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01/06/2021 | FRANCE | N°20NT00304

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 01 juin 2021, 20NT00304


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 16 mars 2018 par laquelle le président du conseil départemental de l'Orne a rejeté ses demandes de retrait des mesures portant perte de responsabilités, de protection fonctionnelle et d'indemnisation, de condamner le département de l'Orne à lui verser une somme de 20 000 euros à parfaire, majorée des intérêts, en réparation des préjudices subis et d'enjoindre au département de l'Orne de lui accorder le bénéfice de la

protection fonctionnelle et de retirer l'ensemble des mesures portant perte de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 16 mars 2018 par laquelle le président du conseil départemental de l'Orne a rejeté ses demandes de retrait des mesures portant perte de responsabilités, de protection fonctionnelle et d'indemnisation, de condamner le département de l'Orne à lui verser une somme de 20 000 euros à parfaire, majorée des intérêts, en réparation des préjudices subis et d'enjoindre au département de l'Orne de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de retirer l'ensemble des mesures portant perte de responsabilités et constitutives de sanction ou d'agissements de harcèlement moral.

Par un jugement n° 1800849 du 29 novembre 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 janvier 2020 et 25 juin 2020, M. C..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 16 mars 2018 ;

3°) d'enjoindre au conseil départemental de l'Orne de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

4°) de condamner le conseil départemental de l'Orne à lui verser la somme de 20 000 euros, sauf à parfaire, assortie des intérêts de retard à compter du 6 février 2018 et capitalisés à compter du 6 février 2019 ;

5°) de mettre à la charge du conseil départemental de l'Orne une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le recours en excès de pouvoir est recevable contre les mesures qui emportent une perte de responsabilités ; la perte de responsabilités est caractérisée dès lors qu'il s'est vu retirer toutes les prérogatives et responsabilités attachées à ses fonctions de directeur ;

- les mesures ayant conduit à la perte de responsabilités, outre leur caractère discriminatoire, ont été prises au mépris des garanties dont il aurait dû bénéficier ; l'ensemble des éléments substantiels de son contrat de travail ont été modifiés en dehors de toute procédure et en méconnaissance de l'article 39-4 du décret du 15 février 1988 ;

- les mesures de démantèlement de son service n'ayant pas été prises dans l'intérêt du service, elles constituent des sanctions déguisées ;

- ces agissements sont constitutifs de harcèlement moral tant dans leur contenu que dans les conditions dans lesquelles elles ont été prises ;

- le bénéfice de la protection fonctionnelle doit lui être accordé compte tenu des faits de harcèlement moral ;

- le détournement de pouvoir est manifeste dès lors que, plutôt que de procéder à la fermeture du service Orne Développement en respectant les procédures et garanties, le conseil départemental a procédé, sans le dire, à un démantèlement sauvage de fait du service en confisquant l'ensemble des moyens budgétaires, matériels et humains au directeur de ce service ;

- la responsabilité du conseil départemental de l'Orne est engagée en raison de l'illégalité des mesures prises à son encontre, qui constituent des sanctions déguisées et caractérisent des faits répétés de harcèlement moral ;

- cette situation lui a causé un préjudice moral évalué à la somme de 10 000 euros ainsi que des troubles dans les conditions d'existence et de fonction évalué à la somme de 10 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2020, le conseil départemental de l'Orne, représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant le département de l'Orne.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., employé depuis le 1er janvier 2015 par le conseil départemental de l'Orne en qualité de directeur par un contrat à durée indéterminée, relève appel du jugement du 29 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 mars 2018 du président du conseil départemental de l'Orne rejetant ses demandes de retrait des mesures portant perte de responsabilités, de protection fonctionnelle et d'indemnisation, à lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et à l'indemniser des préjudices résultant des faits de harcèlement moral qu'il estime avoir subis.

Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 16 mars 2018 :

2. Il ressort du courrier du 6 février 2018 que M. C..., qui dirigeait au début de l'année 2017 un service dénommé Orne Développement, issu de la reprise en régie de l'activité d'expansion économique antérieurement gérée par une association éponyme dont il était le directeur et composé de quatre agents, a sollicité le retrait des mesures ayant conduit à diminuer les moyens humains de son service ainsi que le privant, selon lui, de la compétence d'engager tout budget et l'astreignant à un compte-rendu quotidien auprès de l'adjoint au directeur général des services. Il doit ainsi être regardé comme sollicitant l'annulation de la décision verbale du 21 décembre 2017 l'informant du non remplacement du poste de catégorie A libéré en mai 2017 par voie de mutation et du poste de catégorie C libéré par départ en retraite en janvier 2018, l'annulation de l'arrêté du 28 décembre 2017 de changement d'affectation de Mme B... à compter du 1er janvier 2018 et de la note du 28 décembre 2017 du directeur général des services. Par décision du 16 mars 2018, le président du conseil départemental de l'Orne a rejeté cette demande.

