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21/11/2017 | FRANCE | N°17PA00241

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 21 novembre 2017, 17PA00241


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I...J..., M. H...J..., M. A...J..., et M. C...J...ont demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à leur verser, en qualité d'ayants droit de M. B...J..., et en réparation des préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, les sommes de 25 812,31 euros au titre de l'assistance par une tierce personne, de 14 694 euros au titre des pertes de ga

ins professionnels, de 46 385 euros au titre du déficit fonctionnel te...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I...J..., M. H...J..., M. A...J..., et M. C...J...ont demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à leur verser, en qualité d'ayants droit de M. B...J..., et en réparation des préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, les sommes de 25 812,31 euros au titre de l'assistance par une tierce personne, de 14 694 euros au titre des pertes de gains professionnels, de 46 385 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 13 000 euros au titre des souffrances endurées, de 2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et de 150 000 euros au titre du préjudice spécifique de contamination ; de condamner l'ONIAM à verser à Mme I...J...les sommes de 547,56 euros au titre des frais d'obsèques, 45 357,28 euros au titre des pertes de revenus, 10 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement et 12 000 euros au titre du préjudice d'affection ; de condamner l'ONIAM à verser à M. H... J..., à M. A...J...et à M. C...J...la somme de 11 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral ; d'assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande d'indemnisation amiable ; de condamner l'ONIAM aux entiers dépens constitués par les frais d'expertise taxés à la somme de 2 798,29 euros par le Tribunal administratif de Melun.

Par un jugement n° 1520382/6-1 du 18 novembre 2016, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'ONIAM à verser à Mme I...J..., à M. H...J..., à M. A... J... et à M. C...J..., en leur qualité d'ayants droit de M. B...J..., la somme de 17 780 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2012, a condamné l'ONIAM à verser à Mme I...J...la somme de 4 000 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2012, a condamné l'ONIAM à verser à M. H...J..., à M. A... J...et à M. C...J..., les sommes de 1 000 euros chacun, avec les intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2012, a mis à la charge de l'ONIAM les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 2 798,29 euros par l'ordonnance en date du 17 février 2012 du président du Tribunal administratif de Melun et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une requête enregistrée le 18 janvier 2017, Mme I...J...néeG..., M. H...J..., M. A...J...et M. C...J..., représentés par la SELARL Courbis, Courtois et associés, demandent à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1520382/6-1 du 18 novembre 2016 du Tribunal administratif de Paris en tant que, par ce jugement, celui-ci a rejeté le surplus des conclusions de leurs demandes ;

2°) de condamner l'ONIAM à verser aux ayants droit de M. B...J... :

Au titre de ses préjudices patrimoniaux :

o 25 812,31 euros au titre de l'assistance par une tierce personne ;

o 14 694 euros au titre de la perte de gains professionnels ;

Au titre de ses préjudices extrapatrimoniaux :

o 46 385 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

o 13 000 euros au titre des souffrances endurées ;

o 2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

o 150 000 euros au titre du préjudice spécifique de contamination ;

- de condamner l'ONIAM à verser à Mme I...J..., à titre personnel :

Au titre de ses préjudices patrimoniaux :

o 547,56 euros au titre des frais d'obsèques ;

o 45 357,28 euros au titre de la perte de revenus ;

Au titre de ses préjudices extrapatrimoniaux :

o 10 000 euros au titre de son préjudice d'accompagnement ;

o 12 000 euros au titre de son préjudice d'affection ;

- de condamner I'ONIAM à verser à M. H...J..., à titre personnel, la somme de 11 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- de condamner I'ONIAM à verser à M. A...J..., à titre personnel, la somme de 11 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- de condamner I'ONIAM à verser à M. C...J..., à titre personnel, la somme de 11 000 euros au titre de son préjudice moral ;

Lesdites sommes devant être assorties des intérêts à compter de la date de réception du recours amiable.

