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21/01/2022 | FRANCE | N°21NT03231

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 21 janvier 2022, 21NT03231


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les deux arrêtés du 1er juillet 2021 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire, d'une part, a décidé son transfert aux autorités allemandes, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2107644 du 19 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2021, M. A... B..., représenté par Me Neraudau, demande à

la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 juillet 2021 en t...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les deux arrêtés du 1er juillet 2021 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire, d'une part, a décidé son transfert aux autorités allemandes, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2107644 du 19 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2021, M. A... B..., représenté par Me Neraudau, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 juillet 2021 en tant qu'il rejette sa demande d'annulation de l'arrêté du 1er juillet 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités allemandes ;

2°) d'annuler l'arrêté du 1er juillet 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités allemandes ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- Le jugement est irrégulier en qu'il a été omis de répondre au moyen tiré du défaut d'examen de sa situation ;

- l'arrêté de transfert est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, ainsi que de l'article 13 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du conseil du 27 avril 2016 ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle, au regard de son état de santé et des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile avec un risque de violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés et indique que l'intéressé ayant pris la fuite, le délai de transfert a été prorogé jusqu'au 19 janvier 2023.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 679/2016 du Parlement européen et du conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- et les observations de Me Blanchot, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., se présentant comme un ressortissant nigérian né le 22 mars 1993, déclare être entré irrégulièrement en France en mai 2021. Il a alors présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé qu'il avait déposé une première demande de protection internationale en Allemagne, le préfet a saisi les autorités allemandes le 4 juin 2021 d'une demande de reprise en charge de l'intéressé sur le fondement de l'article 18 1-b) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les autorités allemandes ayant accepté ce transfert sur le fondement de l'article 18-1 d) du même règlement, par deux arrêtés du 1er juillet 2021, le préfet de Maine-et-Loire a décidé, d'une part, de transférer M. A... B... aux autorités allemandes et, d'autre part, de l'assigner à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement du 19 juillet 2021, dont M. B... relève appel en tant seulement qu'il a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté décidant son transfert, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de ces arrêtés. Le préfet de Maine-et-Loire indique que l'intéressé ayant pris la fuite, le terme du délai de son transfert a été fixé au 19 janvier 2023.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. M. B... soutient que le jugement attaqué est irrégulier en ce que le premier juge n'a pas répondu au moyen tiré du défaut d'examen de sa situation en raison du risque qu'il encoure d'être reconduit au Nigéria par les autorités allemandes et de ses craintes liées à son état de santé. Il résulte toutefois des points 10 à 12 de ce jugement qu'il a été répondu avec une précision suffisante à ce moyen, alors surtout que le premier juge n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés à son appui. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier en l'absence de réponse à ce moyen.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

5. Il ressort des pièces du dossier que le requérant a reçu, le 3 juin 2021, le guide du demandeur d'asile, ainsi que la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ", et la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce-que cela signifie ' " en langue anglaise. L'intéressé, qui a signé le résumé de l'entretien individuel du même jour, réalisé à l'aide d'un interprète en anglais, doit être regardé comme ayant reconnu, comme cela est précisé dans ce document, que les informations contenues dans ces brochures lui ont été communiquées oralement et qu'il les a comprises. Il n'est pas ailleurs pas établi, alors que le compte-rendu d'entretien est circonstancié, qu'il n'aurait pas été en mesure de présenter des observations à ce sujet. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

6. En deuxième lieu, si M. B... soutient que la décision est intervenue en méconnaissance de l'article 13 du règlement (UE) n° 679/2016 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 il n'assortit pas ce moyen des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé. Il y a lieu, en conséquence, d'écarter ce moyen.

7. En troisième lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que M. B... reprend en appel sans nouvelle précision, par adoption des motifs retenus au point 7 du jugement attaqué.

8. En quatrième lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, il résulte de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

9. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

10. Il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment de la lettre de l'arrêté contesté, que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. B... et des conséquences de son transfert en Allemagne au regard notamment des garanties exigées par le respect du droit d'asile et de son état de santé. D'une part, à la date de la décision contestée M. B... n'avait produit à l'appui de ses déclarations, selon lesquelles il souffre d'une hépatite B, qu'une confirmation du 1er juin 2021 pour un rendez-vous avec un médecin généraliste le 17 juin suivant. L'unique pièce médicale ultérieure indique que le 4 août 2021 il a fait un malaise sur la voie publique " d'allure vagale avec perte de connaissance. (...) Le patient est rentré à son domicile. ". D'autre part, il n'est pas même établi par l'instruction que l'intéressé, dont la demande de protection internationale a été rejetée par une précédente décision des autorités allemandes, se serait vu signifier une décision d'éloignement vers le Nigéria. Aussi, et en l'absence de justifications suffisantes d'une situation d'exceptionnelle vulnérabilité du requérant, il n'est pas établi que le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché sa décision de transfert d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ou qu'il n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation notamment au regard des stipulations et dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er juillet 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités allemandes. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Neraudau et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 4 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2022.

Le rapporteur,

C. Rivas

Le président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT03231


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03231
Date de la décision : 21/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-01-21;21nt03231 ?
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