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14/11/2017 | FRANCE | N°17PA01938

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 14 novembre 2017, 17PA01938


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Juristes pour l'enfance a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions par lesquelles le ministre de la culture et de la communication a délivré deux visas d'exploitation au film " Sausage Party ", assortis d'une interdiction aux mineurs de douze ans, pour la version originale et pour la version française, en tant que ces décisions n'assortissent pas les visas d'une interdiction aux moins de seize ans.

Par un jugement n° 1620838/5-3 du 7 avr

il 2017, le Tribunal administratif de Paris a constaté un non-lieu à statuer...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Juristes pour l'enfance a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions par lesquelles le ministre de la culture et de la communication a délivré deux visas d'exploitation au film " Sausage Party ", assortis d'une interdiction aux mineurs de douze ans, pour la version originale et pour la version française, en tant que ces décisions n'assortissent pas les visas d'une interdiction aux moins de seize ans.

Par un jugement n° 1620838/5-3 du 7 avril 2017, le Tribunal administratif de Paris a constaté un non-lieu à statuer sur ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 29 septembre 2016 du ministre de la culture et de la communication portant visa d'exploitation pour la version postsynchronisée en français du film " Sausage Party ", et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 7 juin 2017, et par un mémoire enregistré le 9 octobre 2017, l'association Juristes pour l'enfance, représentée par MeB..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 7 avril 2017 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions du ministre de la culture et de la communication mentionnées ci-dessus ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'association soutient que :

- elle a intérêt à agir, et est valablement représentée par son Président ;

- le tribunal ne pouvait lui opposer le jugement n° 1620780/5-3, rendu le même jour ; il a ainsi méconnu les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il a dénaturé ses écritures, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- la commission de classification des oeuvres cinématographiques n'a visionné que la version originale du film, contrairement aux dispositions de l'article R. 211-17 du code du cinéma et de l'image animée ;

- le ministre n'a accordé qu'un seul visa, sans même préciser dans sa décision qu'il concernait la version originale ou la version française, contrairement aux dispositions de l'article R. 211-12 du même code ;

- le visa accordé méconnait les dispositions des articles 3, paragraphe 1, et 19 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'article L. 112-4 du code de l'action sociale et des familles ;

- le film est inadapté à des mineurs de douze ans et contrevient gravement aux principes du respect de la protection de l'enfance ;

- le visa devait à tout le moins être assorti d'une interdiction de représentation aux mineurs de seize ans ;

- il devait à tout le moins être accompagné d'un avertissement ;

- la requête doit être jointe à la requête n° 17PA01475.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2017, le ministre de la culture, représenté par la SCP Piwnica etA..., avocat aux Conseils, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par l'association Juristes pour l'enfance ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision du 29 septembre 2016 accordant un visa d'exploitation pour la version française du film " Sausage Party ", compte tenu du caractère définitif du jugement n° 1620780 en date du 7 avril 2017 du Tribunal administratif de Paris.

Un mémoire a été présenté pour l'association Juristes pour l'enfance le 23 octobre 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code du cinéma et de l'image animée ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,

- les observations de Me B...pour l'association Juristes pour l'enfance,

- et les observations de Me A...pour le ministre de la culture.

1. Considérant que par deux décisions en date du 29 septembre 2016 prises après avis de la commission de classification des oeuvres cinématographiques rendu le 13 septembre 2016, le ministre de la culture et de la communication a délivré au film " Sausage Party ", réalisé par Messieurs Conrad Vernon et Greg Tiernan, des visas d'exploitation pour la version originale et pour la version postsynchronisée en français, comportant une interdiction aux mineurs de douze ans, en rappelant les motifs de l'avis émis le 13 septembre 2016 par la commission de classification des oeuvres cinématographiques, faisant état de " très nombreuses scènes à caractère sexuel et un langage cru qui, en dépit de leur second degré, ne sont pas appropriés à un jeune public ", sans assortir cette interdiction d'une mesure d'avertissement destiné à l'information du spectateur ; que l'association Juristes pour l'enfance a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler ces décisions ; que, par un jugement n° 1620838/5-3 du 7 avril 2017, le tribunal administratif a constaté un non-lieu à statuer sur ses conclusions tendant à l'annulation de la décision portant visa d'exploitation pour la version postsynchronisée en français, au motif que cette décision a été annulée par son jugement n° 1620780/5-3 du même jour, et a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision accordant un visa d'exploitation pour la version originale ; que l'association Juristes pour l'enfance fait appel de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, que le jugement du tribunal administratif comporte, contrairement à ce que soutient l'association Juristes pour l'enfance, l'analyse de ses conclusions et de ses mémoires, ainsi que l'exigent les dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

3. Considérant, en second lieu, que le juge de l'excès de pouvoir ne peut, en principe, déduire d'une décision juridictionnelle rendue par lui-même ou par une autre juridiction qu'il n'y a plus lieu de statuer sur des conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, tant que cette décision n'est pas devenue irrévocable ;

4. Considérant qu'à la date à laquelle le tribunal a, par l'article 1er du jugement attaqué, constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions de l'association tendant à l'annulation de la décision portant visa d'exploitation pour la version postsynchronisée en français du film " Sausage Party ", son jugement n° 1620780/5-3 du même jour annulant cette décision n'était pas définitif, puisqu'il était susceptible d'être frappé d'appel ; que l'association est donc fondée à soutenir que le tribunal qui n'a pas fait usage de la faculté dont il disposait de joindre les demandes dont il était saisi pour statuer par une même décision, ne pouvait constater ce non-lieu à statuer et à demander l'annulation de l'article 1er du jugement n° 1620838/5-3 ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision portant visa d'exploitation pour la version originale postsynchronisée en français :

