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19/11/2021 | FRANCE | N°20NT03754

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 19 novembre 2021, 20NT03754


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner à titre principal la commune de Cormelles-le-Royal à leur verser une somme de 119 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2018, en réparation des préjudices causés par l'absence de nouvelles mesures prises pour réduire les nuisances sonores résultant de l'utilisation de la salle des fêtes municipale, d'annuler la décision implicite du 15 juillet 2018 par laquelle le maire de cette commune a refusé d

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner à titre principal la commune de Cormelles-le-Royal à leur verser une somme de 119 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2018, en réparation des préjudices causés par l'absence de nouvelles mesures prises pour réduire les nuisances sonores résultant de l'utilisation de la salle des fêtes municipale, d'annuler la décision implicite du 15 juillet 2018 par laquelle le maire de cette commune a refusé de faire réaliser les travaux indispensables à la mise aux normes acoustiques de ladite salle et de ne plus la louer après 23h, d'enjoindre en conséquence à la commune soit de réaliser les travaux indispensables à la mise aux normes acoustiques de cette salle, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement et sous astreinte, soit de ne plus la louer après 23h, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée, subsidiairement, avant dire droit, d'ordonner une expertise judiciaire afin, d'une part, de se prononcer sur le respect par la commune de Cormelles-le-Royal des normes acoustiques concernant la salle des fêtes municipale, d'autre part, de préciser la nature et le coût des travaux susceptibles de supprimer ou de réduire ces nuisances et, enfin, d'évaluer la perte de valeur vénale de leur propriété.

Par un jugement n° 1802720 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Caen a condamné la commune de Cormelles-le-Royal à verser à M. et Mme C... une somme de 7 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2018, en réparation des préjudices causés par l'absence de nouvelles mesures prises pour réduire les nuisances sonores résultant de l'utilisation de la salle des fêtes municipale (article 1er), a annulé la décision du 15 juillet 2018 par laquelle le maire de Cormelles-le-Royal a implicitement refusé de réaliser les travaux indispensables à la mise aux normes acoustiques de la salle des fêtes ou de ne plus louer la salle des fêtes après 23h (article 2), a enjoint à la commune de Cormelles-le-Royal de prendre, dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement, toutes mesures permettant de faire cesser les nuisances sonores subies par les requérants, soit en respectant toutes les préconisations de l'expert judiciaire dans son rapport du 30 avril 2010, soit en réalisant les travaux de mise aux normes acoustiques de la salle des fêtes municipale, soit en ne louant plus la salle des fêtes municipale après 23h (article 3), a mis à la charge de la commune de Cormelles-le-Royal la somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance (article 4) et a rejeté le surplus de la demande des époux C....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 décembre 2020, 28 juillet 2021 et 7 septembre 2021, M. et Mme B... C..., représentés par Me Labrusse, demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 1er octobre 2020 du tribunal administratif de Caen en ce qu'il a limité à 7 000 euros le montant de leurs préjudices indemnisés ;

2°) de porter à 11 000 euros l'indemnité que la commune de Cormelles-le-Royal a été condamnée à leur verser au titre de leurs troubles dans les conditions d'existence et de la condamner à leur verser la somme de 110 000 euros au titre de la perte de valeur vénale de leur propriété ;

3°) subsidiairement, d'ordonner qu'il soit procédé avant dire droit à une expertise afin de disposer d'un avis sur la valeur vénale de leur habitation ;

4°) d'enjoindre à la commune de Cormelles-le-Royal soit de réaliser les travaux indispensables à la mise aux normes acoustiques de la salle des fêtes municipale, dans un délai de six mois et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, soit de ne plus la louer, à l'expiration d'un délai de deux mois courant à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Cormelles-le-Royal la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils seront indemnisés sur le fondement de la responsabilité pour faute pour la période courant à compter de 2014 pour les motifs retenus par l'arrêt du 25 avril 2014 de la cour administrative d'appel de Nantes du fait de la carence du maire de la commune dans l'exercice de ses pouvoirs de police dès lors que la situation n'a pas évolué favorablement depuis cet arrêt, notamment au regard des préconisations de l'expert ; la faute est établie en ce que la commune a implanté une salle des fêtes à proximité immédiate de leur habitation sans respecter les normes en matière de nuisance sonores et en favorisant l'utilisation fréquente de la salle pour des événements nocturnes ;