3°) de confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions, et notamment en ce qu'il a mis à la charge de l'ONIAM les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 2 798,29 euros par l'ordonnance du président du Tribunal administratif de Melun ;

4°) de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que le jugement attaqué a écarté l'imputabilité au virus de l'hépatite C de certaines séquelles subies de son vivant par M. B...J...et pour partie de son décès en estimant qu'elles étaient entièrement imputables à la pathologie cardiaque dont il était atteint ;

- c'est ainsi à tort que le tribunal administratif a rejeté la demande d'indemnisation de l'assistance par une tierce personne, en considérant qu'elle était liée à la pathologie cardiaque, alors que cette assistance était justifiée pour moitié par la maladie hépatique, et pour l'autre moitié par l'atteinte cardiaque ; une indemnité de 25 812,31 euros doit être ainsi allouée à ce titre ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté la demande d'indemnisation de la perte de gains professionnels actuels, en considérant que les pertes alléguées étaient antérieures à la " réelle " aggravation de l'état de santé de M.J..., alors qu'il avait été démontré que ces pertes de gains professionnels devaient être rattachées à l'atteinte de M. J...par le virus de l'hépatite C ;

- s'agissant du déficit fonctionnel temporaire total, il apparaît opportun, en l'absence de consolidation de l'état de M. J...avant son décès, de retenir un déficit fonctionnel temporaire total correspondant à l'incapacité temporaire totale et un déficit fonctionnel temporaire partiel du jour de la première manifestation du virus de l'hépatite C jusqu'au jour de son décès, déduction faite des périodes d'incapacité temporaire totale. Par ailleurs, en raison de l'imputabilité partielle du décès de M. J...à l'hépatite C, il convient également de retenir un déficit fonctionnel temporaire total supplémentaire correspondant à la période de réanimation postopératoire d'une durée de dix-huit jours à hauteur du taux de perte de chance de 20 %. Une somme de 46 385 euros doit être allouée à ce titre ;

- il convient de porter à 13 000 euros l'indemnité de 5 000 euros allouée par les premiers juges au titre des souffrances endurées par M. J...du fait de l'atteinte par le virus de l'hépatite C ;

- il convient de porter à 2 000 euros l'indemnité de 500 euros allouée par les premiers juges au titre du préjudice esthétique temporaire dont a souffert M. J...du fait de l'atteinte par le virus de l'hépatite C, notamment d'une ascite ;

- la somme de 12 000 euros que le jugement a condamné l'ONIAM à verser au titre du préjudice spécifique de contamination doit être portée à la somme de 150 000 euros ;

- Mme I...J...a subi des préjudices patrimoniaux (frais d'obsèques et perte de revenus) qu'il convient d'indemniser à hauteur, respectivement, de 547,56 euros et de 45 357,28 euros, soit 20 % des dépenses effectivement exposées, contrairement à ce qu'a estimé le jugement attaqué, qui a rejeté ces demandes ;

- la somme allouée par le jugement attaqué à Mme I...J...au titre du préjudice d'accompagnement doit être portée à la somme de 12 000 euros ;

- une somme de 10 000 euros doit être allouée à Mme I...J...au titre du préjudice d'affection, contrairement à ce qu'a estimé le jugement attaqué ;

- la somme de 1 000 euros chacun allouée par le jugement attaqué à MM.H..., A...et C...J...au titre du préjudice d'accompagnement doit être portée à la somme de 6 000 euros ;

- une somme de 5 000 euros chacun doit être allouée à MM.H..., A...et C...J...au titre du préjudice d'affection, contrairement à ce qu'a estimé le jugement attaqué.

Par un mémoire en défense et en appel incident, enregistré le 15 septembre 2017, l'ONIAM, représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête ; à cette fin, il soutient que les moyens soulevés par les consorts J...ne sont pas fondés et que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a jugé que n'était pas établi de lien de causalité direct et certain entre, d'une part, l'évolution de la maladie du foie et le décès de M. J...et, d'autre part, la contamination par le virus de l'hépatite C de M.J... ; d'autre part, par la voie de l'appel incident, de ramener, s'agissant des préjudices directement en lien avec la contamination de M. J...par le virus de l'hépatite C, l'indemnisation sollicitée par les consorts J...à de plus justes proportions, sans qu'elle n'excède, au titre de la succession de M. B...J..., 48 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 1 400 euros au titre des souffrances endurées et 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, et au titre de l'indemnisation personnelle des ayants droit, 1 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement de Mme I...J...et 800 euros au titre du préjudice d'accompagnement de chacun des fils de M. B...J....

