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29/11/2018 | FRANCE | N°18PA01822

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 29 novembre 2018, 18PA01822


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...F...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 2 mars 2018 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1801669 du 19 avril 2018, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par u

ne requête enregistrée le 28 mai 2018, M.F..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...F...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 2 mars 2018 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1801669 du 19 avril 2018, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 28 mai 2018, M.F..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1801669 du 19 avril 2018 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler l'arrêté du 2 mars 2018 du préfet des Hauts-de-Seine ;

3°) d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et de lui délivrer, pendant ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- il n'a pas été mis à même de présenter ses observations ; son droit à être entendu a été méconnu ;

- la décision a été prise sans que sa situation individuelle ait été examinée, alors que sa situation était digne d'examen ;

- elle comporte des conséquences d'une exceptionnelle gravité et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de renvoi est prise par une autorité incompétente, est insuffisamment motivée et est illégale car elle est fondée sur une obligation de quitter le territoire français elle-même illégale ; le jugement de première instance est irrégulier car il a omis de répondre à ces moyens ;

- le refus de lui accorder un délai de départ volontaire est entaché d'erreur d'appréciation ;

- l'interdiction de retour est insuffisamment motivée, le préfet n'ayant porté aucune appréciation sur son importante durée de séjour en France ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 octobre 2018, le préfet des Hauts-de-Seine conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de M. F...ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Pellissier a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F..., ressortissant marocain né en avril 1982 et entré en France selon ses déclarations en octobre 2013, a été interpellé le 2 mars 2018 à Asnières-sur-Seine

(Hauts-de-Seine), lors d'un contrôle d'identité qui a révélé qu'il faisait usage d'une fausse carte d'identité portugaise, était en situation irrégulière en France et faisait l'objet d'un avis de non-admission dans l'espace Schengen émis par les autorités italiennes le 22 octobre 2013 pour une durée de cinq ans. Par un arrêté du même jour, le préfet des Hauts-de-Seine lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a assorti cette obligation d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'une année et a fixé le pays de renvoi. M. F... fait régulièrement appel du jugement du 19 avril 2018 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 mars 2018.

Sur la régularité du jugement :

2. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose : " Les jugements sont motivés ".

3. Il ressort des termes de la requête de première instance que M. F... a invoqué deux moyens propres à la décision fixant le pays de destination. Si le jugement litigieux a écarté, au point 3, le moyen tiré de ce que cette décision aurait été prise par une autorité incompétente, il ne répond pas au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que cette décision n'était pas suffisamment motivée. Il en résulte que M. F... est fondé à soutenir que le jugement est insuffisamment motivé en tant qu'il rejette sa demande d'annulation de cette décision.

4. Il y a lieu pour la Cour de statuer par la voie de l'évocation sur les conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi et par la voie de l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions de la requête.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

5. Le I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...), lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) " .

6. En premier lieu, l'arrêté litigieux vise l'article L. 511-1 I 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui constitue le fondement de droit de l'obligation de quitter le territoire français, et mentionne que M. F..., de nationalité marocaine, ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et s'y maintient irrégulièrement, n'ayant jamais sollicité la délivrance d'un titre de séjour, ce qui en constitue le motif de fait. Le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français ne serait pas suffisamment motivée doit donc être écarté.

7. Si, en deuxième lieu, M. F... peut utilement faire valoir qu'il résulte du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, qu'il avait le droit d'être entendu avant que n'intervienne la décision défavorable en litige, ce droit ne comporte pas, contrairement à ce qu'il soutient, l'obligation pour le préfet de le mettre à même de présenter des observations écrites, mais seulement le droit pour tout intéressé de faire connaitre de manière utile et effective son point de vue au cours de la procédure administrative, avant l'adoption d'une décision affectant de manière défavorable ses intérêts. Il est constant que M. F... a été entendu lors de sa garde à vue avec l'assistance d'un interprète en langue arabe et a pu faire valoir l'ensemble des éléments pertinents relatifs à ses conditions d'entrée, de séjour et de travail en France. Il a été ainsi mis à même de faire valoir l'ensemble des éléments utiles, alors même qu'il n'aurait pas eu le loisir, avant l'intervention de la décision litigieuse, de produire les documents justificatifs de l'activité professionnelle qu'il exerçait sous couvert de son faux titre d'identité portugais. Le moyen tiré de la violation des droits de la défense manque en fait et doit être écarté.

8. En troisième lieu, l'intéressé ne peut faire grief à l'arrêté contesté de ne pas avoir tenu compte de la durée de son séjour en France, dès lors que cet arrêté note qu'il a déclaré ne pas connaitre la date de son entrée en France, ce qui est corroboré par le procès-verbal d'audition du 2 mars 2018. De même, si cet arrêté ne fait pas mention des déclarations de M. F...concernant son activité professionnelle, il est constant que ces déclarations restaient particulièrement floues, l'intéressé ne donnant même pas lors de son audition le nom de son employeur et persistant à se dire de nationalité portugaise et en situation régulière. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation personnelle de l'intéressé ne peut qu'être écarté.