- en tout état de cause la responsabilité sans faute de la commune est engagée ; le préjudice anormal et spécial est établi eu égard à la construction de leur maison avant la construction de la salle des fêtes, alors que la plupart des riverains ont acquis leur bien avant cette construction, et à la fréquence des événements suscitant du bruit la nuit ;

- leur préjudice de jouissance est de 11 000 euros, soit 1 000 euros par an entre 2010 et 2020 par référence à la somme allouée par la cour en 2014 ;

- leur préjudice né de la perte de valeur de leur bien immobilier, pour un montant de 110 000 euros est actuel et certain ainsi qu'en attestent notamment des attestations notariales et d'agents immobiliers ainsi que le mandat de vente établi en 2018 et l'échec de toute transaction en raison de la proximité de la salle des fêtes ;

- une expertise avant dire droit pourrait utilement évaluer la perte de valeur vénale de leur bien immobilier et, le cas échéant, se prononcer sur la conformité de la salle aux normes acoustiques ainsi que sur le coût des travaux nécessaires pour ce faire ;

- une mesure d'injonction précisément définie limitant également les nuisances sonores provenant des espaces extérieurs, sous astreinte, s'impose eu égard à la persistance de troubles anciens sous la forme d'une interdiction de louer la salle, particulièrement nuitamment.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 mai et 6 août 2021, la commune de Cormelles-le-Royal, représentée par Me Gorand, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. et Mme C... ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du 1er octobre 2020 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il a fait droit aux conclusions de M. et Mme C... ;

3° ) de mettre à la charge de M. et Mme C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par M. et Mme C... à l'appui de leurs demandes ne sont pas fondés ;

- le jugement sera réformé dès lors que sa responsabilité n'est pas engagée ; aucune faute née A... la carence du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police n'est établie dès lors que la commune a suivi les conclusions du rapport d'expertise du 30 avril 2010, que les règles fixées dans l'arrêté municipal du 26 juin 2009 ont été renforcées par un arrêté du 22 juillet 2010 et leur contrôle est assuré ; depuis mars 2020 la location de la salle a été très limitée et le recrutement d'un agent de sécurité chargé de veiller au respect de la règlementation a été décidé ; les troubles dans les conditions d'existence de M. et Mme C... n'avaient pas à être indemnisés dès lors qu'ils ne sont pas établis ; la mesure d'injonction décidée en première instance sera réformée en l'absence de carence établie du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police.

Par une ordonnance du 6 août 2021 la clôture d'instruction a été fixée au septembre 2021.

Un mémoire, présenté pour la commune de Cormelles-le-Royal, a été enregistré le 16 septembre 2021, après la clôture d'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Mme C..., et de Me Vincent, représentant la commune de Cormelles-le-Royal.

Une note en délibéré, présentée pour la commune de Cormelles-le-Royal, a été enregistrée le 9 novembre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B... C... sont propriétaires depuis 1977 de leur maison d'habitation à Cormelles-le-Royal (Calvados). En 1983 la commune a fait aménager une salle des fêtes municipale sur un terrain situé à proximité immédiate de leur propriété qui a été à l'origine de nuisances sonores. Par un arrêt du 25 avril 2014, devenu définitif après le rejet du pourvoi en cassation par une décision du Conseil d'Etat du 3 février 2016, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, reconnu l'existence d'une carence fautive du maire de la commune dans l'exercice de ses pouvoirs de police destinés à limiter ces nuisances sonores et, d'autre part, mis à la charge de la collectivité une somme de 28 000 euros au titre des frais exposés par les époux C... pour l'édification d'un mur d'isolation sur leur propriété en 1989 et la pose de fenêtres à double vitrage isolantes en 2008 ainsi qu'une somme de 25 000 euros en réparation des troubles dans leurs conditions d'existence subis entre 1986 et 2009. En revanche l'arrêt a rejeté leur demande d'indemnisation au titre de la perte de valeur vénale de leur propriété en l'absence de préjudice actuel et certain.

