas en mesure de consulter en ligne l'application Sagace, vous pourrez prendre contact avec le greffe. ". Ainsi, la Nouvelle-Calédonie n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'aurait pas été informée des modalités selon lesquelles elle pouvait prendre connaissance, avant l'audience, du sens des conclusions. D'ailleurs, il ressort du dossier de première instance que, suite à une demande adressée par courriel au greffe du tribunal, le service du contentieux fiscal du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a été informé par courriel, et en temps utile, avant l'audience, du sens des conclusions du rapporteur public. Le moyen susanalysé doit donc être écarté comme manquant en fait.

8. La SMABTP, à l'appui de sa requête d'appel n° 18PA00484 soutient que le jugement ne répond pas au moyen invoqué par elle et tiré de ce que l'article 26 de la convention fiscale relatif à la dénonciation de celle-ci n'avait pas été mis en oeuvre. Si elle a entendu ainsi contester la régularité du jugement, au motif qu'il ne serait pas suffisamment motivé, elle n'est pas fondée à le faire. En effet, dès lors que les premiers juges ont estimé que les dispositions de

l'article Lp 5 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie issues de la loi de pays devaient, en tant que législation spéciale afférente aux assurances, prévaloir sur les dispositions générales de même valeur législative contenues dans la convention, le moyen susanalysé était inopérant et les premiers juges n'étaient pas tenus d'y répondre et n'ont, par suite, pas entaché leur jugement d'irrégularité en ne le faisant pas.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la charge de la preuve de l'exagération des impositions en litige :

9. En vertu des dispositions de l'article 1102 du code des impôts de

la Nouvelle-Calédonie, lorsqu'une imposition a été établie d'après les bases indiquées dans la déclaration souscrite par un contribuable, il peut en obtenir la décharge ou la réduction en démontrant son caractère exagéré. Les impositions litigieuses ont été établies conformément aux déclarations spontanément souscrites par la SMABTP, laquelle supporte donc en principe la charge d'en démonter le caractère exagéré.

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

10. Aux termes de l'article Lp 15 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie dans sa rédaction issue de la loi de pays n° 2007-3 du 16 janvier 2007 : " Les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés par les entreprises exploitées, ou ayant leur siège social en Nouvelle-Calédonie, ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la Nouvelle-Calédonie par une convention fiscale. La notion d'entreprise exploitée en Nouvelle-Calédonie s'entend de l'exercice habituel d'une activité qui peut soit s'effectuer dans le cadre d'un établissement autonome, soit être réalisée par l'intermédiaire de représentants dépendants économiquement ou juridiquement, soit résulter de la réalisation d'opérations formant un cycle commercial complet. Toutefois, en matière d'assurance, l'entreprise est considérée comme exploitée en Nouvelle-Calédonie pour les produits d'assurance qui sont commercialisés localement. ".

11. Aux termes des dispositions de l'article 99 de loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : " Les délibérations par lesquelles le congrès adopte des dispositions portant sur les matières définies à l'alinéa suivant sont dénommées : " lois du pays ". Les lois du pays interviennent dans les matières suivantes correspondant aux compétences exercées par la Nouvelle-Calédonie ou à compter de la date de leur transfert par application de la présente loi : (...) 2° Règles relatives à l'assiette et au recouvrement des impôts, droits et taxes de toute nature. ". Aux termes des dispositions de l'article 107 de la loi organique du 19 mars 1999 susvisée : " Les lois du pays ont force de loi dans le domaine défini à l'article 99 ".

12. Les dispositions de la loi de pays n° 2007-3 du 16 janvier 2007 rappelées au

point 10, qui précisent qu'en matière d'assurance, l'entreprise est considérée comme exploitée en Nouvelle-Calédonie pour les produits d'assurance qui sont commercialisés localement, constituent des règles d'assiette pour l'imposition des bénéfices à l'impôt sur les sociétés en Nouvelle-Calédonie. Ces dispositions, codifiées à l'article Lp 15 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, et sur lesquelles l'administration fiscale, suite à la substitution de base légale opérée à sa demande par le tribunal, a entendu fonder l'imposition à l'impôt sur les sociétés des bénéfices de la SARL, relèvent du champ d'application de l'article 99 de la loi organique du 19 mars 1999 et, par suite, ont en vertu des dispositions de l'article 107 de la même loi organique, force de loi.

13. La loi n° 83-676 du 26 juillet 1983 qui a approuvé la convention fiscale franco-calédonienne, a donné valeur législative à l'ensemble des dispositions de celle-ci. Cette convention a le caractère d'un acte de droit interne fixant, en vue d'éviter les doubles impositions et l'évasion fiscale, des règles fiscales générales en matière d'imposition notamment des bénéfices tirés de leur activité par les personnes qui sont des résidents d'un territoire ou des deux territoires. Cette loi ne saurait faire échec à l'application des dispositions spéciales, elles mêmes de valeur législative, applicables aux sociétés d'assurance, figurant à l'article Lp 15 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie lequel est de surcroit issu d'une loi postérieure à la loi susmentionnée approuvant cette convention. A cet égard, la SMABTP ne peut utilement faire valoir que seule la loi du 26 juillet 1983 a été adoptée par le parlement de la République française.

