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05/04/2012 | FRANCE | N°11PA04666

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3 ème chambre, 05 avril 2012, 11PA04666


Vu l'arrêt n° 335830 du 19 octobre 2011 par lequel la 7ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat, statuant sur le pourvoi en cassation présenté par Mme Florence A, a, d'une part, annulé l'arrêt n° 08PA01286 du 15 octobre 2009 par lequel la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête de cette dernière tendant à l'annulation du jugement n° 0600133 en date du 26 février 2008 du Tribunal administratif de la Polynésie française ayant rejeté sa demande tendant à la réparation des préjudices qu'elle a subis du fait des travaux d'extraction de sou

pe de corail et de construction de la route de ceinture de l'île de...

Vu l'arrêt n° 335830 du 19 octobre 2011 par lequel la 7ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat, statuant sur le pourvoi en cassation présenté par Mme Florence A, a, d'une part, annulé l'arrêt n° 08PA01286 du 15 octobre 2009 par lequel la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête de cette dernière tendant à l'annulation du jugement n° 0600133 en date du 26 février 2008 du Tribunal administratif de la Polynésie française ayant rejeté sa demande tendant à la réparation des préjudices qu'elle a subis du fait des travaux d'extraction de soupe de corail et de construction de la route de ceinture de l'île de Raiatea, réalisés par le territoire de la Polynésie française, et a, d'autre part, renvoyé l'affaire à la Cour ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;

Vu la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;

Vu la délibération n° 2004-34 du 12 février 2004 de l'Assemblée de la Polynésie française portant composition et administration du domaine public en Polynésie française ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 mars 2012 :

- le rapport de Mme Renaudin, rapporteur,

- les conclusions de M. Jarrige, rapporteur public,

- et les observations de Me Potier de la Varde, pour Mme A et celles de Me de Chaisemartin, pour la Polynésie française ;

Considérant que Mme A a recherché devant le Tribunal administratif de la Polynésie française la responsabilité de la Polynésie française dans les dommages qu'elle subis du fait de la construction en 1984 d'une portion de la route de ceinture de l'île de Raiatea sur une digue traversant le lagon au droit de sa propriété et de l'extraction de soupe de corail dans la zone ouverte à l'occasion de ces travaux routiers ; que par jugement en date du 26 février 2008 ce tribunal a partiellement retenu la responsabilité du territoire de la Polynésie française au regard de ces dommages, mais a rejeté la demande d'indemnisation de la requérante ; que par un arrêt en date du 15 octobre 2009 la Cour de céans a rejeté la requête de Mme A qui relevait appel dudit jugement ; que Mme A s'étant pourvue en cassation, le Conseil d'Etat, a, par un arrêt en date du 19 octobre 2011, d'une part, annulé ledit arrêt et, d'autre part, renvoyé l'affaire à la Cour ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par la Polynésie française tirée du défaut de qualité à agir de Mme A :

Considérant que Mme A a produit au dossier le mandat de sa mère établi le 8 mars 2000 ainsi que plusieurs mandats établis en mars et mai 2009 par les autres membres de l'indivision successorale à laquelle elle appartient, et qui l'autorisent à représenter l'indivision ; que Mme A doit donc être regardée comme agissant en qualité de mandataire des co-indivis ; que la fin de non-recevoir soulevée par la Polynésie française tirée de son absence de qualité à agir doit donc être écartée ;

Sur l'exception de prescription quadriennale soulevée par la Polynésie française :

Considérant que les dispositions du premier alinéa de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1968 susvisée, applicable en Polynésie française, prévoient que l'administration doit invoquer la prescription quadriennale avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ; que la Polynésie française ne s'est pas prévalue, à propos de la créance litigieuse, de la prescription prévue par la loi du 31 décembre 1968 en première instance ; que dès lors elle n'est pas recevable à opposer en appel l'exception de prescription quadriennale ;

Sur la responsabilité :

Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction et en particulier du rapport de l'expert désigné par le Tribunal administratif de la Polynésie française, que depuis la construction de la route en cause sur la digue, les terres de la propriété de Mme A sont devenues marécageuses, en raison d'un problème de stagnation des eaux, lesquelles venant de la montagne, s'écoulaient auparavant vers le rivage ; que cette perturbation de la circulation des eaux, qui a créé une lagune d'eau parfois nauséabonde, résulte selon l'expert du nombre et du dimensionnement insuffisant des ouvrages d'écoulement des eaux implantés sous la route, ainsi que de leur défaut d'entretien et de curage, l'expert ayant constaté lors de sa visite sur place que les buses étaient totalement bouchées ; qu'ainsi les causes du dommage sont établies et qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la Polynésie Française tendant à ce que la Cour ordonne une expertise complémentaire de manière à déterminer si des causes naturelles ont pu participer à leur survenance, hypothèse à l'appui de laquelle la Polynésie française n'apporte aucun commencement de démonstration ; que, de même, la requérante n'apporte aucun élément au soutien de l'allégation selon laquelle les extractions de corail auraient bouleversé la circulation de la marée pénétrant de manière accrue à l'intérieur des terres, cette cause devant être écartée ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction qu'à l'occasion des travaux de construction de la route en cause, une zone d'extraction de soupe de corail a été ouverte en 1982 dans le lagon, dont l'exploitation a été autorisée au profit de l'administration de l'Equipement et de la municipalité jusqu'en 1999 ; que selon l'expert, cette extraction s'est déroulée sans surveillance et en l'absence de toute remise en état des lieux après celle-ci, d'où l'émergence de terre pleins sans forme défigurant les lieux ;

Considérant qu'ainsi Mme A subit une dépréciation de sa propriété du fait de la dégradation de son environnement par la présence d'une lagune consécutive à l'édification de la route, mais aussi par la modification du paysage du lagon résultant de la réalisation anarchique des travaux d'extraction ; que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu la responsabilité de la Polynésie française dans cette modification environnementale ;

Considérant que si Mme A fait également valoir qu'elle aurait subi un préjudice distinct consistant en l'extraction à son détriment de matériaux dans la zone de corail, elle n'établit pas la réalité de ce dernier ; qu'en effet, si elle soutient que les extractions de corail ont eu lieu sur sa propriété, il résulte de l'instruction et notamment des explications de l'expert dans un mémoire produit en première instance le 5 décembre 2007, que la zone d'extraction autorisée a été ouverte dans le lagon sur le domaine public maritime ; que si l'expert a précisé " qu'il semble " qu'une parcelle de terrain appartenant à la famille A ait été concernée par des extractions sauvages, la requérante n'apporte aucun élément de nature à démontrer la réalité de ces faits ; qu'au surplus, à supposer même vérifiée l'existence de ces extractions sur la propriété de la requérante, comme l'a noté l'expert, elles relevaient de particuliers agissant sans autorisation et en dehors du cadre des travaux publics ; que c'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont écarté la responsabilité de la Polynésie française du fait des extractions de matériaux ;

Considérant, enfin, que la requérante n'est pas fondée à soutenir, comme elle le fait dans ses dernières écritures, que la présence de la route constituerait en soi un préjudice ; que le dommage résultant de la présence d'un ouvrage public ne peut ouvrir droit à réparation que dans le cas où il a un caractère anormal ; qu'il n'en est pas ainsi en l'espèce, la présence de la route n'excédant pas les sujétions normales que les riverains des voies publiques doivent supporter ;

Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant qu'il résulte des deux rapports de l'expert désigné par le Tribunal administratif de la Polynésie française que 1,7 hectares, sur les 26 formant la propriété des consorts A, sont concernés par les dommages relevés plus haut ; que l'expert a préconisé la réalisation de travaux susceptibles de mettre fin à ceux-ci ; que ces travaux concernent, d'une part, la réhabilitation du lagon par arasement des terres pleins dans la zone d'extraction de corail, dont le coût est estimé à la somme de 1 750 000 F CFP, d'autre part, le remblaiement de la zone marécageuse constituant la propriété des consorts A, pour un coût de 21 400 000 F CFP et enfin la réalisation d'un système d'écoulement des eaux de la montagne vers le rivage par le creusement de fossés et du lit existant d'une rivière ainsi que la construction d'un dalot supplémentaire, dont le coût global s'élève à la somme de 5 892 000 F CFP ; que les travaux nécessaires à la remise en état du site s'élèvent donc à la somme totale de 29 042 000 F CFP ;