En ce qui concerne la recevabilité :

3. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou de leur contrat ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent de perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination ou une sanction, est irrecevable.

4. En premier lieu, M. C... soutient que son action est recevable dès lors que les mesures mentionnées au point 2 portent atteinte aux droits et prérogatives qu'il tient de son contrat ainsi qu'à ses éléments essentiels. Toutefois le contrat de travail à durée indéterminée signé le 23 décembre 2014 se borne, s'agissant de ses fonctions et du contenu de ses missions, à faire état d'un engagement sur le grade d'administrateur pour l'exercice de fonctions de directeur, ce qu'aucune des mesures mentionnées au point 2 ne remet en cause.

5. En deuxième lieu, si le non-remplacement des postes vacants n'a pas emporté en lui-même pour M. C... de perte de responsabilités, le transfert du seul agent salarié restant dans le service prévu par l'arrêté du 28 décembre 2017, qui a impliqué non seulement le changement d'autorité hiérarchique de cet attaché mais également le transfert de ses missions de conseil aux entreprises en matière d'implantation et de recherche de financement dans un autre service, a fait perdre à M. C... toute responsabilité hiérarchique ainsi qu'une partie des attributions antérieurement dévolues au service qu'il dirigeait. Par suite, il est recevable à contester, non la décision d'affectation de Mme B... elle-même à l'encontre de laquelle il est dépourvu d'intérêt à agir, mais la note du 28 décembre 2017 en tant qu'elle l'a privé de toute responsabilité hiérarchique et a entrainé une perte substantielle des responsabilités prévues par sa fiche de poste. En revanche, les deux autres mesures prévues par la note du 28 décembre 2017, organisant un compte-rendu régulier de la mission de réflexion qui lui était confiée ainsi qu'un contrôle a priori des engagements de crédit à venir n'impliquaient pas, en l'absence de retrait de délégation de signature qui lui avait été octroyée, une perte de responsabilités au regard de ses autres missions de nature à rendre le requérant recevable à les contester.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983: " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. (...) ". Il appartient au requérant qui soutient qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer du sérieux de ses allégations. Si M. C... soutient que les mesures mentionnées au point 2 traduisent une discrimination à son égard, il ne se prévaut d'aucune distinction prohibée par l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983.

7. En quatrième lieu, la décision du 21 décembre 2017 de non remplacement de postes et l'arrêté du 28 décembre 2017 ne reposent pas sur des motifs tenant au comportement de M. C... et ne révèlent pas l'intention de la part du conseil départemental de l'Orne de le sanctionner. Les mesures de contrôle d'activité mises en place par la note du 28 décembre 2017 ne traduisent pas davantage une volonté d'infliger une sanction des suites de fautes commises par M. C.... Par suite, elles ne présentent pas le caractère de sanctions disciplinaires déguisées de nature à rendre recevable l'action dirigée à leur encontre.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est recevable qu'à contester la décision de refus de retrait de la note du 28 décembre 2017 en tant qu'elle lui a fait perdre une partie des attributions du service qu'il dirigeait ainsi que ses responsabilités hiérarchiques.

En ce qui concerne la légalité de la décision du 16 mars 2018 en tant qu'elle refuse de retirer les dispositions de la note du 28 décembre 2017 modifiant les missions du service dirigé par M. C... et supprimant ses responsabilités hiérarchiques à l'égard de la chargée de mission " aide à l'installation des entreprises " :

