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09/10/2014 | FRANCE | N°14PA00723

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3 ème chambre, 09 octobre 2014, 14PA00723


Vu la requête, enregistrée le 18 février 2014, présentée pour la société Jouve SA, dont le siège est 1 rue du Docteur Sauvé à Mayenne (53100), par la SCP Celice-Blancpain-Soltner ; la société Jouve SA demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1304098/3-3 du 17 décembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 22 juillet 2012 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé de l'autoriser à licencier M. C... A...et la décision implicite, née le 24 janvier 2013, par laquelle le m

inistre du travail a rejeté le recours hiérarchique qu'elle a formé contre l...

Vu la requête, enregistrée le 18 février 2014, présentée pour la société Jouve SA, dont le siège est 1 rue du Docteur Sauvé à Mayenne (53100), par la SCP Celice-Blancpain-Soltner ; la société Jouve SA demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1304098/3-3 du 17 décembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 22 juillet 2012 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé de l'autoriser à licencier M. C... A...et la décision implicite, née le 24 janvier 2013, par laquelle le ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique qu'elle a formé contre la première décision, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à l'inspecteur du travail de statuer à nouveau sur sa demande d'autorisation de licenciement de M. A... dans un délai de quatre mois et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, enfin, à la mise à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) d'annuler les décisions précitées ;

3°) d'enjoindre à l'inspecteur du travail de statuer à nouveau sur sa demande d'autorisation de licenciement de M. A... dans un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation dès lors que le tribunal n'a pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que la décision de l'inspecteur du travail était insuffisamment motivée ;

- le jugement attaqué est irrégulier en ce que les premiers juges ont opéré d'office une substitution de motif sans y être expressément invités par l'administration ;

- en effet, les juges se sont fondés sur l'existence d'un contexte conflictuel alors que l'inspecteur du travail s'était fondé sur l'absence de signature de l'avenant pour conclure au lien entre la demande de licenciement et le mandat ;

- en jugeant qu'existait un lien entre la demande de licenciement et le mandat détenu par M. A..., le tribunal a commis une erreur dans la qualification juridique des faits ;

- l'existence d'une relation conflictuelle ne saurait, à elle seule, laisser présumer l'existence d'une discrimination syndicale ;

- l'existence d'une précédente demande d'autorisation de licenciement ne suffit pas à établir cette discrimination dès lors qu'elle se fondait sur une violation des règles internes en matière de demande de congés payés et sur une falsification d'un formulaire de demande de congés payés, faits dont le ministre a reconnu qu'ils étaient établis, même s'il a estimé qu'ils n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement ;

- l'existence de deux procédures de licenciement démontre au contraire que le comportement du salarié est loin d'être irréprochable ;

- la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'une erreur de droit puisqu'il a retenu que le doute devait bénéficier au salarié, en vertu de l'article L. 1235-1 du code du travail, alors qu'il n'y a pas de doute sur la matérialité des faits de dénonciation sans preuve ;

- le seul doute existant est sur l'existence d'une fouille reprochée à l'employeur et qu'il appartenait au salarié d'établir ;

- la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'une erreur dans la qualification juridique des faits dès lors qu'il a estimé qu'à les supposer établis, les faits reprochés au salarié n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement ;

- la dénonciation calomnieuse tombe sous le coup de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l'article L. 226-10 du code pénal ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2014, présenté pour M. C... A...par Me D... qui conclut à la confirmation du jugement attaqué et des décisions contestées, au rejet de la requête et à la condamnation de la société Jouve SA à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- le jugement attaqué et la décision de l'inspection du travail sont suffisamment motivés ;

- le tribunal n'a pas procédé à une substitution de motif, le jugement attaqué comme la décision de l'inspecteur se fondant sur le même motif tiré de l'existence d'un lien entre la demande de licenciement et le lien détenu par le salarié ;

- contrairement à ce que soutient la société requérante, le tribunal n'a pas considéré que le lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat résultait de l'existence d'une précédente demande de licenciement mais de relations conflictuelles permanentes ;

- le tribunal n'a commis aucune erreur dans la qualification juridique des faits en considérant l'existence d'un lien entre la mesure de licenciement et le mandat détenu par M. A... ;

- l'existence d'une discrimination syndicale ressort des relations conflictuelles récurrentes entre le salarié et la direction, dues à la présence très active de la CGT qui a désigné M. A..., aux représailles qu'il subit dans le cadre de sa carrière et de ses mandats, aux contentieux en cours, à l'absence d'aboutissement des négociations de rupture conventionnelle et à la première demande d'autorisation de licenciement rejetée par l'inspection du travail, décision confirmée tant par le Tribunal administratif de Paris que la Cour administrative d'appel de Paris ;

- les propos de M. A... n'ont pas la gravité de ceux cités dans les jurisprudences par la société Jouve qui n'allègue aucun préjudice ;

- c'est la société Jouve qui, dans sa demande de licenciement, a affirmé que ses propos visaient un délit d'entrave, une persécution, un harcèlement, voire des vols de documents, dans le but de leur conférer une gravité qu'ils n'ont pas ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2014, présenté par le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social qui conclut à la confirmation du jugement attaqué ;

Il soutient que :

- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;

- le jugement attaqué n'a procédé à aucune substitution de motifs ;

- le jugement attaqué n'est entaché d'aucune erreur dans la qualification juridique des faits ;