2. Compte-tenu de la persistance de nuisances sonores, M. et Mme C... ont, par courrier du 14 mai 2018 dont il est constant qu'il a été reçu en mairie le lendemain, demandé à la commune de Cormelles-le-Royal, d'une part, de leur verser les sommes de 9 000 euros et de 110 000 euros en réparation respectivement de leur préjudice de jouissance entre 2010 et 2018 et de la perte de valeur vénale de leur propriété et, d'autre part, de réaliser les travaux indispensables à la mise aux normes acoustiques de la salle des fêtes municipale ou de ne plus la louer après 23h. En l'absence de réponse, une décision implicite de rejet est née le 15 juillet 2018. Par un jugement du 1er octobre 2020 le tribunal administratif de Caen a, à la demande des époux C..., reconnu une carence fautive du maire de la commune dans l'exercice de ses pouvoirs de police après 2014 et a condamné en conséquence la collectivité à verser aux demandeurs la somme de 7 000 euros au titre de leurs troubles dans les conditions d'existence. Il a également annulé la décision implicite du maire de la commune née le 15 juillet 2018 et a enjoint à la commune de prendre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, toutes mesures permettant de faire cesser les nuisances sonores subies par les requérants, soit en respectant toutes les préconisations de l'expert judiciaire dans son rapport du 30 avril 2010, soit en réalisant les travaux de mise aux normes acoustiques de la salle des fêtes municipale, soit en ne louant plus la salle des fêtes municipale après 23h.

3. M. et Mme C... relèvent appel de ce jugement en ce qu'il a limité à 7 000 euros le montant de leur indemnisation au titre de leur préjudice de jouissance et a refusé de les indemniser au titre de la perte de la valeur vénale de leur propriété. Ils présentent par ailleurs de nouvelles conclusions aux fins d'injonction sous astreinte. Par des conclusions d'appel incident la commune de Cormelles-le-Royal demande la réformation du jugement attaqué en ce qu'il a fait droit aux demandes de M. et Mme C....

Sur les conclusions d'appel principal de M. et Mme C... à fin d'augmentation de l'indemnisation :

4. En premier lieu, M. et Mme C..., qui ne contestent pas le fondement retenu par les premiers juges pour engager la responsabilité pour faute de la commune, soutiennent que la somme de 7 000 euros de l'indemnité qui leur a été allouée en première instance au titre de leur préjudice né de la carence du maire de Cormelles-le-Royal à faire cesser les nuisances sonores issues de l'exploitation de la salle des fêtes communale est insuffisante. Les requérants exposent toutefois que c'est à bon droit que les premiers juges ont reconnu la responsabilité de la commune à ce titre " pour la période postérieure à 2014 " en raison de la carence fautive du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police. En conséquence, et eu égard au délai de six ans qui s'est ensuite écoulé jusqu'au jugement attaqué, il ne résulte pas de l'instruction qu'ils seraient fondés à soutenir que l'indemnité de 7 000 euros mise à la charge de la commune à ce titre serait d'un montant insuffisant. Par suite, leurs conclusions tendant à ce que ce montant soit porté à 11 000 euros ne peuvent qu'être rejetées.

