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25/09/2018 | FRANCE | N°17PA00544

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 25 septembre 2018, 17PA00544


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A...et Mlle C...E..., agissant à titre personnel et en qualité d'ayants droit de leur mère, Mme D...A..., ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à leur payer une somme de 184 123,30 euros en leur qualité d'ayants droit, et à payer à M. B...A...une somme de 418 905,60 euros et à Mme C...E...une somme de 39 089,51 euros, en réparation de leurs propres préjudices résultant des fautes commises par l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce dans la prise en ch

arge de leur mère décédée le 14 décembre 2010, avec intérêts de droit à compt...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A...et Mlle C...E..., agissant à titre personnel et en qualité d'ayants droit de leur mère, Mme D...A..., ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à leur payer une somme de 184 123,30 euros en leur qualité d'ayants droit, et à payer à M. B...A...une somme de 418 905,60 euros et à Mme C...E...une somme de 39 089,51 euros, en réparation de leurs propres préjudices résultant des fautes commises par l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce dans la prise en charge de leur mère décédée le 14 décembre 2010, avec intérêts de droit à compter du jugement à intervenir.

Par un jugement n°1512747 du 15 décembre 2016, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat, d'une part à verser aux ayant-droits de Mme D...A..., la somme de 52 640 euros au titre des préjudices subis par leur mère, d'autre part à verser à M. B...A..., en son nom propre la somme de 19 720 euros, enfin à Mlle C...E...en son nom propre la somme de 4 917,50 euros, chacune de ces sommes étant assortie des intérêts légaux au 15 juillet 2015.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 février 2017, et un mémoire enregistré le 8 mars 2018, M. B... A...et Mlle C...E..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et associés demandent à la cour :

1°) de confirmer le jugement en tant qu'il a reconnu la responsabilité de l'Etat et en tant qu'il l'a condamné à verser aux ayant-droits de Mme D...A..., la somme de 52 640 euros ;

2°) de porter à 321 759,75 euros, avec intérêts au jour de la demande préalable, la somme à verser à M. B...A...au titre de ses préjudices propres ;

3°) de porter à 32 917,50 euros avec intérêts au jour de la demande préalable, la somme à verser à Mlle C...E...au titre de ses préjudices propres ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat (hôpital d'instruction des armées du Val-de- Grâce) la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- M. A...justifie des frais d'assistance à l'expertise (1 200 euros), ses frais de transport (9 021 euros), ses frais divers (5 249,55 euros) ;

- l'accident médical dont leur mère a été victime a été à l'origine de la perte de revenus de M.A... ;

- le tribunal a insuffisamment indemnisé le préjudice d'accompagnement et le préjudice d'affection de M. A...et de MlleE....

Par un mémoire enregistré le 5 mars 2018, le ministre des armées, qui ne conteste ni la responsabilité de l'Etat, ni la somme de 52 640 euros qu'il a été condamné à verser aux ayants droits de la victime, conclut à ce que l'indemnisation qui sera accordée à M. B...A...n'excède pas la somme de 133 830,15 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux et 8 800 euros au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux, et à ce que la somme qui sera accordée à Mme C...E...n'excède pas la somme de 917,50 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux et 4 000 euros au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux.

Il soutient que :

- les frais d'assistance à expertise sont effectivement justifiés et doivent être indemnisés à hauteur de 80% en retenant le coefficient de perte de chance retenu par le tribunal, soit une somme à verser de 960 euros ;

- la perte de revenus de M. A...pour la période indemnisable après application du coefficient de 80% s'établit à 127 188,89 euros ;

- après correction d'erreurs et au vu des justificatifs, l'indemnisation des frais divers de M. A...peut être fixée à 546,70 euros et celle des frais de transport à 6 094,56 euros ;

- le préjudice d'accompagnement de M. A...doit être fixé à 4 800 euros et celui de sa soeur n'est pas établi ;

- le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice d'affection.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 22 mai 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bernier,

- et les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public.

1. Considérant que MmeA..., née en 1948, a été hospitalisée le 8 septembre 2008 à l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce pour y être opérée d'une hernie discale ; qu'après l'intervention, Mme A...a été victime dans la nuit du 17 au 18 septembre 2008 d'une hémorragie interne qui a provoqué un arrêt cardiorespiratoire ; qu'affectée de séquelles considérables qui l'ont fait évoluer vers un état pauci-relationnel et une immobilisation totale et prolongée, elle est restée hospitalisée au Val-de-Grâce jusqu'au 20 mai 2010 avant d'être transférée dans un service spécialisé pour état végétatif chronique à la clinique de Sèvres, puis en octobre 2010 au centre hospitalier de Rumilly où elle est décédée d'une complication infectieuse le 14 décembre 2010 ;