La requête a été communiquée au Régimes social des indépendants de Bretagne, qui n'a pas présenté de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Luben,

- et les conclusions de M. Sorin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur la responsabilité sans faute au titre de la solidarité nationale :

1. Aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite B ou C (...) causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 (...). Dans leur demande d'indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l'atteinte par le virus de l'hépatite B ou C (...) et des transfusions de produits sanguins ou des injections de médicaments dérivés du sang. L'office recherche les circonstances de la contamination. S'agissant des contaminations par le virus de l'hépatite C, cette recherche est réalisée notamment dans les conditions prévues à l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il procède à toute investigation sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. L'offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis du fait de la contamination est faite à la victime dans les conditions fixées aux deuxième, troisième et cinquième alinéas de l'article L. 1142-17. La victime dispose du droit d'action en justice contre l'office si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans un délai de six mois à compter du jour où l'office reçoit la justification complète des préjudices ou si elle juge cette offre insuffisante. (...) ". Aux termes de l'article 102 de la loi susvisée du 4 mars 2002 : " En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. (...) ".

2. La présomption prévue par les dispositions précitées est constituée dès lors qu'un faisceau d'éléments confère à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l'ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; tel est normalement le cas lorsqu'il résulte de l'instruction que le demandeur s'est vu administrer, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l'innocuité n'a pas pu être établie, à moins que la date d'apparition des premiers symptômes de l'hépatite C démontre que la contamination n'a pas pu se produire à l'occasion de l'administration de ces produits. Eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite au demandeur, la circonstance que l'intéressé a été exposé par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l'instruction que la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions.

3. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise, que M. B...J..., né en 1944, qui était atteint d'une pathologie cardiaque liée à un rétrécissement aortique congénital (une valvulopathie, syndrome de Marfan atypique), a été opéré à l'hôpital Broussais à Paris le 18 novembre 1975 pour un remplacement valvulaire aortique par une bio-prothèse et que dix produits sanguins lui ont été transfusés à cette occasion. Il a de nouveau subi une chirurgie cardiaque le 23 février 1984 au sein du même hôpital et a reçu à cette occasion vingt-quatre produits sanguins, parmi lesquels du plasma frais congelé. Environ un mois après cette deuxième intervention, une hépatite ictérique aiguë avec cytolyse majeure a été diagnostiquée. A la suite d'une ponction biopsie du foie en mars 1985, le diagnostic d'hépatite non A non B a été posé, et en mars 1998 une sérologie a été positive au virus de l'hépatite C. Eu égard à la circonstance que l'enquête transfusionnelle réalisée n'a pas permis, sauf pour quelques uns, d'identifier les donneurs à l'origine des produits sanguins transfusés, et au faisceau d'arguments suffisamment précis et concordants, notamment la date des transfusions sanguines réalisées, le caractère massif des transfusions, la nature de certains produits administrés (notamment le plasma frais congelé, décrit comme hautement contaminant par les experts), et l'apparition d'une hépatite aiguë avec ictère dans les suites immédiates de la deuxième intervention chirurgicale, le lien de causalité entre la contamination de M. J...par le virus de l'hépatite C et l'administration de produits sanguins doit être tenu pour établi. Par suite, l'ONIAM est tenu d'indemniser, au titre de la solidarité nationale, les conséquences dommageables de cette contamination.

