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01/02/2022 | FRANCE | N°20NT04050

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 01 février 2022, 20NT04050


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... E... et Mme I... D... G... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises en Guinée du 3 octobre 2018 refusant de délivrer à Mme I... D... G... et à l'enfant Coco G... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2000386 du 19 juin 2020

, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... E... et Mme I... D... G... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises en Guinée du 3 octobre 2018 refusant de délivrer à Mme I... D... G... et à l'enfant Coco G... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2000386 du 19 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 décembre 2020 sous le n°20NT04050 et un mémoire enregistré le 26 juillet 2021, Mme E..., agissant au nom de l'enfant Coco G..., et Mme G..., représentées par Me Papineau, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 juin 2020 ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités ou, à tout le moins, de procéder à un nouvel examen de la situation de Mme G... et de l'enfant Coco, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elles soutiennent que :

- le jugement est irrégulier dès lors que la procédure contradictoire n'a pas été respectée, le mémoire en défense du ministre ayant été communiqué le jour de la clôture d'instruction ;

- il n'est pas suffisamment motivé et n'a pas examiné les arguments du mémoire en réplique ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation quant au lien de filiation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mmes E... et G... ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 octobre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Douet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante guinéenne née le 29 septembre 1978, a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 10 octobre 2014. Des visas ont été demandés au titre de la réunification familiale pour Mme I... D... G..., née le 24 juillet 1995 et la jeune C... G..., née le 11 juin 2006, qu'elle présente comme ses filles. B... E... et B... G... relèvent appel du jugement du 19 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises en Guinée du 3 octobre 2018 refusant de délivrer les visas sollicités.

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui (...) a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) Les membres de la famille d'un (...) bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le (...) bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil (...) peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ". Lorsque la venue d'une personne en France a été sollicitée au titre de la réunification des membres de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes d'état-civil produits pour justifier de l'identité et, le cas échéant, du lien familial de l'intéressé avec le bénéficiaire de la protection subsidiaire.

3. Par une lettre du 24 octobre 2019 la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait connaître les motifs de sa décision implicite. Il ressort des termes de cette lettre que, pour refuser les visas sollicités, la commission s'est fondée sur les motifs tirés de ce que Mme I... D... G... était âgée de plus de 18 ans au moment de la demande de visa, que l'acte de naissance A... la jeune C... G... n'était pas conforme au droit local et ne permettait pas d'établir le lien de filiation allégué et qu'enfin il était dans l'intérêt de cette enfant de rester dans son pays d'origine dès lors que la preuve que son père était décédé ou déchu de ses droits parentaux n'était pas apportée. La commission a également relevé que Mme E... n'apportait aucun élément permettant d'établir qu'elle contribuait à l'entretien et à l'éducation de cette enfant.

4. Le ministre de l'intérieur demande toutefois, dans ses écritures devant le tribunal reprises en appel une substitution de motifs et fait valoir que la décision attaquée est fondée sur la circonstance que les actes d'état civil produits pour tenter d'établir les liens de filiation allégués entre Mme E... et les deux demanderesses de visas revêtent un caractère manifestement frauduleux leur ôtant toute valeur probante et que Mme E... n'apporte aucun élément de possession d'état de nature à pallier les carences constatées sur les actes d'état civil et permettant d'établir qu'elle ait contribué ou contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation des personnes dont elle sollicite la venue en France, ni qu'elle communiquerait régulièrement avec elles.

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour établir l'identité et le lien de filiation des demanderesses de visas, ont été produits successivement deux séries d'actes différents, d'abord deux actes de naissances portant les numéros n° 857, registre n° 9, feuillet n° 55, dressé le 19 juin 2006 au nom de Coco G... et n° 685, registre n° 7, feuillet n° 84, dressé le 30 juillet 1995, au nom de Saliou Dian G..., puis deux actes dressés les 8 décembre 2015, portant le numéro 11.187 au nom de Coco G... et 11.186 au nom de Saliou Dian G... après deux jugements supplétifs n° 32535 et 32534 du même jour rendus par le tribunal de première instance de Conakry II. Pour expliquer la coexistence de ces deux séries d'actes les requérantes se bornent à soutenir que l'autorité consulaire exige des copies récentes d'actes de naissance. Cette circonstance ne permet toutefois pas d'expliquer l'existence de jugements supplétifs normalement rendus en cas d'inexistence d'actes de naissance. En outre, les jugements nos 32535 et 32534 du tribunal de Conakry II indiquent avoir été rendus sur requête de M. F... J... G... du 8 décembre 2015 alors qu'il ressort des pièces du dossier que, suivant l'acte de décès n° 04 DH/ML/2013, ce dernier, père des demandeuses, est décédé le 13 mars 2013, comme cela a d'ailleurs été relaté par Mme E... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 12 août 2014. Les requérantes n'apportent aucune explication sur cette incohérence majeure. Dans ces conditions, le ministre établit que ces jugements supplétifs et la production successive d'actes de naissance présentent un caractère frauduleux et ne permettent pas de tenir le lien de filiation pour établi.

6. Cependant, Mme E... a mentionné à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides lors de son entretien du 12 août 2014 l'existence de ses deux filles I... D... G... et C... G... en des termes circonstanciés, évoquant notamment en détail le handicap dont souffre Mme I... D... G..., repris et développés à nouveau par l'intéressée le 30 avril 2015 auprès d'une assistante sociale. Elle produit également un certificat médical du 27 septembre 2019 faisant état des pathologies de Mme G..., un certificat de scolarité et plusieurs photos. Ces éléments permettent, dans les circonstances de l'espèce, d'établir le lien familial entre Mme E... et les demanderesses par possession d'état. Dans ces conditions, la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement et les autres moyens de la requête, que Mmes E... et G... sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

8. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à Mme I... D... G... et à l'enfant Coco G.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer de tels visas aux intéressées dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.

9. Mme E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Papineau dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 19 juin 2020 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises en Guinée du 3 octobre 2018 refusant de délivrer de délivrer un visa de long séjour à Mme I... D... G... et à l'enfant Coco G... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme I... D... G... et à l'enfant Coco G... des visas d'entrée et de long séjour en France, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me Papineau en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... E..., à Mme I... D... G... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Douet, présidente-assesseure,

- Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2022.

La rapporteure,

H. DOUET

Le président,

A. PÉREZ

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT04050


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT04050
Date de la décision : 01/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-005-01 Étrangers. - Entrée en France. - Visas.


Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Hélène DOUET
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : SELARL R et P AVOCATS OLIVIER RENARD

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-02-01;20nt04050 ?
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