9. Enfin, M. F...se prévaut de la durée de son séjour en France, qu'il démontre en produisant la preuve de son admission à l'aide médicale d'Etat le 2 mai 2014, ainsi que de son activité professionnelle, en produisant notamment les bulletins de salaire relatifs à son activité de ripeur en intérim de fin avril 2015 à mai 2016 et le contrat de travail à durée indéterminée d'agent de collecte des déchets signé en mai 2017 et les bulletins de salaire correspondants, jusqu'en janvier 2018. Ni la durée du séjour en France, ni l'exercice non régulièrement autorisé d'une activité professionnelle n'ouvrent droit à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour et M. F... ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatives à l'admission exceptionnelle au séjour, dont il n'avait en outre pas sollicité le bénéfice avant la décision litigieuse. Eu égard à la durée et aux conditions du séjour en France de l'intéressé, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que l'obligation de quitter le territoire français comporterait des conséquences d'une extrême gravité et que le préfet aurait de ce fait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur le refus d'accorder un délai de départ volontaire :

10. L'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " II. - Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification pour rejoindre le pays dont il possède la nationalité ou tout autre pays non membre de l'Union européenne ou avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen où il est légalement admissible. (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) e) Si l'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage (...) ".

11. M.F..., qui soutient qu'il vivait en France depuis quatre ans à la date de la décision litigieuse, n'y avait pas sollicité de titre de séjour et utilisait une fausse carte d'identité portugaise. Le préfet de police a pu sans erreur d'appréciation estimer qu'il existait un risque qu'il se soustraie à l'obligation qui lui était faite de quitter la France et refuser de ce fait de lui accorder un délai de départ volontaire.

Sur l'interdiction de retour pendant un an :

12. Le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'article 27 de la loi du 7 mars 2016, en vigueur depuis le

1er novembre 2016, dispose : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ, il lui appartient d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle. Seule la durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés au III de l'article L. 511-1, à savoir la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, l'existence ou non d'une précédente mesure d'éloignement et, le cas échéant, la menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire.

13. Comme dit au point 8, M.F..., qui avait déclaré ne pas connaitre la date de son entrée en France, ne peut faire grief à l'arrêté contesté de ne pas avoir tenu compte de la durée de son séjour sur le territoire français. L'arrêté fait mention de l'absence d'attaches privées et familiales en France et de l'utilisation d'une fausse carte d'identité portugaise. La durée de l'interdiction de retour d'un an est donc suffisamment motivée.

14. Il ne résulte d'aucune des circonstances de l'espèce, précédemment rappelées, que la durée d'un an de l'interdiction de séjour serait entachée d'erreur d'appréciation.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

15. Par un arrêté n° 2017-71 du 20 novembre 2017, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 6 décembre 2017, le préfet des Hauts-de-Seine a donné à Mme C...E..., attachée, adjointe au chef du bureau des examens spécialisés et de l'éloignement à la préfecture des Hauts-de-Seine, signataire de l'arrêté litigieux, délégation permanente de signature aux fins de signer notamment " les décisions d'obligation de quitter le territoire français assorties ou non d'un délai de départ volontaire et fixant le pays de renvoi " ainsi que " les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français ". Par suite, le moyen tiré de ce que cet arrêté aurait été pris par une autorité incompétente doit être écarté.

16. La décision litigieuse, qui vise l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et mentionne qu'il n'y a pas d'obstacle à ce que

M.F..., de nationalité marocaine, quitte le territoire français à destination de son pays d'origine, est suffisamment motivée en droit et en fait.

17. Enfin, il ressort de ce qui a été dit aux points 5 à 9 que M. F...n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi devrait être annulée du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. F...n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 2 mars 2018 par laquelle le préfet des Hauts-de-Seine a fixé le pays de renvoi, ni celle du jugement du 19 avril 2018 du tribunal administratif de Melun, en tant qu'il rejette ses demandes dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français, le refus de lui accorder un délai de départ volontaire et l'interdiction de retour.

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie principalement perdante, verse à M. F...la somme qu'il demande au titre des frais de procédure qu'il a exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1801669 du 19 avril 2018 du tribunal administratif de Melun est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du

2 mars 2018 par laquelle le préfet des Hauts-de-Seine a fixé le pays de renvoi de M. F....

Article 2 : La demande de M. F...tendant à l'annulation de la décision du 2 mars 2018 par laquelle le préfet des Hauts-de-Seine a fixé le pays de renvoi et le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet des Hauts-de-Seine.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Legeai, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 novembre 2018.

Le président-assesseur,

S. DIÉMERT La présidente de chambre,

rapporteur

S. PELLISSIERLe greffier,

M. B...La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01822


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01822
Date de la décision : 29/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: Mme Sylvie PELLISSIER
Rapporteur public ?: Mme NGUYÊN-DUY
Avocat(s) : WALTHER

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-11-29;18pa01822 ?
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