La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/10/2014 | FRANCE | N°14PA00257

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3 ème chambre, 09 octobre 2014, 14PA00257


Vu la requête, enregistrée le 15 janvier 2014, présentée pour la société Melitta Systemservice France SAS, dont le siège est 16 rue Paul Henri Spaak à Saint-Thibault-des-Vignes (77400), par le cabinet Weil et associés ; la société Melitta Systemservice France SAS demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1105430/9 du 4 décembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 mai 2011 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a retiré sa décision implicite du 24 avril 2011

de rejet du recours hiérarchique formé par M. F... B...contre la décision...

Vu la requête, enregistrée le 15 janvier 2014, présentée pour la société Melitta Systemservice France SAS, dont le siège est 16 rue Paul Henri Spaak à Saint-Thibault-des-Vignes (77400), par le cabinet Weil et associés ; la société Melitta Systemservice France SAS demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1105430/9 du 4 décembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 mai 2011 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a retiré sa décision implicite du 24 avril 2011 de rejet du recours hiérarchique formé par M. F... B...contre la décision de l'inspectrice du travail du 2 novembre 2010 autorisant son licenciement pour faute, annulé la décision de l'inspectrice du travail et refusé d'autoriser le licenciement de M.B... ;

2°) d'annuler la décision précitée du 16 mai 2011 ;

Elle soutient que :

- le ministre a fait une mauvaise appréciation des faits en considérant que les fraudes au remboursement des frais professionnels reprochées à M. B... n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement pour motif disciplinaire ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé, comme l'avait fait le ministre, qu'un forfait de remboursement avait été instauré d'un commun accord entre MSSF et M. B... sans vérifier l'existence de ce prétendu accord ;

- les notes de frais de ce dernier avaient toutes un montant total différent du fait de l'addition de différents postes de frais auxquels s'ajoutait le forfait unilatéralement mis en oeuvre par le salarié, qui n'était pas la norme au sein de l'entreprise comme en témoignent les notes de frais d'un salarié aux fonctions similaires à celles de M. B...appliquant strictement le barème kilométrique ;

- ni le jugement attaqué, ni la décision critiquée ne mentionnent la fraude au remboursement des frais de restaurant pourtant reprochée dans la demande de licenciement ;

- la déloyauté caractérisée de M. B..., consistant en des fraudes répétées au remboursement de frais professionnels et des mensonges sur son emploi du temps, la réalité de ses déplacements et prospections, justifie le licenciement ;

- ni le jugement attaqué, ni la décision critiquée ne mentionnent le grief tiré de la déloyauté de M.B... ;

- le second grief tiré du non-respect des directives données par son employeur dans le cadre du plan d'action " PANOI " est établi et justifie le licenciement dès lors qu'il ne s'agit pas d'une simple insuffisance mais d'une volonté du salarié de violer ses obligations et engagements contractuels ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2014, présenté par le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

- c'est à juste titre, au vu du récapitulatif des remboursements des notes de frais de janvier 2009 à août 2010 produit par la société requérante, qu'il a pu constater une certaine régularité confortant la pratique d'un forfait défendu par M. B... ;

- la mention d'un article du contrat de travail ne suffit pas à elle seule à justifier l'absence d'une pratique ou d'un usage contraire dans l'entreprise et l'autorité administrative doit prendre en compte les conditions réelles d'exécution du contrat dans l'entreprise ;

- les notes de frais ont été avalisées par le responsable hiérarchique de M. B... et amendées dans leur calcul par le service administratif qui, après contrôle de cohérence, les a mises en paiement ;

- la référence aux kilomètres parcourus a été abandonnée par la société requérante à partir du mois de septembre 2009 jusqu'en août 2010 et il ne peut être reproché à ce dernier des fraudes au kilométrage en mai 2010 alors que celui-ci n'était plus mentionné dans la note de frais du mois considéré ;

- les fais relevant du mois de mai 2010 devraient être considérés comme prescrits conformément à l'article L. 1332-4 du code du travail ;

- contrairement à ce que soutient la société requérante, cette dernière n'a pas invoqué dans sa demande d'autorisation du 6 octobre 2010 le grief tiré de la fraude au remboursement des notes de restaurant et en tout état de cause, ce grief n'est étayé par aucun élément ;

- contrairement à ce que soutient la société requérante, il n'appartenait pas à l'autorité administrative de se prononcer sur la déloyauté du salarié dès lors que la matérialité des fraudes n'était pas considérée comme établie ;