5. En second lieu, M. et Mme C... soutiennent qu'ils doivent être indemnisés, à hauteur de 110 000 euros, du préjudice né de la perte de la valeur vénale de leur maison d'habitation en raison des nuisances sonores subies. Cette situation est la résultante de la carence fautive du maire de la commune de Cormelles-le-Royal dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative en matière de bruit, ainsi qu'il résulte de point 8 du jugement attaqué. Cette carence, pour trop ancienne qu'elle soit, n'est pas destinée à perdurer. Par ailleurs, il résulte de la demande indemnitaire présentée le 14 mai 2018 par les époux C... que seule cette carence du maire fonde leur demande, et non le choix fait par la commune avant 1983 d'implanter une salle des fêtes à proximité de leur maison. Par suite, en l'absence de caractère certain du préjudice allégué, le mandat de vente qu'ils produisent ne mentionnant d'ailleurs aucun prix, et sans qu'il soit alors utile de faire procéder à l'expertise sollicitée de la valeur vénale de leur bien immobilier, les conclusions présentées à ce titre par M. et Mme C... doivent être rejetées.

Sur les conclusions d'appel incident de la commune de Cormelles-le-Royal :

6. Aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / (...) / 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, y compris les bruits de voisinage, les rassemblements nocturnes qui perturbent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique (...) ". Il incombe au maire, en vertu des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales, de prendre les mesures appropriées pour empêcher sur le territoire de sa commune les bruits excessifs de nature à troubler le repos et la tranquillité des habitants et d'assurer l'observation de la réglementation édictée à cet effet.

7. Aux termes de l'article R. 1334-31 du code de la santé publique : " Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit elle-même à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'une personne, d'une chose dont elle a la garde ou d'un animal placé sous sa responsabilité ". Aux termes de l'article R. 1334-32 du même code : " Lorsque le bruit mentionné à l'article R. 1334-31 a pour origine (...) une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, et dont les conditions d'exercice relatives au bruit n'ont pas été fixées par les autorités compétentes, l'atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme est caractérisée si l'émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l'article R. 1334-33, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article. (...) ". Aux termes de l'article R. 1334-33 de ce code : " L'émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l'absence du bruit particulier en cause. / Les valeurs limites de l'émergence sont de 5 décibels A en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 dB (A) en période nocturne (de 22 heures à 7 heures), valeurs auxquelles s'ajoute un terme correctif en dB (A), fonction de la durée cumulée d'apparition du bruit particulier : (...) ".

8. Il appartient au maire d'une commune d'éviter que le bruit engendré par les manifestations autorisées dans une salle communale ne porte une atteinte excessive à la tranquillité publique et méconnaisse les normes maximales d'émission fixées par le code de l'environnement et le code de la santé publique, en faisant notamment usage, en cas de besoin, des pouvoirs de police municipale qui lui sont confiés par l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ou, le cas échéant, des pouvoirs de police spéciale dont il dispose en vertu des articles L. 1311-1 et suivants et R. 1311-1 et suivants du code de la santé publique qui renvoient au code de l'environnement. D'autre part, il appartient à la commune, propriétaire et gestionnaire d'une telle salle, de prendre, sans préjudice des mesures de police relevant de la compétence propre du maire, les mesures nécessaires pour que les nuisances résultant de son fonctionnement n'excèdent pas, par leur intensité, leur fréquence ou leur durée, les sujétions inhérentes au voisinage d'un ouvrage public, notamment en réglementant l'utilisation de la salle ou en décidant de renforcer son insonorisation.

9. En premier lieu, ainsi qu'il a été exposé, la commune de Cormelles-le-Royal a vu sa responsabilité engagée dans le passé du fait de la carence de son maire à exercer ses pouvoirs de police afin de réduire les nuisances sonores nées de l'utilisation de la salle des fêtes communale, dite de l'Orée du bois, située à proximité immédiate de l'habitation des époux C..., par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 25 avril 2014 confirmé par une décision du Conseil d'Etat du 3 février 2016. Ces décisions se réfèrent à un rapport d'expertise déposé le 30 avril 2010 établissant, pour cette salle et au regard de l'habitation de M. et Mme C..., la méconnaissance des émergences admissibles fixées à l'article R. 1334-33 du code de la santé publique. Il résulte ensuite des plaintes circonstanciées émanant des époux C... qu'après 2014 ils ont continué à être fortement et régulièrement gênés, nuitamment, par les bruits provenant de la salle des fêtes communale et, concomitamment, du parking la jouxtant. Ils ont alors demandé au maire, sans succès, de faire cesser la persistance de ces nuisances et, le 14 mai 2018, par l'intermédiaire de leur conseil, ont notamment demandé que la commune ne loue plus cette salle après 23 heures, sauf à réaliser des travaux permettant de respecter les normes acoustiques en vigueur. Cette demande est restée sans réponse.