2. Considérant que par un jugement du 15 décembre 2016 qui n'est pas contesté sur ces points par les parties, le tribunal administratif de Paris a jugé que le retard de prise en charge de la complication hémorragique avait constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat et que l'ampleur de la chance perdue par Mme A...d'éviter la mort en raison de la faute commise par l'équipe médico-chirurgicale de l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce devait être évaluée à 80 % ; qu'il a mis en conséquence à la charge de l'Etat la réparation de cette fraction des dommages subis ;

3. Considérant que les parties ne contestent pas l'article 1er du jugement par lequel le tribunal a condamné l'Etat à verser aux deux enfants de Mme D... A...la somme de 52 640 euros au titre des préjudices subis par leur mère, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2015 ;

4. Considérant que M. B... A...et Mlle C...E..., fils et fille de la défunte, relèvent appel des articles 2 et 3 du jugement par lesquels le tribunal a condamné l'Etat à leur verser respectivement les sommes de 19 720 euros et de 4 917,50 euros, avec intérêts, qu'ils estiment insuffisantes, au titre de leurs préjudices propres ; que le ministre de la défense, intimé, conclut à ce que les sommes susceptibles d'être allouées à M. A...par la cour n'excèdent pas 142 630, 15 euros et à ce que soit confirmée la somme de 4 917,50 euros accordée par le tribunal à MlleE... ;

Sur les préjudices de M. B...A... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des frais de participation à l'expertise :

5. Considérant que M. A...produit pour la première fois en appel la facture de 1 200 euros du 4 octobre 2011, qu'il a réglée, correspondant aux frais de participation de son conseil aux opérations d'expertise qui se sont tenues le 14 octobre 2011 ; que ces frais, qu'il y lieu d'intégrer aux dépens, doivent être mis dans leur intégralité à la charge de l'Etat, partie perdante dans l'instance ; qu'il lui sera donc accordé 1 200 euros à ce titre ;

S'agissant des frais de transport :

6. Considérant que M. A...a droit aux frais de transport aérien entre la Suisse où il résidait et Paris où sa mère était hospitalisée entre le 10 septembre 2008 et le 19 janvier 2011, date immédiatement postérieure à l'enterrement ; qu'il y a cependant lieu, comme le demande le ministre des armées, d'écarter l'aller-retour Paris-Nice du 6 novembre 2009 dont le lien avec l'accident médical dont a été victime sa mère n'est pas justifié ; que s'agissant d'une période de deux ans et demi au cours de laquelle le cours du franc suisse par rapport à l'euro a varié, il y a lieu, comme le propose l'administration sans être contestée sur ce point, de retenir un taux de conversion moyen de 0,80 euro pour un franc suisse correspondant au cours du 30 décembre 2010 ; qu'ainsi les frais d'avion justifiés s'établissent à 5 877,08 euros ;

7. Considérant que les frais de transport ferroviaires, justifiés à hauteur de 133 euros, ne sont pas contestés par l'administration ;

8. Considérant que les frais de location de voiture, après correction de l'erreur matérielle relevée par l'administration dans son mémoire en défense et application du taux de conversion moyen du franc suisse à 0,80 euros, s'établissent à 1 578,12 euros ;

9. Considérant que les frais de transport justifiés s'élèvent à 7 618,20 euros ; que compte tenu de la part de préjudice indemnisable de 80 % mise à la charge de l'Etat, il sera accordé à M. A...6 094,56 euros à ce titre ;

S'agissant des frais divers :

10. Considérant que les frais de taxi, justifiés à hauteur de 227,90 euros et les frais postaux, justifiés à hauteur de 66 euros, ne sont pas contestés par l'administration ;

11. Considérant que les frais d'accompagnement par M. A...de sa mère de Boulogne à Rumilly sont justifiés à hauteur de 334,50 euros ; qu'en revanche, ainsi que le relevaient à bon droit les premiers juges et le ministre des armées, il n'est pas établi que la facture de transfert par ambulance de Mme A...de la clinique du Pont de Sèvres à l'hôpital de Rumilly, qui porte sur 2 600 euros, soit restée à la charge du requérant ; qu'il ne lui sera donc rien accordé au titre de ces frais d'ambulance ;

12. Considérant que M. A...justifie à hauteur de 283,27 euros les frais de déplacement (location de voiture, essence, péage) engagés les 22 et 23 novembre 2010 entre Zurich et Rumilly où sa mère était alors hospitalisée ;

13. Considérant que les frais divers justifiés s'élèvent à 911,67 euros ; que compte tenu de la part de préjudice indemnisable de 80 % mise à la charge de l'Etat, il sera accordé à

M. A...729,34 euros à ce titre ;

S'agissant des pertes de revenus :

14. Considérant qu'il résulte de l'instruction, qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, M. A...était consultant " freelance " et en recherche de missions entre février et juin 2008, puis en formation intensive d'allemand, lorsque l'accident médical dont sa mère a été victime est survenu ; qu'il percevait des prestations de l'assurance chômage suisse depuis le mois de mars 2008, soit avant l'hospitalisation de sa mère ; qu'en outre, il a repris une activité professionnelle en juin 2010 soit avant le décès de Mme A...survenu le 14 décembre 2010 ; qu'ainsi l'accident médical fautif n'est pas la cause directe de la chute de ses revenus entre 2007 et 2008 ; qu'il résulte en revanche de l'instruction que cet accident médical, qui a conduit

