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24/05/2022 | FRANCE | N°21NT01206

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 24 mai 2022, 21NT01206


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K... B..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal des enfants L... E... B..., H... B... et I... B..., ainsi que Mme J... B..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé devant elle contre les décisions de l'autorité consulaire française à Lagos (Nigéria) du 16 janvier 2019 refusant de délivrer des visas à Mme J... B...

et les enfants L... E... B..., H... B... et I... B..., en qualité de membres d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K... B..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal des enfants L... E... B..., H... B... et I... B..., ainsi que Mme J... B..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé devant elle contre les décisions de l'autorité consulaire française à Lagos (Nigéria) du 16 janvier 2019 refusant de délivrer des visas à Mme J... B... et les enfants L... E... B..., H... B... et I... B..., en qualité de membres de famille de bénéficiaire de la protection subsidiaire.

Par un jugement n° 2008091 du 12 mars 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme J... B... et aux enfants L... E... B..., H... B... et I... B..., les visas sollicités dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 avril et 27 juillet 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 mars 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- les actes d'état-civil produits ne sont pas probants et ne permettent d'établir ni l'identité des demandeurs de visa, ni le lien familial avec M. K... B... ; le lien familial avec M. K... B... n'est pas mieux démontré par les éléments de possession d'état ;

- la décision contestée peut être également fondée sur le motif tiré de ce que la demande de M. B... concerne une réunification familiale partielle.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 16 juillet, 21 septembre et 8 décembre 2021, M. K... B..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal des enfants L... E... B..., H... B... et I... B..., ainsi que Mme J... B..., représentés par Me Inquimbert, concluent au rejet de la requête et ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. K... B... est un ressortissant nigérian né le 6 septembre 1986, entré en France en 2013. Il s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire le 25 août 2015. Le 6 janvier 2017, Mme J... B..., son épouse alléguée née le 2 mai 1988, et leurs enfants allégués L... E... B..., H... B... et I... B..., nés respectivement les 28 mai 2009, 28 février 2011 et 1er octobre 2013, ont sollicité la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de membres de famille de bénéficiaire de la protection subsidiaire. Par décisions du 16 janvier 2019, l'autorité consulaire française à Lagos (Nigéria) a rejeté leurs demandes. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté implicitement leur recours formé contre les décisions consulaires. Par un jugement du 12 mars 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement refusé la délivrance d'un visa de long séjour à Mme J... B... et aux enfants L... E... B..., H... B... et I... B... et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux intéressés les visas sollicités dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 (...) sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code, alors en vigueur : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. " Aux termes de l'article L. 411-3 du même code, alors en vigueur : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

3. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes du courrier du 6 juin 2019 de communication des motifs de la décision contestée, que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa au motif que l'identité des intéressés et leur lien familial à l'égard de M. K... B... n'étaient pas établis.

5. S'agissant de Mme J... B..., ont été produits, à l'appui de la demande de visa, un certificat de mariage non traduit attestant de son mariage le 7 mars 2012 avec M. K... B..., au Nigeria, le passeport de l'intéressée établi le 24 mai 2016 par les autorités nigérianes ainsi que des photographies. S'agissant des enfants L... E... B..., H... B... et I... B..., ont été produits leurs passeports établis le 24 mai 2016 par les autorités nigérianes, ainsi que des certificats de naissance établis par la municipalité d'Imota le 26 octobre 2015 sous les numéros 14476995, 14476996 et 14476997 mentionnant la date et le lieu de naissance des intéressés, et le nom des parents. Pour remettre en cause la valeur probante de ces documents, le ministre relève que M. B... a déclaré à l'OFPRA être marié à Mme " G... ", alors que le passeport de l'intéressée mentionne Mme " F... ". Il fait également valoir que les déclarations de M. B... devant l'OFPRA en 2013, qui mentionnaient les seuls enfants C... ne´ en 2011 et Babahunde Ololade ne´ en 2013, ne sont pas cohérentes avec celles qu'il a prononcées devant le même organisme en 2015, lesquelles faisaient état de trois enfants, L... E... ne´ en 2009, Azeem ne´ en 2011 ou 2012, et Malik Olaonipekun ne´ en 2013. Toutefois, et alors que M. B... apporte des explications précises et circonstanciés concernant ces déclarations, ces anomalies ne suffisent pas, à elles seules, à démontrer que les actes produits par les requérants, qui émanent des autorités nigérianes, seraient irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité. Par ailleurs, la circonstance que les actes de naissance auraient été établis de manière tardive n'est pas de nature à retirer à ces actes leur valeur probante, à défaut notamment pour le ministre d'établir que la loi étrangère s'y opposerait. Enfin, M. et Mme B... produisent, pour la première fois en appel, le feuillet du système national d'identification au Nigéria comprenant le numéro national d'identification de Mme B..., dont l'authenticité n'est pas contestée. Dans ces conditions, en estimant que l'identité des demandeurs de visa, et partant, leur lien familial à l'égard de M. K... B... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.

6. L'administration peut toutefois, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre a invoqué, en première instance, dans son mémoire en défense du 2 février 2021 communiqué par la cour à M. et Mme B... D..., ainsi que dans sa requête d'appel, un autre motif, tiré de ce que l'intéressé n'a sollicité la réunification familiale qu'en faveur des enfants L... E... B..., H... B... et I... B... alors qu'il a déclaré devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides être le père d'un autre enfant nommé Babahunde Ololade ne´ en 2013.

8. Aux termes de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants ".

9. En l'espèce, le ministre n'établit pas ni même n'allègue sérieusement que M. B... est le père d'un enfant nommé Babahunde Ololade, ne´ en 2013. Si à l'occasion de sa demande de protection subsidiaire, M. B... a mentionné cet enfant, il explique qu'il a quitté son pays d'origine en 2013 alors que son épouse était enceinte et que le prénom finalement donné à l'enfant au moment de sa naissance en 2013, Malik Olaonipekun, n'a pas correspondu avec celui que le couple avait initialement choisi. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur le motif tiré de ce que la demande de l'intéressé conduit à une réunification familiale partielle. Par suite, la demande de substitution de motif présentée par le ministre ne peut être accueillie.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. et Mme B... la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé devant elle contre les décisions de l'autorité consulaire française à Lagos (Nigéria) du 16 janvier 2019 refusant de délivrer à Mme J... B... et les enfants L... E... B..., H... B... et I... B..., des visas en qualité de membres de famille de bénéficiaire de la protection subsidiaire.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme B... d'une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme B... une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... B..., à Mme J... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 6 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- Mme Buffet, présidente-assesseure,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mai 2022.

Le rapporteur,

A. A...Le président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT01206


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01206
Date de la décision : 24/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : SELARL MARY et INQUIMBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-05-24;21nt01206 ?
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