10. La commune se prévaut de l'absence de nuisances sonores subies par les requérants en faisant essentiellement valoir qu'elle a satisfait aux demandes de correctifs proposées dans le rapport d'expertise du 30 avril 2010 notamment avec la pose d'un dispositif de coupure de la sonorisation de la salle en cas d'ouverture de certaines portes extérieures, l'installation d'un limiteur de sons et l'adoption d'un nouvel arrêté municipal du 22 juillet 2010 renforçant les sanctions en cas de manquement par les utilisateurs aux règles applicables en matière de bruit. Elle se prévaut également d'un constat d'huissier de juin 2013 censé attester du respect de la réglementation sur le bruit. Toutefois, tous ces éléments sont ceux qui ont déjà été mis en avant dans l'instance ayant précédé l'arrêt du 25 avril 2014 et la décision du Conseil d'Etat du 3 février 2016, et restent insuffisants, pour les mêmes motifs, en vue d'établir le bon exercice par le maire de Cormelles-le-Royal de ses pouvoirs de police administrative afin de limiter les nuisances sonores nées de l'utilisation de la salle communale. Il est en effet constant que 248 soirées privées avec musique ont été organisées entre 2008 et mars 2020 et il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que les mesures prises par la commune, notamment le limiteur de son changé en 2007, sont inefficaces contre les bruits de basse constituant la cause principale des nuisances sonores subies par les intéressés. Par ailleurs, alors que l'arrêt du 25 avril 2014 relevait l'absence de contrôles et de sanctions par la commune des mauvaises conditions d'utilisation de la salle par ses occupants, il est constant qu'aucune amende n'a été prononcée après 2014 et, plus généralement, n'est toujours pas établie l'existence d'un contrôle effectif des conditions d'utilisation nocturnes de cette salle et de ses abords à compter de 2014. La commune fait cependant valoir qu'à compter d'octobre 2021 elle a décidé de cesser de louer sa salle communale à des particuliers, en soirée, pour des évènements privés, et ne la prête désormais qu'à des associations communales pour des soirées en lien avec leurs activités, en présence permanente d'un agent de sécurité privé qu'elle rémunère. Cependant, ces nouvelles conditions d'utilisation de la salle des fêtes ne sont pas, à elles seules, de nature à établir que les nuisances sonores relevées vont cesser. D'une part, le planning de travail de l'agent de sécurité employé par la commune mentionne, pour la seule période de deux mois courant à compter d'octobre 2021, onze soirées devant se terminer entre 2 et 4 heures du matin. D'autre part, l'emploi par la commune d'un agent de sécurité privé, dépourvu des pouvoirs de police dévolus au seul maire, n'est pas davantage de nature à prévenir, par sa seule présence, les nuisances sonores nées des conditions d'utilisation de la sonorisation de la salle des fêtes et des pratiques individuelles des participants à ces soirées, ainsi que d'éventuels prestataires de service, tant dans la salle qu'à ses abords immédiats, et notamment sur la voie publique.

