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16/07/2021 | FRANCE | N°20NT03697

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 16 juillet 2021, 20NT03697


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... L... F... et Mme Nadège Hélène G... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 décembre 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 24 mai 2017 des autorités consulaires françaises en poste à Kinshasa rejetant les demandes de visa de long séjour présentées, au titre de la réunification familiale, par Mme Nadège Hélène G... et le jeune C... L....
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... L... F... et Mme Nadège Hélène G... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 décembre 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 24 mai 2017 des autorités consulaires françaises en poste à Kinshasa rejetant les demandes de visa de long séjour présentées, au titre de la réunification familiale, par Mme Nadège Hélène G... et le jeune C... L....

Par un jugement n° 1800854 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 novembre 2020 et le 14 juin 2021, M. L... F... et Mme HELENE G..., représentés par Me Robin, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 septembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision contestée ;

3°) d'enjoindre à l'administration de délivrer les visas sollicités ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils justifient de leur état civil par des documents valides ;

- leurs liens familiaux sont établis par la possession d'état ;

- les demandes ne s'inscrivent pas dans le cadre d'une réunification familiale partielle dès lors que la jeune B... est issue d'une autre relation entretenue par M. L....

Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 juin 2021 et le 17 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés ;

- l'existence d'une vie commune stable entre les requérants n'est pas établie de sorte que Mme HELENE G... n'a pas droit à un visa de long séjour au titre de la réunification familiale ;

- il est dans l'intérêt du jeune C... de rester auprès de sa mère.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... L... F..., ressortissant de la République démocratique du Congo, est entré en France le 26 août 2012 et a obtenu le statut de réfugié le 14 avril 2014. Des demandes de visa ont été introduites le 24 mai 2017, au titre de la réunification familiale, par Mme Nadège Hélène G..., ressortissante congolaise née le 30 décembre 1988 et le jeune C... L..., ressortissant congolais né le 22 août 2010, présentés comme la compagne de M. C... L... F... et leur fils. L'ambassadeur de France en République démocratique du Congo a opposé un refus à ces demandes. Par une décision du 21 décembre 2017, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé ces refus de visa aux motifs, d'une part, que l'identité des demandeurs et leur lien familial avec M. L... F... n'étaient pas établis et, d'autre part, que la réunification n'avait pas été demandée pour l'ensemble des membres de la famille de l'intéressé. M. C... L... F... et Mme Nadège Hélène G... relèvent appel du jugement du 29 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision du 21 décembre 2017.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne les motifs de la décision contestée :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / Si le réfugié (...) est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré. / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / (...). ".

3. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

4. Mme Nadège Hélène G... a présenté à l'appui de sa demande de visa le jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 5 août 2016 sous le numéro RC. 62. 545 / G par le tribunal de grande instance de Kinshasa / Kalamu. Ce jugement établit que Mme HELENE G... Nadège est née à Kinshasa le 30 décembre 1988 de l'union de M. A... O... et de Mme J... M.... Au soutien de la demande de visa présentée pour le jeune C... L..., a été produit le jugement RC. 1946/II du 2 août 2016 par lequel le tribunal pour enfants de Kinshasa / Kalamu a notamment établi la filiation de l'enfant C... L..., né le 22 août 2010 à Kinshasa, à l'égard de M. C... L... F... et de Mme Nadège Hélène G....

5. La circonstance que ces jugements supplétifs aient été rendus de nombreuses années après les événements qu'ils relatent, peu de temps avant les demandes de visa, n'est pas de nature à en démontrer le caractère frauduleux. Par ailleurs, si le ministre de l'intérieur soutient que ces jugements ont été rendus sur le seul fondement de déclarations sans qu'aucune vérification ne soit diligentée, ainsi qu'en témoigneraient le caractère rapproché des dates de saisine des juridictions et de prononcé des jugements ainsi que l'établissement d'une filiation entre un enfant et une personne elle-même dépourvue d'un acte de naissance, ces considérations, dont il n'est, au surplus, pas démontré qu'elles seraient constitutives d'irrégularités au regard du droit congolais, ne permettent pas davantage d'établir l'existence d'une fraude. Dans ces conditions, l'identité des demandeurs de visa ainsi que la filiation du jeune C... L... doivent être tenues pour établies par ces jugements. Par suite, la circonstance, sur laquelle s'est fondée la commission, que ces jugements auraient été transcrits dans les registres d'état civil " avant le certificat de non appel " est sans incidence. De même, le ministre de l'intérieur ne saurait utilement soutenir, d'une part, que les transcriptions auraient été tardives et, d'autre part, que les actes de naissances dressés sur le fondement des jugements supplétifs seraient entachés d'anomalies remettant en cause leur valeur probante. Dès lors, en confirmant les refus de visa opposés aux requérants, au motif que l'identité des demandeurs et leur lien familial avec M. L... F... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'illégalité.

