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19/02/2019 | FRANCE | N°17PA00273

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 19 février 2019, 17PA00273


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...C...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 3 juin 2015 par lequel le préfet de police a prononcé sa révocation et le rejet de son recours gracieux, d'enjoindre au préfet de police de la réintégrer dans ses fonctions d'agent de surveillance de Paris, dans un délai de deux semaines à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et d'ordonner, avant dire droit, la production par l'administration de l'enregistrement d

es échanges tenus lors de la réunion de la commission administrative parit...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...C...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 3 juin 2015 par lequel le préfet de police a prononcé sa révocation et le rejet de son recours gracieux, d'enjoindre au préfet de police de la réintégrer dans ses fonctions d'agent de surveillance de Paris, dans un délai de deux semaines à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et d'ordonner, avant dire droit, la production par l'administration de l'enregistrement des échanges tenus lors de la réunion de la commission administrative paritaire compétente à l'égard des agents de surveillance de Paris, le 14 avril 2015, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre des frais de justice.

Par un jugement n° 1519579-1 du 9 juin 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 janvier et

23 mai 2017, MmeC..., représentée par MeB..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1519579-1 du

9 juin 2016 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 juin 2015 et le rejet de son recours gracieux ;

3°) d'ordonner, avant dire droit, la production par l'administration de l'enregistrement des échanges tenus lors de la réunion de la commission administrative paritaire compétente à l'égard des agents de surveillance de Paris du 14 avril 2015 et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre des frais de justice ;

4°) d'enjoindre au préfet de police de la réintégrer dans ses fonctions d'agent de surveillance de Paris, dans un délai de deux semaines à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté du 3 juin 2015 est insuffisamment motivé ;

- les décisions attaquées méconnaissent l'article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le préfet de police ne pouvait, pour prononcer la sanction litigieuse, prendre en considération, des faits antérieurs à l'annulation par le Tribunal administratif de Paris d'une précédente sanction datée du 16 mars 2012 ;

- la sanction en litige repose sur des faits matériellement inexacts ;

- elle est entachée d'une erreur dans la qualification juridique des faits ;

- elle est disproportionnée.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 février 2017, le préfet de police conclut à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête de Mme C...et, à titre subsidiaire, à son rejet au fond.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du

22 novembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789,

- le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946,

- la Constitution de 4 octobre 1958,

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme d'Argenlieu,

- et les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public.

Considérant ce qui suit

1. Mme C...a été nommée agent de surveillance de la ville de Paris stagiaire par un arrêté du 7 février 2002, avec effet au 28 janvier 2002. Elle a été titularisée par un arrêté du 11 avril 2003, avec effet au 28 janvier 2003. Par un arrêté du 13 janvier 2015, le préfet de police a décidé de suspendre Mme C...de ses fonctions. Elle a été avisée le 27 mars suivant du fait qu'une procédure disciplinaire allait être engagée à son égard. Elle a été entendue par la commission administrative paritaire, le 14 avril 2015, laquelle a émis, à l'unanimité, un avis favorable à sa révocation. Par un arrêté du 3 juin 2015, le préfet a prononcé la révocation de MmeC.... Cette dernière a, le 27 juillet 2015, sollicité de l'administration à titre gracieux le retrait de cette sanction. Le préfet de police a implicitement refusé de faire droit à cette demande. Mme C...fait appel du jugement du 9 juin 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 juin 2015 et du rejet de son recours gracieux.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, l'arrêté de 3 juin 2015 contesté comporte l'énoncé des éléments de droit et de fait sur lesquels il repose. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.

3. En deuxième lieu, l'article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 dispose que : En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l'alinéa précédent. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille ". Obligation de réserve loi de 1983.

4. Il ressort de ces dispositions que le délai de quatre mois qu'elles fixent pour statuer sur le cas d'un fonctionnaire destinataire d'une mesure de suspension a uniquement pour objet de limiter les conséquences de la suspension, sans pour autant enfermer dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire. Par suite, Mme C...ayant été suspendue le 13 janvier 2015, le moyen tiré de ce qu'elle aurait dû être rétablie dans ses fonctions le 13 mai suivant, et qu'elle ne pouvait ainsi être révoquée le 3 juin 2015, doit être écarté.

5. En troisième lieu, la circonstance qu'une précédente suspension de Mme C...intervenue le 16 mars 2012 ait été annulée pour vice de forme par le Tribunal administratif de Paris le 2 octobre 2013, n'empêchait pas le préfet de police de tenir compte de faits antérieurs à cette annulation pour prendre l'arrêté en litige.

6. En quatrième lieu, le principe de liberté de conscience découlant de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et du préambule de la Constitution de 1946 repris par la Constitution du 4 octobre 1958, bénéficie à tous les agents publics. Il interdit toute discrimination, dans l'accès des fonctionnaires aux fonctions comme dans le déroulement de leur carrière, fondée sur leur religion. Toutefois, le principe de laïcité de la République, affirmé par l'article 1er de la Constitution, qui a pour corollaire nécessaire le principe de neutralité des services publics, fait obstacle à ce que les fonctionnaires, dans le cadre du service public, expriment de manière ostentatoire leurs croyances religieuses. Par suite, le fait pour un agent public, a fortiori lorsqu'il exerce des fonctions régaliennes, de manifester dans l'exercice de ces dernières ses croyances religieuses, constitue un manquement à ses obligations professionnelles et donc une faute pouvant entraîner le prononcé d'une sanction disciplinaire.

