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29/04/2022 | FRANCE | N°22NT00123

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 29 avril 2022, 22NT00123


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 11 août 2021 du préfet de la Manche portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination.

Par un jugement no 2101973 du 17 décembre 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 janvier 2022, M. A..., représenté par Me B

ernard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 décembre 2021 du tribunal administr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 11 août 2021 du préfet de la Manche portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination.

Par un jugement no 2101973 du 17 décembre 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 janvier 2022, M. A..., représenté par Me Bernard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 décembre 2021 du tribunal administratif de Caen ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 août 2021 du préfet de la Manche portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Manche, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail et de réexaminer sa demande dans le même délai et sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal a omis d'examiner le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet dans sa décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- l'arrêté contesté a été signé par une autorité incompétente :

- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ; elle est entachée d'une erreur d'appréciation et elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant refus d'un délai de départ volontaire supérieur à trente jours est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de renvoi est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ; elle est insuffisamment motivée ; elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Lainé, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant pakistanais né le 16 février 2002, déclare être irrégulièrement entré en France en mai 2018. Le 17 mai 2018, il a été placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance. Il a sollicité le 20 février 2020 l'octroi d'une carte de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de la Manche, par un arrêté du 11 août 2021, a refusé la délivrance du titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le requérant relève appel du jugement du 17 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 11 août 2021.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que, comme le soutient le requérant, le jugement attaqué ne répond pas au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de de ce que la décision l'obligeant à quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Il doit, par suite, être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions dirigées contre cette décision.

3. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, d'une part, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Caen tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français et, d'autre part, de statuer par la voie de l'effet dévolutif sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions portant refus de titre de séjour, refus d'accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours et fixation du pays de destination.

Sur la légalité de l'arrêté du préfet de la Manche du 11 août 2021 :

4. En premier lieu, par un arrêté n° 2021-29 du 25 mars 2021, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture numéro spécial 12 et accessible sur le site internet de la préfecture, le préfet de la Manche a donné délégation à M. Laurent Simplicien, secrétaire général de la préfecture de la Manche, à l'effet de signer tous les arrêtés et décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département de la Manche, à l'exception de certains actes dont ne fait pas partie la décision en litige. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit, par suite, être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " À titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention "salarié" ou la mention "travailleur temporaire" peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix- huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française (...) ".

6. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

7. Il ressort des pièces du dossier, notamment des bulletins scolaires produits en première instance, que tant ses notes que les observations des professeurs laissent apparaître des difficultés sérieuses, un manque d'investissement dans le travail scolaire et des problèmes de discipline. Il y est fait état également d'un nombre conséquent de retards et d'absences injustifiées au cours de ses années d'études. Il en ressort aussi que l'intéressé n'a même pas achevé son année de première en baccalauréat professionnel d'électricité. M. A... ne peut ainsi être regardé comme justifiant du caractère réel et sérieux des études suivies. Enfin, la circonstance qu'il est inscrit pour les années scolaires 2021/2023 en CAP " commercialisation et services en restauration " dans un lycée hôtelier du département des Yvelines et en apprentissage auprès de la SARL Indian Palace à Plaisir (Yvelines) ne peut être prise en compte pour apprécier la légalité du refus de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que cette formation est postérieure à la décision de refus de séjour contestée et, à la date de cette décision, ne pouvait ainsi constituer une formation suivie de manière réelle et sérieuse depuis au moins six mois au sens de ces dispositions. Ainsi, au vu de l'ensemble des éléments de l'espèce, le préfet de la Manche n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A..., arrivé sur le territoire français en mai 2018, n'y était entré que récemment à la date de la décision contestée. Par ailleurs, il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où vivent encore sa mère et son frère selon ses propres déclarations et où il a vécu la majeure partie de son existence. En outre, sa préparation au certificat d'aptitude professionnelle mention " commercialisation et services en restauration " dans le cadre d'un contrat d'apprentissage avec la SARL Indian Palace ne suffit pas à démontrer une insertion professionnelle stable et ancienne sur le territoire français. Dans ces conditions, le préfet de la Manche, en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et en l'obligeant à quitter le territoire français, n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ont été prises ces décisions et n'a, par suite, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. En quatrième lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 7 et 8, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de M. A....

10. En cinquième lieu, l'illégalité de la décision portant refus de séjour n'étant pas établie, le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale par voie de conséquence doit être écarté.

11. En sixième lieu, en assortissant l'obligation de quitter le territoire français d'un délai de départ volontaire fixé à trente jours, le préfet de la Manche a fait application du régime de droit commun prévu par les dispositions de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. A... ne fait état d'aucun élément de sa situation justifiant qu'un délai supérieur au délai ainsi fixé lui soit accordé pour quitter volontairement le territoire français. En particulier, il ne saurait se prévaloir de la nécessité de terminer une formation qu'il n'avait pas encore commencé à la date de la décision contestée. En tout état de cause, il n'établit pas qu'il ne pourrait poursuivre sa scolarité dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entachée la décision fixant le délai de départ volontaire doit être écarté.

12. En septième lieu, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas établie, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi est illégale par voie de conséquence doit être écarté.

13. En huitième lieu, la décision fixant le pays de renvoi mentionne l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et indique que l'intéressé n'apporte pas d'éléments relatifs aux risques auxquels il serait personnellement et directement exposé en cas de retour dans son pays d'origine, ni n'établit aucune circonstance particulière de nature à faire obstacle à son éloignement vers ce pays. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

14. En neuvième lieu, en mentionnant que l'intéressé sera éloigné " à destination du pays dont il possède la nationalité, ou de tout pays dans lequel il est légalement admissible ", le préfet de la Manche s'est simplement conformé aux dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

15. En dernier lieu, si M. A... soutient qu'il est exposé à des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine, en faisant valoir que son père a été arrêté à la suite de manifestations lors des élections présidentielles de 2013 et qu'il a été lui-même, à cette occasion, l'objet d'actes de violence, ses seules allégations ne permettent pas d'établir la réalité des risques allégués. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance, par la décision fixant le pays de destination, des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A..., d'une part, n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision par laquelle le préfet de la Manche a prononcé à son encontre l'obligation de quitter le territoire français et, d'autre part, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'annulation des autres décisions de l'arrêté du préfet de la Manche du 11 août 2021.

17. Le présent arrêt n'appelle aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte qui sont présentées par M. A... doivent être rejetées.

18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que M. A... demande au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2101973 du 17 décembre 2021 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Manche du 11 août 2021 en tant qu'il l'oblige à quitter le territoire français.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Caen tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Manche du 11 août 2021 en tant qu'il l'oblige à quitter le territoire français, ainsi que le surplus des conclusions de la requête devant la cour, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Manche.

Délibéré après l'audience du 5 avril 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2022.

Le président de chambre, rapporteur,

L. LAINÉ

L'assesseur le plus ancien dans le grade le plus élevé,

C. RIVAS La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22NT001232

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00123
Date de la décision : 29/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Laurent LAINE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : BERNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-04-29;22nt00123 ?
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