6. En second lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 411-4, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile auxquelles renvoient les dispositions du II de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du même code que la réunification familiale est, en principe, sollicitée pour l'ensemble des membres de la famille du réfugié. Une réunification partielle peut cependant être accordée pour des motifs tenant à l'intérêt de l'enfant.

7. Il ressort des pièces du dossier et notamment du jugement n° RCE 3172/II du tribunal pour enfants de Kinshasa / Ngaliema du 10 juin 2021 que la jeune B... I... est la fille de M. C... L... F... et de Mme Nadège G... R.... Les circonstances, d'une part, que M. L... ait renseigné, dans un formulaire administratif, l'identité de sa fille dans la partie " enfants issus de votre union actuelle " après avoir désigné Mme Nadège Hélène G... comme sa concubine, et, d'autre part, que le jugement supplétif RC. 1946/II du tribunal pour enfants de Kinshasa / Kalamu du 2 août 2016 ait établi la filiation de cette enfant avec Mme N... G... ne suffisent pas, à elles seules, dans les circonstances de l'espèce, à démontrer le caractère frauduleux du jugement évoqué ci-dessus du 10 juin 2021. Partant, l'enfant B... I... ne fait pas partie de la famille du réfugié visée par les dispositions du I de de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, en se fondant sur le motif tiré de ce que la réunification n'avait pas été demandée pour la jeune B... et revêtait ainsi un caractère partiel, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 752-1.

8. Il résulte de ce qui précède que les motifs sur lesquels s'est fondée la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont entachés d'illégalité.

En ce qui concerne la demande de substitution de motifs :

9. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

10. Le ministre de l'intérieur soutient que, d'une part, Mme N... G... n'a pas droit, sur le fondement des dispositions du 2° du I de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la délivrance d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale dès lors qu'il n'est pas établi qu'elle partageait, avant la date d'introduction de la demande d'asile de M. L... F..., une vie commune suffisamment stable et continue avec ce dernier et, d'autre part, que l'intérêt supérieur du jeune C... L... est de rester auprès de sa mère.

11. Alors que le ministre de l'intérieur fait valoir que M. L... F... a eu, en 2011, une enfant issue d'une relation avec une autre personne que Mme N... G..., les requérants n'apportent aucun élément de nature à établir la réalité et la stabilité de leur vie commune à la date de la demande d'asile de M. L... F.... Ce motif est ainsi de nature à légalement justifier le refus de visa opposé à Mme N... G.... Il y a lieu, par suite, d'accueillir la demande de substitution de motifs présentée par le ministre, qui ne prive les requérants d'aucune garantie de procédure.

12. En revanche, la seule circonstance que la mère du jeune C... L... n'établisse pas remplir les conditions pour bénéficier de la délivrance de plein droit d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale ne permet pas, par elle-même, de démontrer que l'intérêt de cet enfant serait de demeurer à ses côtés et non de rejoindre son père. Dès lors, le motif tiré de l'intérêt supérieur de l'enfant que le ministre de l'intérieur demande de substituer aux motifs erronés sur lesquels s'est fondée la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'est pas susceptible de légalement fonder le refus de visa opposé au jeune C... L....

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. L... F... et Mme E... G... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les conclusions de leur demande tendant à l'annulation du refus de visa opposé au jeune C... L....

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles des articles L. 411-2 et L. 411-3, alors en vigueur, du même code, auxquelles le II de l'article L. 752-1 renvoie expressément, que l'enfant du réfugié dont l'autre parent n'a pas vocation à obtenir un visa de long séjour sur le fondement des dispositions du 1° ou du 2° de cet article a droit à la délivrance d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale pourvu que soient remplies les conditions fixées par les articles L. 411-2 ou L. 411-3.

15. Alors que le présent arrêt rejette les conclusions tendant à l'annulation du refus de visa opposé à la mère du jeune C... L..., il ne résulte pas de l'instruction que ces conditions soient, à la date à laquelle la cour statue, satisfaites. Par suite, l'exécution du présent arrêt implique seulement que le ministre de l'intérieur réexamine, à la lumière des motifs du présent arrêt et, le cas échéant, des éléments nouveaux produits devant lui, la demande de visa présentée pour l'enfant C... L.... Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

16. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux requérants de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 26 décembre 2017 en tant qu'elle maintient le refus de visa opposé au jeune C... L... et le jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 septembre 2020 en tant qu'il rejette les conclusions de la demande dirigées contre ce refus sont annulés

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa présentée pour le jeune C... L... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. L... F... et Mme E... G... la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... L... F..., à Mme N... G... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pérez, président de chambre,

Mme Douet, présidente assesseure,

Mme K..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 juillet 2021.

La rapporteure,

K. Bougrine

Le président,

A. PEREZLa greffière,

A. LEMEE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT03697


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03697
Date de la décision : 16/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : SCP ROBIN VERNET

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-07-16;20nt03697 ?
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