14. En tout état de cause, si la SMABTP allègue, sans d'ailleurs en justifier, que les sommes qu'elle a déclarées ont également fait l'objet d'une imposition en métropole, et se prévaut de ce qu'elle ne disposait pas d'un établissement stable en Nouvelle-Calédonie au sens de l'article 5 de la convention fiscale franco-calédonienne et ne pouvait en conséquence en vertu de l'article 7 §1 de ladite convention y être imposée à l'impôt sur les sociétés, ce moyen doit être écarté comme non fondé, ainsi que cela résulte de ce qui est dit ci-dessous aux points 17 à 22.

15. Par suite, la SMABTP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté ses conclusions tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie en Nouvelle-Calédonie au titre de l'exercice 2013.

En ce qui concerne l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières :

16. D'une part, aux termes de l'article 550 du code des impôts de

la Nouvelle-Calédonie : " Les personnes morales : sociétés et associations en participation notamment qui, n'ayant pas leur siège social en Nouvelle-Calédonie, y exercent cependant une activité qui les y rendrait imposables si elles avaient leur siège social, sont redevables à la Nouvelle-Calédonie, dans la mesure de cette activité, de l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, dans les conditions prévues au présent titre ". Aux termes de l'article 553 du même code des impôts : " Les bénéfices réalisés en Nouvelle-Calédonie, par l'intermédiaire d'établissements stables de sociétés visées à l'article 550 ayant leur siège dans un territoire lié à la Nouvelle-Calédonie par une convention fiscales, sont réputés distribués au titre de chaque exercice ".

17. D'autre part, la convention fiscale entre le gouvernement de la République française et le Conseil du gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances en date des 31 mars et 5 mai 1983, approuvée par la loi du 26 juillet 1983 prévoit en son

article 5 que : " 1. Au sens de la présente convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité... 5. Nonobstant les dispositions des paragraphes 1 et 2, lorsqu'une personne - autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant auquel s'applique le paragraphe 6 - agit pour le compte d'une entreprise et dispose dans un territoire de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, cette entreprise est considérée comme ayant un établissement stable dans ce territoire pour toutes les activités que cette personne exerce pour l'entreprise... 6. Une entreprise n'est pas considérée comme ayant un établissement stable dans un territoire du seul fait qu'elle exerce son activité par l'entremise d'un courtier, d'un commissionnaire général ou de tout autre agent jouissant d'un statut indépendant, à condition que ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de leur activité... ". Il résulte de ces dispositions que, pour être regardée comme ayant un établissement stable dans un territoire, une entreprise doit, soit y disposer d'une installation fixe d'affaires par laquelle elle exerce tout ou partie de son activité, soit avoir recours à une personne non indépendante ayant le pouvoir d'y conclure des contrats au nom de l'entreprise. Toutefois, dans ce dernier cas, l'établissement stable n'est constitué que si cette personne utilise effectivement, de façon non occasionnelle, le pouvoir qui lui est ainsi dévolu.

18. Par ailleurs, le code des assurances en son article R. 322- 4 prévoit que :

" Lorsqu'une entreprise pratique une ou plusieurs des branches ou sous-branches mentionnées à l'article R. 321-1 dans l'un des territoires de la Nouvelle-Calédonie, (...), elle doit obtenir l'habilitation, par le préfet ou le chef de territoire d'un agent spécial, personne physique, préposé à la direction de toutes les opérations qu'elle pratique dans ce département ou territoire./ L'acceptation de l'agent spécial ne peut être refusée par le préfet ou le chef de territoire que pour des motifs touchant à l'honorabilité ou à la qualification technique ".

19. Il ressort du contrat passé entre la SMABTP et M. V., intitulé " traité de nomination d'agent spécial en Nouvelle-Calédonie ", dont l'objet est de définir les conditions dans lesquelles ce dernier exerce le mandat d'agent spécial que lui confie la société sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, que M. V. effectuait, concernant la totalité des contrats d'assurance IARD (incendie, accidents et risques divers) souscrits par les personnes physiques et morales ayant vocation à être sociétaires de la SMABTP, l'intégralité de la gestion des contrats d'assurances pour le compte de la société, et qu'il revenait à M. V. de proposer à la souscription des contrats qui sont ceux de la SMABTP, adaptés sur instructions de cette dernière aux particularités du marché local et aux conditions particulières de gestion fixées par le contrat, d'appeler et d'encaisser les cotisations des assurés de la société, de régler les sinistres de ces assurés, de payer pour le compte de la société toutes les taxes et assimilées et d'établir selon les normes fixées par la société tous les états comptables et statistiques demandés par celle-ci. Il résulte également des termes de ce contrat que la SMABTP définissait les critères devant être appliqués par son mandataire concernant la gestion des sinistres et disposait, à son égard, d'un pouvoir de contrôle et d'inspection, M. V. devant, en outre, satisfaire à toute demande de documents émanant de la société.