Sur le lien entre la contamination par le virus de l'hépatite C et les préjudices subis par M. B... J... :

4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le Tribunal administratif de Melun rédigé le 12 septembre 2011 par le DrK..., anesthésiste-réanimateur, et du rapport d'expertise rédigé le 3 janvier 2015 à la demande de l'ONIAM par le Pr Buffet, hépato-gastroentérologue, que M. J...souffrait d'une lourde pathologie cardiaque, pour laquelle il a été opéré à trois reprises, le 18 novembre 1975, le 23 février 1984 et le 3 juin 2009, son décès étant intervenu après cette dernière opération, le 21 juin 2009. D'une part, si le diagnostic d'hépatite non A non B a été posé en mars 1985 et si une sérologie a été positive au virus de l'hépatite C en mars 1998, les examens réalisés en décembre 2008 ont établi que M. J...n'était pas virémique, puisque la PCR (" polymerase chain reaction ", réaction en chaîne par molymérase) du virus de l'hépatite C était négative, M.J..., qui n'a jamais reçu de traitement à cet effet, ayant ainsi éliminé spontanément ce virus. D'autre part, si le diagnostic de cirrhose a été posé, les premières manifestations de cette cirrhose datant d'août 2007 avec l'apparition d'une poussée d'ascite (qui régressera ultérieurement à la suite d'un traitement diurétique) et d'une hypertension portale avec d'importantes varices gastriques, la cause de cette cirrhose demeure incertaine : selon l'expert médicalK..., cette cirrhose résulte de la fibrose, conséquence de la contamination par le virus de l'hépatite C, alors que l'expert médical Buffet estime que la cause de la cirrhose ne peut pas être établie avec certitude et, dans l'étiologie de cette cirrhose, estime que l'on ne peut retenir de façon formelle la contamination par le virus de l'hépatite C dès lors que le virus a été spontanément éliminé et privilégie la contamination par le virus de l'hépatite B et surtout le foie cardiaque chronique du fait de la maladie cardiaque majeure dont souffrait depuis longtemps M. J...(l'expert médical Buffet a maintenu et détaillé sa position dans sa réponse du 13 mars 2015 à la note du DrE..., médecin conseil des requérants, datée du 2 février 2015, en faisant part de l'avis d'un collègue hépatologue consulté, qui estimait que l'atteinte cardiaque ancienne et sévère pouvait être à l'origine de troubles vasculaires hépatiques, responsables d'hypertension portale).

5. Il résulte des dispositions législatives précitées que le doute ne profite au demandeur qu'en ce qui concerne l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C, et non pour ce qui concerne les préjudices subis par la victime, qui doivent présenter, pour donner lieu à indemnisation au titre de la solidarité nationale, un lien de causalité direct et certain avec la contamination par le virus de l'hépatite C. Par suite, il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le lien entre, d'une part, la contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C et, d'autre part, l'évolution de l'atteinte hépatique de M. J...à compter de 2007 et son décès en 2009 n'est pas suffisamment établi pour qu'il puisse être fait droit aux conclusions indemnitaires des consorts requérants. Toutefois, comme l'ont estimé les premiers juges, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que les autres préjudices subis par M.J..., dès lors qu'ils présentent un lien direct et certain avec la contamination par le virus de l'hépatite C, donnent lieu à indemnisation.

Sur l'indemnisation des préjudices de M. B...J... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux de M. B...J... :

S'agissant de l'assistance par une tierce personne :

6. Les consorts requérants demandent l'indemnisation d'une aide par une tierce personne à raison de quatre heures par semaine du 6 mars 1998 au 31 décembre 2006 et à raison de huit heures par semaine du 1er janvier 2007 jusqu'au décès de M.J..., le 21 juin 2009. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise médicale, que, d'une part, M.J..., qui a été contaminé par le virus de l'hépatite C en février 1984, se portait bien dans les années qui ont suivi, comme il ressort d'un courrier d'un médecin du 13 juin 1988, cité dans le rapport d'expertise du DrK..., selon lequel son patient allait bien et menait une vie normale, que, d'autre part, comme il a été dit, le virus de l'hépatite C a été spontanément éliminé, à une date inconnue mais antérieure à 2008, et qu'enfin l'aggravation de son état d'asthénie, qui l'a conduit à réduire sa participation aux tâches quotidiennes puis à passer la majeure partie de son temps alité, correspond à une période où se sont fait ressentir les effets de la cirrhose, dont le lien causal avec la contamination virale n'est pas établi. De plus, la cardiopathie dont souffrait M. J...peut également être une cause d'asthénie. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que les besoins d'assistance par une tierce personne ne peuvent donc donner lieu à indemnisation au titre de la solidarité nationale.