11. Ainsi, d'une part, depuis la condamnation par l'arrêt du 25 avril 2014 de la commune de Cormelles-le-Royal à indemniser les époux C... en raison de leurs troubles dans les conditions d'existence nées des nuisances sonores dénoncées depuis plusieurs années, et jusqu'à l'été 2021, aucune modification n'est intervenue dans les conditions d'exploitation de cette salle ou dans son isolation phonique et, d'autre part, dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les modifications annoncées par la commune des conditions d'utilisation de la salle à compter d'octobre 2021 seraient de nature à permettre effectivement la cessation des nuisances sonores subies par les requérants. En conséquence, alors même que M. et Mme C... seraient les seuls riverains de la salle communale à se plaindre, la commune de Cormelles-le-Royal n'est pas fondée à soutenir que sa responsabilité ne serait pas engagée en raison de la carence fautive de son maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police, à compter de 2014, pour l'utilisation de la salle des fêtes communale et de ses abords.

12. En deuxième lieu, pour les motifs exposés aux deux points précédents du présent arrêt, la commune de Cormelles-le-Royal n'est pas fondée à soutenir que l'indemnisation de M. et Mme C... en raison des troubles subis dans leurs conditions d'existence du fait des nuisances sonores éprouvées serait infondée dans son principe pour le montant alloué par les premiers juges.

13. En troisième lieu, le jugement attaqué enjoint à la commune de Cormelles-le-Royal de prendre, dans un délai de deux mois à compter de sa mise à disposition, toutes mesures permettant de faire cesser les nuisances sonores subies par les requérants, soit en respectant toutes les préconisations de l'expert judiciaire dans son rapport du 30 avril 2010, soit en réalisant les travaux de mise aux normes acoustiques de la salle des fêtes municipale, soit en ne louant plus la salle des fêtes municipale après 23h. Pour les motifs exposés aux points 10 et 11 du présent arrêt, la commune de Cormelles-le-Royal n'est pas fondée à soutenir que de telles mesures étaient inutiles du fait de l'absence de la carence alléguée de son maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions d'appel principal de M. et Mme C... tendant à l'augmentation de leur indemnisation ainsi que les conclusions d'appel incident de la commune de Cormellles-le-Royal doivent être rejetées.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

15. Lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire tendant à la réparation d'un préjudice imputable à un comportement fautif d'une personne publique ou à l'existence ou au fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures.

16. M. et Mme C... demandent à la Cour d'enjoindre à la commune de Cormelles-le-Royal soit de réaliser les travaux indispensables à la mise aux normes acoustiques de la salle des fêtes municipale, dans un délai de six mois et sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, soit de ne plus la louer, à l'expiration d'un délai de deux mois courant à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée.

17. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 10 et 11 du présent arrêt que les nuisances sonores auxquelles sont exposés M. et Mme C... du fait de la carence du maire de la commune de Cormelles-le-Royal dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative perdurent. Il y a lieu en conséquence, sauf pour la commune à effectuer des travaux d'insonorisation de la salle des fêtes communale propres à éviter lesdites nuisances sonores qui perdurent depuis plus de trente ans, d'enjoindre à la commune d'interdire toute sonorisation de ladite salle à compter de 23 heures, dans le délai d'un mois à compter de la mise à disposition du présent arrêt, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai.

Sur les frais d'instance :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la commune de Cormelles-le-Royal. En revanche, il convient, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière, sur le fondement des mêmes dispositions, la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme C....

D E C I D E :

Article 1er : Il est enjoint à la commune de Cormelles-le-Royal d'interdire toute sonorisation de la salle des fêtes communale dite de l'Orée du bois, à compter de 23 heures, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai.

Article 2 : La commune de Cormelles-le-Royal versera à M. et Mme C... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme C... et les conclusions d'appel incident de la commune de Cormelles-le-Royal sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... et à la commune de Cormelles-le-Royal.

Délibéré après l'audience du 2 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2021.

Le rapporteur,

C. Rivas

Le président,

L. Lainé

La greffière,

S. Levant

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 20NT03754


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : LABRUSSE

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Date de la décision : 19/11/2021
Date de l'import : 30/11/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20NT03754
Numéro NOR : CETATEXT000044346218 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-11-19;20nt03754 ?
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