Considérant que, dans un deuxième rapport, l'expert a également estimé le préjudice matériel et d'agrément constitué par la perte de la valeur vénale de la propriété des consorts A ; qu'il a considéré que compte tenu de la modification de l'environnement du lagon, les terres en cause ne pouvaient être estimées qu'au prix de 900 F CFP le m2, soit le prix de terres agricoles, au lieu de 4 500 F CFP pour les terrains bordant le lagon dans un cadre agréable ; que contrairement à ce que soutient la Polynésie française il n'a pas ainsi mis en cause le caractère constructible de ces terrains, mais a apprécié la différence de valeur en fonction de la perte d'attractivité du site ; que, de même, si l'expert a évoqué la richesse antérieure de la terre pour les plantations, sans toutefois étayer ses affirmations d'éléments précis, son appréciation de la perte de valeur vénale des terrains ne repose pas sur ce critère ; qu'il en a conclu que pour les 1,7 hectares concernés, la dépréciation vénale devait être évaluée à la somme de 61 200 000 F CFP ; que si la Polynésie française critique l'imprécision de cette évaluation, elle n'apporte aucun élément de nature à démontrer son caractère erroné ;

Considérant que la dépréciation de la propriété des consorts A étant ainsi établie, c'est à tort que les premiers juges ont rejeté le préjudice subi par ceux-ci, au motif de son caractère éventuel en l'absence de vente de la propriété ; que Mme A est fondée à demander la réformation du jugement attaqué dans cette mesure ;

Considérant que si la requérante fait valoir que l'indemnisation de ses préjudices doit comprendre cumulativement la somme de 29 042 000 F CFP correspondant aux travaux nécessaires à la remise en état du site et celle de 61 200 000 F CFP correspondant à la perte de la valeur vénale de la propriété, il résulte des rapports d'expertise que les travaux de réhabilitation du site préconisés mettraient fin au préjudice subi par les consorts A, le lagon retrouvant son aspect initial et la lagunisation des terres étant résorbée ; que la requérante ne saurait faire valoir que les travaux, consistant en un remblaiement de la zone marécageuse, éloigneraient la propriété du lagon en laissant ainsi persister un préjudice, dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'elle a délibérément choisi cette solution ; qu'il y a donc lieu de condamner la Polynésie française à verser à Mme A, au titre de la dépréciation de sa propriété, la somme de 61 200 000 F CFP, si mieux n'aime la Polynésie française réaliser les travaux préconisés par l'expert et destinés à mettre fin aux dommages ; qu'en outre Mme A ne démontre aucunement que, comme elle le soutient, la réalisation de ces travaux de réhabilitation serait illusoire compte tenu du manque de moyens de l'administration de l'Equipement ;

Sur les intérêts :

Considérant que Mme A a droit, comme elle le demande, aux intérêts de la somme de 61 200 000 F CFP à compter de l'enregistrement de sa requête de première instance, soit le 11 avril 2006 ;

Sur les intérêts des intérêts :

Considérant qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière " ;

Considérant que Mme A a demandé la capitalisation des intérêts par un mémoire enregistré le 18 septembre 2009 ; que la demande de capitalisation des intérêts prend effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus pour une année entière ; que la capitalisation s'accomplit ensuite de nouveau à chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à la demande de Mme A à compter du 18 septembre 2009 ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de maintenir les frais des deux expertises taxées et liquidées par les ordonnances susvisées à la somme totale de 583 000 F CFP susvisées, à la charge de la Polynésie française ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme A et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la Polynésie française doivent dès lors être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : La Polynésie française est condamnée à verser à Mme A la somme de 61 200 000 F CFP, assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2006 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 18 septembre 2009, si mieux n'aime, aux lieux et place du paiement de cette somme, à réaliser les travaux préconisés par l'expert, de réhabilitation du lagon, de remblaiement de la zone marécageuse et de réalisation d'un système d'écoulement des eaux, destinés à mettre fin aux dommages.

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française en date du 26 février 2008 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La Polynésie française versera à Mme A une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la requête de Mme A est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la Polynésie française tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N° 10PA03855

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N° 11PA04666


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3 ème chambre
Numéro d'arrêt : 11PA04666
Date de la décision : 05/04/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme VETTRAINO
Rapporteur ?: Mme Mathilde RENAUDIN
Rapporteur public ?: M. JARRIGE
Avocat(s) : SCP POTIER DE LA VARDE - BUK LAMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2012-04-05;11pa04666 ?
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