S'agissant des pertes de gains professionnels :

7. Les consorts requérants demandent l'indemnisation des pertes de revenus de M. J..., qui était artisan en télévision, à partir de l'année 2004 et jusqu'à son décès, le 21 juin 2009. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, et eu égard aux circonstances que le virus de l'hépatite C a été spontanément éliminé, à une date inconnue mais antérieure à 2008, et que l'état de santé de M.J..., du fait de l'évolution de sa cirrhose (notamment en raison de l'apparition d'une ascite), ne s'est fortement dégradé, d'après les expertises médicales figurant au dossier, qu'à compter de l'année 2007, le lien de causalité entre la contamination par le virus de l'hépatite C et les pertes de revenus de M. J...entre 2004 et son décès en 2009 n'est pas établi.

En ce qui concerne les préjudices extra patrimoniaux de M. B...J... :

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

8. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment des mentions de l'expertise du Dr K..., qui au demeurant n'est pas contredit sur ce point par le rapport d'expertise du Pr Buffet, que M. J...a été hospitalisé pendant quatorze jours en mars 1985 au centre hospitalier universitaire de Rennes, où une ponction biopsie du foie a notamment été pratiquée et où le diagnostic de l'hépatite C a été posé. Les premiers juges, contrairement à ce que soutiennent tant les consorts requérants que l'ONIAM dans son appel incident, ont fait une juste appréciation de l'indemnisation due au titre du déficit fonctionnel temporaire total subi par M. J...à cette occasion en allouant une indemnité de 280 euros.

9. D'autre part, comme il a été dit précédemment, il ne résulte pas de l'instruction que le déficit fonctionnel temporaire partiel dont a été victime M.J..., notamment du fait de sa cirrhose, ait été causé par sa contamination par le virus de l'hépatite C. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande relative au déficit fonctionnel temporaire partiel.

S'agissant des souffrances endurées :

10. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise médicale, que M. J... a souffert d'une hépatite aiguë avec ictère dans les suites immédiates des transfusions sanguines administrées lors de l'intervention chirurgicale du 23 février 1984. En outre, il a subi en mars 1985 au centre hospitalier universitaire de Rennes une ponction pour biopsie du foie par voie jugulaire particulièrement douloureuse. Toutefois, comme il a été dit précédemment, il ne résulte pas de l'instruction que les souffrances physiques et morales subies par M. J...jusqu'à son décès en juin 2009, qui se sont aggravées lors des deux dernières années de sa vie, aient été causées par sa contamination par le virus de l'hépatite C. Par suite, les premiers juges, contrairement à ce que soutiennent tant les consorts requérants que l'ONIAM dans son appel incident, ont fait une juste appréciation de l'indemnisation due au titre des souffrances endurées par M. J...du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C en allouant une indemnité de 5 000 euros.

S'agissant du préjudice esthétique :

11. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise médicale, que M. J... a souffert d'une hépatite aiguë avec ictère dans les suites immédiates des transfusions sanguines administrées lors de l'intervention chirurgicale du 23 février 1984. Toutefois, comme il a été dit précédemment, les autres préjudices esthétiques, et notamment l'ascite dont a souffert M. J... en 2007, ne peuvent être regardés comme imputables à la contamination par le virus de l'hépatite C. Par suite, les premiers juges, contrairement à ce que soutiennent les consorts requérants, ont fait une juste appréciation de l'indemnisation due au titre du préjudice esthétique subi par M. J...à cette occasion en allouant une indemnité de 500 euros.