- il renvoie à son mémoire produit le 6 décembre 2013 concernant les moyens développés à l'encontre des décisions rendues par l'inspection du travail et l'autorité ministérielle ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 septembre 2014 :

- le rapport de Mme Julliard, premier conseiller,

- les conclusions de M. Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me Amédro, avocat de la société Jouve, et celles de Me Parvex, avocat de M.A... ;

1. Considérant que la société Jouve SA a sollicité, par courrier du 4 juin 2012, l'autorisation de licencier M. A..., représentant de section syndicale, pour fausses accusations de délit d'entrave, persécutions, harcèlement et défaut de signature de l'avenant à son contrat de travail, autorisation rejetée par décision du 22 juillet 2012 de l'inspecteur du travail contre laquelle son employeur a formé, le 24 septembre 2012, un recours hiérarchique auprès du ministre chargé du travail qui l'a implicitement rejeté le 24 janvier 2013 ; que la société Jouve SA relève appel du jugement du 17 décembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions précitées ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que la société Jouve SA soutient que le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation dès lors que le tribunal n'a pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que la décision de l'inspecteur du travail était insuffisamment motivée ; qu'il ressort toutefois dudit jugement qu'en retenant, eu égard au lien existant selon les juges entre la demande de licenciement et le mandat détenu par le salarié, la situation de compétence liée dans laquelle se trouvait l'administration, le tribunal a entendu écarter comme inopérants tous les autres moyens dirigés contre les décisions litigieuses ; que le tribunal n'avait, par suite, pas à se prononcer sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du 22 juillet 2012 de l'inspecteur du travail ;

3. Considérant que la société requérante soutient également que le jugement attaqué est irrégulier en ce que les premiers juges ont opéré d'office une substitution de motifs sans y être expressément invités par l'administration, en fondant leur décision sur l'existence d'un contexte conflictuel, alors que l'inspecteur du travail s'était fondé sur l'absence de signature de l'avenant pour conclure au lien entre la demande de licenciement et le mandat ; que, toutefois, le tribunal n'a pas procédé à une substitution de motif, dès lors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, les premiers juges ont retenu, tout comme l'inspecteur du travail, l'existence d'un lien entre la demande de licenciement et le mandat détenu par le salarié, rendant inutile l'examen des griefs reprochés au salarié ; que le moyen manque en fait ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ;

5. Considérant que la décision contestée du 22 juillet 2012 de l'inspecteur du travail énonce qu'" il ne peut être exclu un lien avec le mandat détenu par le salarié " ; qu'il ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport établi le 5 décembre 2012 par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi à destination du ministre chargé du travail, qu'un important conflit a opposé M. A... à la direction de la société Jouve SA à l'occasion de la signature d'un accord pré-électoral ayant eu pour conséquence de l'empêcher de se présenter aux élections professionnelles de l'entreprise, que plusieurs contentieux ont opposé cette dernière au salarié tant devant les juridictions administratives que judiciaires, que la société Jouve a contesté la désignation de M. A... comme représentant de la section syndicale devant le Tribunal d'instance de Laval qui l'a déboutée par jugement du 13 janvier 2011, que des sanctions disciplinaires infligées à M. A... les 24 juillet et 14 octobre 2009 ont été annulées par le Conseil des Prud'hommes de Paris par jugement du 10 janvier 2013 qui a par ailleurs condamné la société requérante à verser à M. A... la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice subi pour discrimination syndicale, que le ministre chargé du travail a confirmé la décision litigieuse de l'inspecteur du travail par décision explicite du 1er février 2013, au motif que le lien entre la mesure de licenciement envisagée et l'exercice des mandats du salarié était établi ; qu'il est constant que la mesure de licenciement sollicitée intervient, comme l'a souligné le tribunal, dans un contexte de relations conflictuelles récurrentes entre M. A... et la société Jouve SA, laquelle avait déjà sollicité le 6 septembre 2010 l'autorisation de le licencier, autorisation refusée par décision du 26 octobre 2010 de l'inspectrice du travail, puis par décision du 13 mai 2011 du ministre du travail confirmée par un jugement du 9 avril 2013 du Tribunal administratif de Paris et par un arrêt du 20 mars 2014 de la Cour de céans ; que, dans ces conditions, et alors que le motif invoqué tenait à un comportement du salarié insusceptible de revêtir un caractère de gravité de nature à justifier par lui-même son licenciement, celui-ci ne peut être regardé comme sans rapport avec les fonctions représentatives ou l'appartenance syndicale de l'intéressé et l'autorité administrative était tenue, comme l'a à bon droit jugé le tribunal, de rejeter la demande d'autorisation présentée par la société Jouve SA ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Jouve SA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 juillet 2012 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé de l'autoriser à licencier M. A...et la décision implicite, née le 24 janvier 2013, par laquelle le ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

7. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête de la société Jouve SA, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Jouve SA demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de cette dernière une somme de 2 000 euros à verser à M. A...sur le fondement des mêmes dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Jouve SA est rejetée.

Article 2 : La société Jouve SA versera à M. A...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Jouve SA, au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à M. C... A....

Délibéré après l'audience du 25 septembre 2014, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- M. Polizzi, président assesseur,

- Mme Julliard, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 9 octobre 2014.

Le rapporteur,

M. JULLIARDLe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 14PA00723


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3 ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA00723
Date de la décision : 09/10/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2014-10-09;14pa00723 ?
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