7. Mme C...a été révoquée aux motifs qu'elle ne respectait pas sa hiérarchie en refusant de saluer ses supérieurs masculins et en tenant à leur égard des propos agressifs et menaçants, qu'elle a eu un comportement répréhensible lors d'une manifestation non déclarée à laquelle elle participait, à titre privé, qu'elle a à cette occasion refusé d'obéir à des sommations de dispersion, et que lors de la garde à vue y faisant suite, elle a refusé de répondre aux questions qui lui étaient posées, qu'elle ne respectait pas la tenue réglementaire imposée aux agents de surveillance et plus généralement a laissé apparaître de manière ostentatoire son appartenance religieuse notamment à l'occasion de son refus de participer à la minute de silence pour les victimes de l'attentat de " Charlie Hebdo ".

8. Il ressort des pièces du dossier et, notamment, des rapports d'audition du capitaine Delamotte qu'en septembre 2011, Mme C...a refusé de serrer la main du commissaire Grinstein. Interrogée sur les raisons de cet incident, l'intéressée n'a pas contesté ces faits, allant même jusqu'à reconnaître qu'elle refusait effectivement de serrer la main de ses collègues masculins et qu'au surplus, elle n'accordait aucun crédit aux rapports rédigés sur elle, ceux-ci n'étant selon ses propres termes que " du bidon. C'est l'islam qui va dominer le monde. Ces harcèlements auront une fin pour nous tous musulmans ". Il apparaît également qu'à plusieurs reprises, l'appelante n'a pas pris la peine de s'excuser lors de son arrivée tardive sur son lieu de travail. Enfin, alors qu'elle avait été convoquée pour évoquer sa tenue non réglementaire,

Mme C...a haussé le ton à l'égard du commissaire qui l'interrogeait, en lui disant " Fais le malin et tu vas voir ce qui va t'arriver ".

9. Il ressort également des pièces du dossier, et notamment d'un extrait d'une émission diffusée sur Oumma TV, ainsi que du procès verbal d'audition d'un agent affecté à la division de prévention et de répression de la délinquance routière, qui était d'astreinte ce jour là, que

Mme C...a participé, à titre privé, à plusieurs manifestations non déclarées et plus spécifiquement à celle du 20 juillet 2014 dénonçant " le génocide de Gaza ". Elle a, au cours de cette manifestation, utilisé sa carte professionnelle pour refuser de se soumettre aux injonctions des forces de police, affirmant qu'elle dépendait de la préfecture de police. Elle a, à la suite de ces évènements, été placée en garde à vue, puis a fait l'objet d'un rappel à la loi décidé par le Procureur de la République. Si Mme C...produit un certificat médical pour établir qu'elle aurait subi des mauvais traitements lors de cette garde à vue, celui-ci est particulièrement succinct et ne saurait remettre en cause les déclarations contenues dans les différents procès verbaux d'interrogatoire de l'intéressée, aux termes desquels il apparaît par ailleurs que celle-ci a refusé d'ôter son voile lors des interrogatoires, de donner ses empreintes et d'être prise en photo.

10. Il ressort, en outre, des pièces du dossier, et notamment d'un rapport établi en juin 2014 par le chef de vigie, ainsi que d'un rapport d'audition datant du 21 octobre 2014 réalisé dans le cadre d'une enquête administrative portant sur les agissements de MmeC..., que celle-ci refusait de porter l'uniforme qui lui était imposé, en conservant un foulard sous sa casquette, ainsi qu'un vêtement à manches longues sous le polo d'été afin de cacher ses bras. L'appelante ne conteste pas utilement ces faits en se bornant à soutenir que c'est parce qu'elle avait eu froid, le 6 juin 2014, qu'elle s'était vêtue de la sorte et qu'en tout état de cause, sa tenue avait été jusque là tolérée.

11. Par ailleurs, si Mme C...a refusé de participer à la minute de silence pour les victimes de l'attentat de " Charlie hebdo ", c'est, selon ses propres termes rappelés dans un rapport d'information daté du 9 janvier 2015 rédigé par ses soins à l'intention du contrôleur divisionnaire du 19ème arrondissement, parce qu'elle ne voulait pas " (...) rendre hommage à des personnes qui ont insulté sa religion " et que " c'était bien fait pour eux ". Enfin, une photographie produite au dossier montre l'intéressée faisant sa prière sur la voie publique devant le commissariat de police où elle travaille.

12. Mme C...ne contestant pas utilement les faits de l'espèce relatés aux points 7 à 11, le moyen tiré de ce qu'ils seraient entachés d'inexactitude matérielle ne peut qu'être écarté. Compte tenu de leur gravité, et du fait que l'intéressée, par les actes qui lui sont reprochés, a méconnu ses obligations d'obéissance, de réserve et de neutralité en manifestant de manière particulièrement ostentatoire son appartenance religieuse, portant ainsi atteinte à l'image de la police, alors qu'elle avait été l'objet de deux précédentes suspensions temporaires de fonction entre 2010 et 2012, ces faits justifient le prononcé d'une sanction de révocation, laquelle n'est pas disproportionnée.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête, et d'ordonner que soit produit à l'instance l'enregistrement des échanges tenus devant la commission administrative paritaire, que Mme C...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement dont il est appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 juin 2015, et le rejet de son recours gracieux. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction, ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C..., au préfet de police de Paris et au ministre de l'Intérieur.

Délibéré après l'audience du 29 janvier 2019, à laquelle siégeaient :

M. Even, président,

Mme Hamon, président assesseur,

Mme d'Argenlieu, premier conseiller.

Lu en audience publique le 19 février 2019.

Le rapporteur,

L. D'ARGENLIEULe président,

B. EVENLe greffier,

I. BEDR

La République mande et ordonne au ministre de l'Intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

3

N° 17PA00273


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA00273
Date de la décision : 19/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Statuts spéciaux - Personnels de police (voir : Police administrative).

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Sanctions.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Lorraine D'ARGENLIEU
Rapporteur public ?: Mme ORIOL
Avocat(s) : GAFSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-02-19;17pa00273 ?
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