9. Par note du 28 octobre 2017, le directeur général des services par intérim a demandé à M. C... de conduire une réflexion personnelle pour lui proposer des scenarii d'évolution de son service à la suite de la prise en compte de la loi NOTRe et des mouvements intervenus ou à intervenir dans le service et décidé de rattacher hiérarchiquement à compter du 1er janvier 2018 la chargée de mission du service au directeur du pôle attractivité environnement afin d' " engager une démarche de mise en synergie et d'optimisation de l'efficience ". Ainsi qu'il a été dit plus haut, cette décision de transfert de l'unique chargée de mission a eu pour effet non seulement de modifier les attributions du service dirigé par M. C... et ses missions, dès lors que le seul agent salarié de son service était transféré avec ses missions d'accompagnement des entreprises mais aussi de le priver de ses missions d'encadrement, lui faisant ainsi perdre une partie de ses responsabilités de chef de service. Si le conseil départemental de l'Orne fait valoir qu'une réorganisation du service était justifiée par la modification du rôle du département en matière économique des suites de la promulgation de la loi NOTRe et la fin progressive des subventions versées aux entreprises, ces éléments, en admettant même qu'ils justifieraient la réduction tardive de l'effectif ainsi qu'une réorganisation du service et de ses missions que ne mentionnaient pourtant ni les objectifs fixés pour l'année à venir dans le compte rendu d'évaluation de M. C... signé le 22 février 2017 ni le courrier du 19 juillet 2017 adressé au préfet de l'Orne ni la présentation du budget du service pour 2018, ne permettent pas d'expliquer la décision de transfert, à missions constantes, vers un autre service au 1er janvier 2018 de l'unique agent salarié dans un contexte où les modalités de réorganisation d'Orne Développement n'était pas définies puisqu'il était demandé à son directeur de proposer des scenarii d'évolution pour le 15 février 2018. Dès lors qu'aucun élément n'est présenté pour expliquer la démarche d'optimisation évoquée dans cette note ou toute autre nécessité, rien ne permet d'établir que l'intérêt du service nécessitait de modifier au 1er janvier 2018 l'organisation du service Orne Développement en faisant perdre à son directeur ses missions de management et la supervision d'une partie des missions opérationnelles de son service ou de maintenir cette organisation à la date du 16 mars 2018 à laquelle il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que la réflexion ait abouti sur un projet de réorganisation à mettre en place à un terme défini. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que la décision du 16 mars 2018 en tant qu'elle refuse de retirer les dispositions de la note du 28 décembre 2017 modifiant les missions du service et supprimant ses responsabilités hiérarchiques à l'égard de la chargée de mission " aide à l'installation des entreprises " n'était pas justifiée par l'intérêt du service et à en demander l'annulation.

10. Il s'ensuit que le requérant est uniquement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 16 mars 2018 en tant qu'elle refuse de retirer les dispositions de la note du 28 décembre 2017 modifiant les missions du service et supprimant ses responsabilités hiérarchiques à l'égard de la chargée de mission " aide à l'installation des entreprises ".

Sur le harcèlement moral :

11. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".

12. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

13. M. C... soutient que ses conditions de travail se sont dégradées particulièrement à compter du mois de décembre 2017. Il fait valoir qu'il a alors été privé des moyens humains nécessaires à l'accomplissement de ses missions et de ses attributions de directeur, ne le laissant à la tête d'un service composé que de lui-même, qu'il a subi des mesures vexatoires le privant de ses responsabilités et que ces agissements ont généré un épisode de souffrance psychique aiguë nécessitant un traitement médicamenteux et un arrêt de travail.

14. En premier lieu, alors qu'aucun grief tenant à sa manière de servir ou à des difficultés relationnelles n'a été reproché à M. C... en 2017, il est constant que les décisions de non remplacement des postes libérés depuis mai 2017 et de transfert au 1er janvier 2018 de l'unique poste salarié ont conduit à son isolement au sein du service Orne Développement dont il était désormais le directeur et l'unique agent et à le priver de ses responsabilités d'encadrement dans les conditions évoquées au point 9 sans que son aptitude professionnelle ait été remise en cause.

15. En deuxième lieu, si, contrairement à ce que l'intéressé soutient et ainsi qu'il a été précédemment dit, la délégation de signature lui permettant de signer toute décision relative à la mission Orne développement à l'exception des marchés publics et dans la limite de 20 000 euros hors taxe ne lui a pas été retirée, il est constant que la note du 28 décembre 2017 lui imposait de soumettre préalablement au directeur général des services tout engagement de crédits et instaurait un circuit de validation des engagements de crédits différent de celui prévalant antérieurement, sans que l'aptitude professionnelle de M. C... en matière budgétaire ait été remise en cause.

16. En troisième lieu, il est constant que la note du 28 décembre 2017 imposait à M. C... de rendre compte quotidiennement à l'adjoint au directeur général des services de l'état d'avancement de la mission de " réflexion personnelle " sur l'organisation du service qui lui avait été confiée. Par courriels des 10 et 16 janvier 2018, il a été précisé à M. C... qu'un point serait bien réalisé sur sa mission de réflexion tous les jours à 9h00 et qu'un point hebdomadaire, incluant son activité, serait également mis en place. Si M. C... soutient que cette demande ne respectait pas son temps de repos dès lors que le courriel du 16 janvier 2018 prévoyait que ce point soit fait par messagerie en cas de congés, le président du conseil départemental de l'Orne a précisé que cette mention ne valait que pour les congés de l'adjoint au directeur général des services.