M. A...à s'installer la majeure partie du temps à Paris où il s'est occupé avec dévouement de sa mère grabataire tout en multipliant les allers et retours entre Paris et Zürich a différé le retour du requérant sur le marché du travail et l'a amené à renoncer à des opportunités qui s'offraient à lui et qu'il aurait pu saisir s'il n'avait pas du partager son temps entre la France et la Suisse ; que son préjudice financier, compte tenu d'une activité de consultant dont les revenus peuvent varier, ne saurait correspondre à la différence entre la rémunération de 2007, antérieure à son entrée en chômage et à l'accident de sa mère, et celle des années qui ont suivi, avant que ses activités ne reprennent graduellement en 2010, mais à la perte de chance de revenir plus tôt sur le marché du travail ; qu'il lui sera alloué de ce chef, compte tenu de la part de préjudice indemnisable de

80 % mise à la charge de l'Etat, la somme forfaitaire de 100 000 euros ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner l'Etat à verser à M. A...la somme de 108 023,90 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux ;

En ce qui concerne les préjudices extra patrimoniaux :

16. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des attestations produites au dossier, que M. A...a subi des bouleversements de son mode de vie quotidien pendant la période de déficit fonctionnel temporaire total de sa mère au chevet de laquelle il s'est rendu alors qu'il résidait en Suisse, et qu'il a accompagnée jusqu'à son décès ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice d'accompagnement pour la période de vingt sept mois comprise entre l'accident médical et le décès en le fixant à 10 000 euros ; que compte tenu de la part de préjudice indemnisable de 80 % mise à la charge de l'Etat, l'indemnité accordée à ce titre doit être fixée à la somme 8 000 euros ;

17. Considérant qu'en évaluant à 5 000 euros le préjudice d'affection subi par

M.A..., fils de la victime, du fait de l'état pauci-relationnel puis végétatif dans lequel cette dernière a vécu après l'accident médical, et du fait de sa mort, et en lui allouant 4 000 euros à ce titre, le tribunal n'a pas fait une appréciation insuffisante de son préjudice ;

18. Considérant qu'il y a lieu par suite de fixer à la somme de 12 000 euros les préjudices extra patrimoniaux de M.A... ;

19. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la somme mise à la charge de l'Etat au titre des préjudices que M. A...a subis en son nom propre doit être portée à 120 023,90 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2015 ;

Sur les préjudices de Mlle C...E... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

20. Considérant que l'évaluation par le tribunal des préjudices patrimoniaux de MlleE..., fixées à 917,50 euros par les premiers juges, n'est pas contestée en appel ;

En ce qui concerne les préjudices extra patrimoniaux :

S'agissant du préjudice d'accompagnement :

21. Considérant que si Mlle E...produit un témoignage attestant sa détresse après l'accident médical dont Mme A...a été victime, elle ne justifie pas par les pièces qu'elle produit un préjudice spécifique d'accompagnement constitué par des perturbations dans ses conditions de vie habituelle du fait de l'état pauci-relationnel, puis végétatif, dans lequel sa mère a été placée jusqu'à son décès ; qu'elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal ne lui a rien accordé à ce titre ;

S'agissant du préjudice d'affection :

22. Considérant qu'en évaluant à 5 000 euros le préjudice d'affection subi par MlleE..., fille de la victime, du fait de l'état pauci-relationnel puis végétatif dans lequel cette dernière a vécu après l'accident médical, et du fait de sa mort, et en lui allouant 4 000 euros à ce titre, le tribunal n'a pas fait une appréciation insuffisante de son préjudice ;

23. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mlle E...n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges ont fait une évaluation insuffisante du préjudice subi en son nom propre en lui allouant de ce chef la somme de 4 917,50 euros ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

24. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat (ministre des armées) une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et Mme E... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La somme que l'Etat (ministère des armées) est condamné à verser à M.A..., en son nom propre est portée à 120 023,90 euros avec intérêts au taux légal au 15 juillet 2015.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : L'Etat (ministère des armées) versera à M. A...et Mme E...une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Mme C...E..., et au ministre des armées.

Copie en sera communiquée pour information à la mutuelle générale de l'éducation nationale.

Délibéré après l'audience du 11 septembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- M. Bernier, président assesseur,

- Mme Pena, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 25 septembre 2018.

Le rapporteur,

Ch. BERNIERLe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

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N° 17PA00544


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Préjudice.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme DELAMARRE
Avocat(s) : SELARL COUBRIS, COURTOIS et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 25/09/2018
Date de l'import : 02/10/2018

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17PA00544
Numéro NOR : CETATEXT000037445232 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-09-25;17pa00544 ?
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