- en ce qui concerne le grief tiré de la mauvaise exécution du plan d'action " PANOI " ainsi que les propos discourtois tenus par le salarié à l'encontre de son supérieur hiérarchique, c'est à bon droit que l'autorité administrative a considéré que si les faits reprochés étaient établis, ils n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement dès lors que la nouvelle procédure de ce plan a été lancée durant la période estivale en période de congés et eu égard à l'ancienneté du salarié et à l'absence de procédure disciplinaire à son encontre depuis plus de dix ans ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2014, présenté pour M. F... B...par Me E... qui conclut à la confirmation du jugement attaqué et à la condamnation de la société Mellita Systemservice France à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- au titre des frais professionnels, il bénéficiait d'un forfait mensuel dès 2002 qui lui était versé en 11 mensualités, le 12ème mois non payé correspondant aux congés et l'usage qui s'est instauré a conduit à ce qu'il établisse des déclarations de frais mentionnant systématiquement le montant de cette mensualité qui lui a été constamment versée ;

- la société requérante ne saurait sérieusement contester l'existence de cette pratique qui doit s'analyser comme un avantage individuel acquis au profit du salarié ;

- compte tenu de cette pratique, il n'a jamais sollicité de remboursement et la déclaration du kilométrage était sans effet sur le paiement ;

- en 2010, il n'a pas précisé le kilométrage effectué de sorte qu'il n'a pu faire de fausse déclaration à ce titre comme le lui reproche son employeur ;

- il joignait comme justificatifs ses relevés de péages de sorte que ce système transparent excluait une fausse déclaration délibérée ne présentant au demeurant aucun intérêt compte tenu de la forfaitisation du remboursement des frais ;

- un salarié, M.A..., a attesté de l'existence du forfait à son profit ;

- la comparaison de sa situation avec celle de M. D...est inopérante puisqu'il est le seul à bénéficier d'un remboursement de frais forfaitaire ;

- le grief tiré du remboursement indu de frais de restaurant ne figure pas dans la lettre de demande de licenciement ;

- sa prétendue déloyauté ne figure pas dans la lettre de licenciement ;

- tant l'inspecteur du travail que le ministre ont refusé d'accueillir le grief tiré du prétendu refus du salarié de suivre les directives et de sa mauvaise foi ;

- que sa mauvaise humeur, exprimée dans un mail et causée par son état de santé et le stress, ne saurait constituer un manquement susceptible d'être sanctionné par un licenciement pour faute grave ;

- en ce qui concerne sa prétendue réticence à remplir le plan d'action mis en place par la société requérante, il apparaît qu'il a mal compris comment utiliser l'outil informatique mis à sa disposition ;

- ses méthodes de travail sont remises en cause après dix années sans aucune observation ou sanction préalable ;

- il est établi que c'est en raison de ses mandats qu'il a été licencié ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 septembre 2014 :

- le rapport de Mme Julliard, premier conseiller,

- les conclusions de M. Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me Frelat, avocate de la société Melitta Systemservice France SAS ;

1. Considérant que M.B..., employé depuis 1999 en qualité d'attaché commercial par la société Melitta Systemservice France et exerçant au sein de l'entreprise les mandats de délégué du personnel et de délégué syndical, a fait l'objet d'une demande de licenciement pour faute, accordée par l'inspectrice du travail par décision du 2 novembre 2010 ; que, saisi d'un recours hiérarchique présenté par M. B..., le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a, par décision du 16 mai 2011, retiré sa décision implicite de rejet du recours née le 24 avril 2011, annulé la décision de l'inspectrice du travail et refusé d'autoriser le licenciement ; que la société Melitta Systemservice France relève appel du jugement du 4 décembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 16 mai 2011 ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ;

En ce qui concerne le premier grief :