20. S'agissant des conditions financières, le contrat en son article 5 stipulait que la rémunération de l'agent spécial couvrait l'intégralité des prestations accomplies par lui et était effectuée sous forme de commission, selon un barème précisé en annexe du contrat, et en son article 6, que l'intéressé percevait également une participation aux bénéfices établie à 7,5% appliquées aux recettes de l'exercice, constituées notamment des primes émises au cours de celui-ci, déduction faite des dépenses de l'exercice comprenant notamment la rémunération du mandataire prévue à l'article 5 et les sinistres payés durant l'exercice.

21. Ainsi, il ressort des stipulations de ce contrat, conclu en 2010 et régulièrement renouvelé, que la SMABTP disposait en Nouvelle-Calédonie, en la personne de M. V., d'une personne non indépendante, ayant le pouvoir d'y conclure des contrats au nom de l'entreprise. Si la SMABTP soutient que ce contrat ne ferait que reprendre le modèle de délégation de pouvoirs confiés à un agent spécial désirant exercer sa pratique en Nouvelle-Calédonie, outre que ledit " modèle " ne peut être tenu comme revêtant un caractère impératif, il résulte de l'instruction que le contrat susanalysé liant la SMABTP à son agent spécial ne se bornait pas à reprendre les clauses type suggérées par ledit modèle, mais fixait au contraire de manière beaucoup plus détaillée et propre aux parties, les pouvoirs confiés par la société à son agent spécial.

22. Enfin, si la SMABTP soutient qu'il n'est pas établi que, dans les faits, M. V. ait effectivement usé des pouvoirs qu'il tenait du contrat susdécrit, elle ne produit, alors qu'il lui serait aisé de le faire et qu'elle a spontanément souscrit en Nouvelle-Calédonie des déclarations faisant état de bénéfices tirés de son activité d'assurance sur ce territoire en 2013, aucun document démontrant que ces bénéfices proviendraient d'une activité exercée par d'autres personnes que son agent spécial en Nouvelle-Calédonie. La SMABTP n'articule aucun argument précis et vraisemblable et ne fournit même aucun indice de nature à faire douter que ces bénéfices résultent de l'activité déployée en 2013 par cet agent, par l'exercice habituel des pouvoirs qu'il tenait du traité de nomination susmentionné, de conclure des contrats au nom de la société. Dans ces conditions, et faute d'apporter des éléments suffisants pour permettre l'engagement d'une dialectique de la preuve et leur contestation par l'administration, la SMABTP doit être considérée, au vu de ce qui a été dit ci-dessus, comme ayant disposé, durant l'année 2013, en la personne de son agent spécial, d'un établissement stable en Nouvelle-Calédonie, cela alors même que ce dernier n'aurait pas procédé à certaines opérations telles le calcul des provisions techniques ou la sélection et la tarification des risques, effectuées au niveau du siège social en métropole.

23. En conséquence, la Nouvelle-Calédonie est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont, par l'article 1er de leur jugement, déchargé la SMABTP de la cotisation d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières mise à sa charge au titre de l'année 2013.

24. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la Nouvelle- Calédonie est en droit d'obtenir l'annulation de l'article 1er du jugement attaqué, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur sa régularité, en tant qu'il a statué sur l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, et le rétablissement de la cotisation d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières mise à la charge de la SMABTP et déchargée à tort par les premiers juges et, d'autre part, que les conclusions à fin de décharge présentées par la SMABTP dans sa requête d'appel n° 18PA00484 doivent être rejetées ainsi que celles présentées par elle sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, tant dans cette requête que dans ses écritures en défense dans l'instance

n° 18PA00549. En application du même article il y a lieu de mettre à la charge de la SMABTP une somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens supportés dans ces deux instances par la Nouvelle-Calédonie.

DECIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1700257/1 du 14 décembre 2017 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est annulé.

Article 2 : La cotisation d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières (IRVM) mise à la charge de la Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics (SMABTP) au titre de l'année 2013 pour un montant de deux millions huit cent cinquante trois mille cinq cent quarante-trois francs CFP (2 853 543 F CFP) est remise à sa charge.

Article 3 : La requête n° 18PA00484 de la SMABTP et les conclusions présentées par cette société sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans l'instance

n° 18PA00549 sont rejetées.

Article 4 : La SMABTP versera à la Nouvelle-Calédonie une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics et au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 6 février 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Appèche, président assesseur,

- Mme Jimenez, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 février 2019.

Le rapporteur,

S. APPECHELe président,

I. BROTONS

Le greffier,

S. DALL'AVA

La République mande et ordonne au ministre des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Nos 18PA00484, 18PA00549


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sylvie APPECHE
Rapporteur public ?: M. CHEYLAN
Avocat(s) : SCP POTIER DE LA VARDE - BUK LAMENT - ROBILLOT ; SCP POTIER DE LA VARDE - BUK LAMENT - ROBILLOT ; SCP MERMILLON-RAULT ; SCP POTIER DE LA VARDE - BUK LAMENT - ROBILLOT

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Date de la décision : 19/02/2019
Date de l'import : 26/02/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18PA00549
Numéro NOR : CETATEXT000038145077 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-02-19;18pa00549 ?
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