5. Considérant que, compte tenu du caractère définitif, à la date du présent arrêt, de l'annulation de la décision portant visa d'exploitation pour la version postsynchronisée en français, prononcée par le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1620780/5-3 du 7 avril 2017, il n'y a pas lieu pour la Cour de se prononcer sur les conclusions de l'association Juristes pour l'enfance tendant à l'annulation de cette même décision ; qu'il y a lieu en revanche de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision portant visa d'exploitation pour la version originale du film ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision portant visa d'exploitation pour la version originale :

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée : " La représentation cinématographique est subordonnée à l'obtention d'un visa d'exploitation délivré par le ministre chargé de la culture. / Ce visa peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de l'enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 211-10 du même code : " Le ministre chargé de la culture délivre le visa d'exploitation cinématographique aux oeuvres (...) cinématographiques (...) destinés à une représentation cinématographique, après avis de la commission de classification des oeuvres cinématographiques (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 211-12 de ce code dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le visa d'exploitation cinématographique s'accompagne de l'une des mesures de classification suivantes : /1° Autorisation de la représentation pour tous publics ; /2° Interdiction de la représentation aux mineurs de douze ans ; /3° Interdiction de la représentation aux mineurs de seize ans ; /4° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans sans inscription sur la liste prévue à l'article L. 311-2, lorsque l'oeuvre ou le document comporte des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas une telle inscription ; /5° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans avec inscription de l'oeuvre ou du document sur la liste prévue à l'article L. 311-2 " ; qu'aux termes de l'article R. 211-13 du même code, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Sans préjudice de la mesure de classification qui accompagne sa délivrance, le visa d'exploitation cinématographique peut être assorti d'un avertissement, destiné à l'information du spectateur, portant sur le contenu ou les particularités de l'oeuvre ou du document concerné " ;

7. Considérant que les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée confèrent au ministre chargé de la culture l'exercice d'une police spéciale fondée sur les nécessités de la protection de l'enfance et de la jeunesse et du respect de la dignité humaine, en vertu de laquelle il lui incombe en particulier de prévenir la commission de l'infraction réprimée par les dispositions de l'article 227-24 du code pénal, qui interdisent la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, d'un message à caractère violent, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine lorsqu'il est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur, soit en refusant de délivrer à une oeuvre cinématographique un visa d'exploitation, soit en imposant à sa diffusion l'une des restrictions prévues à l'article R. 211-12 du code du cinéma et de l'image animée, qui lui paraît appropriée au regard tant des intérêts publics dont il doit assurer la préservation que du contenu particulier de cette oeuvre ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le film d'animation " Sausage Party " met en scène, sur un ton provocateur, les aventures d'aliments et de produits vendus en supermarché, partiellement humanisés, les personnages principaux étant une saucisse et un pain à " hot dog " vivant leur premier amour ;

9. Considérant, en premier lieu, que, si l'association Juristes pour l'enfance fait état de scènes représentant le " viol " d'une brique de jus de fruits et le " viol " d'une boite de " crackers " par une boite de soupe déshydratée, dont elle n'établit pas le caractère raciste, de scènes de sexe ou suggérant des pratiques sexuelles, de scènes évoquant l'usage de drogues, présenté selon elle en suivant un parti-pris favorable, ainsi que, sans en préciser le détail, d'autres scènes de violence, de crimes et de délits, ces diverses scènes ne peuvent, compte tenu de la forme incomplètement humanisée des personnages qu'elles représentent, être regardées comme ayant le caractère de scènes de sexe non simulées ou de très grande violence au sens des dispositions citées ci-dessus de l'article R. 211-12 du code du cinéma et de l'image animée, ou comme portant atteinte à la dignité humaine ; que ces mêmes scènes ne peuvent en outre, compte tenu de leur absence de réalisme et de caractère incitatif, et en dépit des textes et de la bande-son qui en accompagnent la version originale, être regardées comme de nature à heurter la sensibilité du public de douze ans et plus ; que le ministre a donc pu, sans entacher sa décision d'erreur d'appréciation accorder au film un visa d'exploitation comportant une interdiction limitée aux mineurs de douze ans, sans assortir cette interdiction d'une mesure d'avertissement ;

10. Considérant, en second lieu, que la décision attaquée présentant un caractère approprié à la protection de l'enfance et de la jeunesse, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles 3, paragraphe 1, et 19 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'article L. 112-4 du code de l'action sociale et des familles, doivent être écartés ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association Juristes pour l'enfance n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 septembre 2016 portant visa d'exploitation pour la version originale du film ;

Sur les conclusions de l'association Juristes pour l'enfance présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'association Juristes pour l'enfance demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1620838/5-3 du Tribunal administratif de Paris du 7 avril 2017 est annulé.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande devant le Tribunal administratif de Paris, dirigées contre la décision du 29 septembre 2016 accordant un visa d'exploitation pour la version française du film " Sausage Party ".

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association Juristes pour l'enfance est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Juristes pour l'enfance et au ministre de la culture.

Copie en sera adressée au Centre national du cinéma et de l'image animée.

Délibéré après l'audience du 24 octobre 2017, à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Labetoulle, premier conseiller.

Lu en audience publique le 14 novembre 2017.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLe président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

T. ROBERT

La République mande et ordonne au ministre de la culture en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA01938

Classement CNIJ :

C


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA01938
Date de la décision : 14/11/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Arts et lettres - Cinéma.

Police - Polices spéciales - Police du cinéma (voir : Arts et lettres).


Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : SCP PIWNICA-MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-11-14;17pa01938 ?
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