3. Considérant qu'il est reproché à M. B... d'avoir commis des fraudes sur le remboursement de ses frais professionnels au cours de l'année 2010 en obtenant le remboursement de déplacements ne correspondant pas à ceux effectivement réalisés et en majorant les kilomètres parcourus avec son véhicule personnel ; que le salarié invoque l'existence d'un accord de l'entreprise pour un remboursement forfaitaire mensuel sur 11 mois de ses frais de déplacement dont la société requérante conteste l'existence ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le contrat de M. B... prévoyait, au titre de la prise en charge de ses frais de déplacement, la perception d'une indemnité kilométrique suivant un barème fixé par la direction de l'entreprise et en fonction des compte-rendu d'activité du salarié et que ce dernier établissait, en effet, mensuellement des notes de frais détaillant ses déplacements ; qu'il ressort également des pièces du dossier, en particulier des relevés de comptes bancaires de l'intéressé et du récapitulatif produit par la société requérante que si les remboursements des frais professionnels, incluant également d'autres frais tels que la restauration, variaient selon les mois, ils incluaient un forfait fixe d'un montant de 1 599,77 euros ; qu'ainsi que l'a souligné le ministre, cette régularité conforte la thèse défendue par M. B... de l'existence d'un accord de l'entreprise pour le versement d'un forfait mensuel ; que ce dernier produit également une attestation du 8 avril 2011 de son ancien supérieur hiérarchique, M. A..., aux termes de laquelle s'étant étonné à son arrivée dans l'entreprise en juin 2010, de l'existence d'un tel forfait contrevenant aux dispositions du contrat de M. B..., il lui aurait été répondu que cette pratique était en oeuvre au bénéfice de ce dernier depuis longtemps, en accord avec les anciens dirigeants de l'entreprise ; qu'en outre, il n'est pas contesté que les notes de frais de M. B... étaient chaque mois contrôlées, corrigées et validées par son supérieur hiérarchique et les sommes correspondantes, systématiquement versées ; qu'enfin, il ressort desdites notes que la référence aux kilomètres parcourus a été abandonnée à partir du mois de septembre 2009 jusqu'en août 2010 ; qu'ainsi, c'est à bon droit que la décision litigieuse énonce que l'employeur qui a toléré cette pratique jusqu'à cette date sans y mettre fin avant la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire, ne peut invoquer l'existence d'un différentiel non justifié, voire frauduleux, entre la réalité des distances parcourues et les remboursements qu'il a effectués après contrôles du supérieur hiérarchique et du service compétent ; qu'il en résulte que les faits de fraude au remboursement des frais de déplacement de M. B... ne peuvent être regardés comme matériellement établis ;

5. Considérant que ni le jugement attaqué, ni la décision critiquée n'avaient à se prononcer sur l'existence d'une éventuelle fraude au remboursement des frais de restaurant, dès lors que, contrairement à ce que soutient la société Melitta Systemservice France, sa demande d'autorisation de licenciement du 6 octobre 2010 ne faisait pas état d'un tel grief à l'encontre de M. B... ;

6. Considérant que si la société requérante soutient que ni le jugement attaqué, ni la décision critiquée ne mentionnent le grief tiré de la déloyauté caractérisée de M. B... consistant en des fraudes répétées au remboursement de frais professionnels et des mensonges sur son emploi du temps, la réalité de ses déplacements et prospections, justifiant son licenciement, il n'appartenait ni à l'autorité administrative, ni au juge de se prononcer sur la déloyauté du salarié dès lors que ni l'une ni l'autre n'ont considéré comme établie la matérialité des fraudes alléguées ;

En ce qui concerne le second grief :

7. Considérant qu'il est reproché à M. B... d'avoir refusé de suivre les directives et d'exécuter de mauvaise foi son contrat de travail ; qu'il ressort des pièces du dossier que dans le cadre d'un nouveau plan d'action de prospection, lancé le 23 juillet 2010, des demandes d'établissement de documents de travail réitérées par son supérieur hiérarchique, ont été laissées plusieurs semaines sans réponse par M. B... ; que si les négligences et la mauvaise volonté du salarié doivent être regardés comme établies, ces faits ont été considérés tant par l'inspectrice du travail que par le ministre comme insuffisamment graves pour justifier le licenciement du salarié ; qu'il ressort, en effet, des pièces du dossier que dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la brièveté de la période en cause, aux difficultés alléguées par M. B..., et non contestées par l'entreprise, pour s'approprier l'outil informatique nécessaire aux nouvelles procédures exigées du salarié, à l'absence de répercussions de son comportement fautif sur la bonne marche de l'entreprise, à son ancienneté dans cette dernière et à l'absence de tout antécédent disciplinaire, M. B... est fondé à soutenir que ce grief n'est pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Melitta Systemservice France SAS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre du travail du 16 mai 2011 refusant le licenciement pour faute de M.B... ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Melitta Systemservice France SAS le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Melitta Systemservice France SAS est rejetée.

Article 2 : La société Melitta Systemservice France SAS versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Melitta Professional Coffee Solutions France (anciennement Melitta Systemservice France SAS), au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à M. F... B....

Délibéré après l'audience du 25 septembre 2014, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- M. Polizzi, président assesseur,

- Mme Julliard, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 9 octobre 2014.

Le rapporteur,

M. JULLIARDLe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

''

''

''

''

5

N° 10PA03855

2

N° 14PA00257


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3 ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA00257
Date de la décision : 09/10/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : LEFOL ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2014-10-09;14pa00257 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award