S'agissant du préjudice moral distinct du fait de la crainte qu'a pu éprouver M. J...d'une évolution subite et grave de son état de santé du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C :

12. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise médicale, que M. J..., depuis la révélation de sa contamination par une hépatite non A non B en mars 1985 et jusqu'aux examens qui, en décembre 2008, ont mis en évidence qu'il avait spontanément éliminé le virus de l'hépatite C, et sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'il n'a jamais suivi de traitement contre le virus de l'hépatite C et que sa cardiopathologie ancienne et sévère et les traitements qu'elle impliquait ait occulté sa contamination virale, a pu légitiment éprouver des inquiétudes du fait de cette contamination et des risques d'aggravation de son état de santé. Les premiers juges, contrairement à ce que soutiennent tant les consorts requérants que l'ONIAM dans son appel incident, ont fait une juste appréciation de l'indemnisation due au titre de ce préjudice en allouant une indemnité de 12 000 euros.

Sur les préjudices des victimes indirectes :

En ce qui concerne les préjudices de Mme I...J... :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

13. Comme il a été dit précédemment, il n'est pas établi que l'évolution de l'atteinte hépatique de M. J...à compter de 2007, qui a elle-même entraîné une perte de chance d'éviter le décès intervenu dans les suites de l'intervention chirurgicale réalisée le 3 juin 2009, ait été due à la contamination de M. J...par le virus de l'hépatite C. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté, d'une part, la demande de Mme J...tendant au remboursement partiel des frais d'obsèques et, d'autre part, la demande de Mme J...tendant à l'indemnisation partielle de ses pertes de revenus consécutives au décès de son époux le 21 juin 2009.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

14. En premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme J...a dû accompagner son époux à compter des premiers symptômes d'hépatite aiguë en mars 1984 puis dans l'établissement du diagnostic de cette hépatite, notamment à l'occasion de la ponction biopsie du foie réalisée en mars 1985. Ainsi, alors même que l'hépatite C dont M. J...était atteint n'a pas nécessité de traitement et qu'il a éliminé spontanément ce virus, Mme J...justifie d'un préjudice d'accompagnement. Par suite, les premiers juges, contrairement à ce que soutiennent tant les consorts requérants que l'ONIAM dans son appel incident, ont fait une juste appréciation de l'indemnisation due au titre de ce préjudice en allouant une indemnité de 4 000 euros.

15. En second lieu, comme il a été dit précédemment, les premiers juges ont, à bon droit, estimé qu'en l'absence de lien direct et certain entre la contamination par le virus de l'hépatite C et le décès de M. J...ou l'existence d'une perte de chance d'éviter ce décès, les conclusions présentées par Mme J...au titre d'un préjudice d'affection en raison du décès de son époux doivent être rejetées.

En ce qui concerne les préjudices de MM. H...J..., A...J..., et C...J... :

16. En premier lieu, les trois enfants de M. B...J..., qui étaient mineurs à la date de la contamination virale de ce dernier, justifient d'un préjudice d'accompagnement de leur père. Les premiers juges, contrairement à ce que soutiennent tant les consorts requérants que l'ONIAM dans son appel incident, ont fait une juste appréciation de l'indemnisation due au titre de ce préjudice en allouant une indemnité de 1 000 euros chacun.

17. En second lieu, comme il a été dit précédemment, les premiers juges ont, à bon droit, estimé qu'en l'absence de lien direct et certain entre la contamination par le virus de l'hépatite C et le décès de M. J...ou l'existence d'une perte de chance d'éviter ce décès, les conclusions présentées par les trois enfants de M. B...J...au titre d'un préjudice d'affection en raison du décès de leur père doivent être rejetées.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts J...ne sont pas fondés à demander la réformation du jugement attaqué du 18 novembre 2016 du Tribunal administratif de Paris. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il résulte également de ce qui précède que l'appel incident formé par l'ONIAM doit être rejeté.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête des consorts J...est rejetée.

Article 2 : L'appel incident formé par l'ONIAM est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I...J...néeG..., à M. H... J..., à M. A...J..., à M. C...J..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et au Régime social des indépendants de Bretagne.

Délibéré après l'audience du 9 novembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,

- M. Luben, président assesseur,

- MmeF..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 21 novembre 2017.

Le rapporteur,

I. LUBENLe président,

J. LAPOUZADELa greffière,

Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA00241


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA00241
Date de la décision : 21/11/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Dons du sang.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : SELARL COUBRIS, COURTOIS et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-11-21;17pa00241 ?
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