17. En quatrième lieu, si M. C... fait valoir que les courriels des 8 et 10 janvier 2018 ont pour objectif de lui imputer des fautes, les éléments produits ne relèvent aucune demande ou propos discourtois ou excessif.

18. En cinquième lieu, M. C... fait valoir qu'il a reçu un courriel de relance pour le traitement d'un dossier de la part de la secrétaire du directeur général des services le 7 mars 2018 alors qu'il était en congé de maladie. Toutefois, ce courriel n'exigeait aucune réponse immédiate.

19. Les éléments cités aux points 13 à 16, induisant un isolement soudain de M. C..., la privation de moyens humains permettant l'accomplissement des missions du service et la perte de responsabilités d'encadrement ainsi que de nouvelles modalités d'encadrement hiérarchique particulièrement resserrées à son égard, sont susceptibles de faire présumer l'existence du harcèlement moral allégué.

20. Pour démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement, le département de l'Orne fait valoir que la réorganisation du service s'imposait des suites de la loi NOTRe et de la redistribution des compétences en matière économique qu'elle impliquait et que M. C... ne témoignait pas d'une bonne volonté à faire des propositions d'évolution pertinentes pour son service.

21. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 9, l'évolution législative invoquée ne permet pas d'expliquer le transfert de l'unique agent salarié du service au 1er janvier 2018. Par ailleurs, la réduction des missions du service Orne Développement en raison de la réduction du rôle du département en matière économique et de la fin des subventions départementales n'était évoquée ni dans le compte rendu d'évaluation de M. C... signé le 22 février 2017 ni dans le courrier du 19 juillet 2017 adressé au préfet de l'Orne, lequel indiquait qu'Orne Développement n'intervenait pas en matière d'aide et de financement des entreprises et que ses missions n'avaient pas varié depuis 2015, ni dans la présentation du budget du service pour 2018, lequel mentionnait une poursuite de l'action du service.

22. Par ailleurs, M. C... a rédigé le 26 décembre 2017 une note comportant des éléments de réflexion sur la réorganisation du service Orne Développement évoquant les missions du service ainsi que ses moyens pour fonctionner. Une nouvelle version de cette note a été élaborée le 10 janvier 2018, proposant soit la reconstitution d'une équipe opérationnelle resserrée soit la dissolution du service. Si le département de l'Orne pouvait estimer que ces propositions ne remplissaient pas les objectifs fixés par la note du 28 décembre 2017, à savoir tirer les conséquences des évolutions législatives et du rôle nouveau dévolu au Département, mieux valoriser les politiques du bloc " Département-Orne Métropole " en matière d'attractivité pour les entreprises et les Ornais afin de renforcer l'échelon départemental et poursuivre l'optimisation des moyens et rechercher l'efficience dans l'action, il ne précise pas en quoi ni les raisons pour lesquelles les propositions de M. C... étaient inadaptées. Il n'apporte pas davantage de détail sur les orientations précises qui étaient envisagées, alors que le transfert de la chargée de mission au 1er janvier 2018 révélait que les contours de la réorganisation du service ne pouvaient être totalement inconnus, ou qui auraient été données à M. C..., notamment lors des points quotidiens, et qui n'auraient pas été suivies d'effet.

23. Les motifs invoqués par le département de l'Orne ne permettent donc pas de démontrer que l'isolement de M. C..., la privation de moyens humains et de responsabilité d'encadrement ainsi que la mise en place d'un contrôle quotidien de son activité étaient justifiées par des considérations étrangères à tout harcèlement. Compte tenu du caractère personnel et réitéré de ces agissements sur une courte période, excédant les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, M. C... doit être regardé comme établissant avoir été victime de harcèlement moral constitutif d'une faute commise par le département de l'Orne. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute pour ce motif.

Sur la demande de protection fonctionnelle :

24. Aux termes du IV de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 dans sa rédaction applicable au litige : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ". Si la protection résultant de ce principe n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

25. Pour les mêmes motifs que ceux précédemment détaillés aux points 12 à 23, M. C... est fondé à soutenir que la protection prévue par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 qu'il avait sollicité devait lui être accordée et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de rejet de sa demande de protection fonctionnelle.

Sur les préjudices :

26. Il résulte de ce qui a été précédemment dit que M. C... est fondé à solliciter la réparation des préjudices qu'il a subis en raison du harcèlement dont il a été victime et en raison des seules illégalités fautives mentionnées aux points 9 et 25.

27. Il sera fait une juste appréciation de l'entier préjudice moral subi à la suite de ces fautes par M. C..., qui a souffert de la situation de harcèlement moral et de se voir déchu d'une partie des responsabilités attachées à sa fonction, en lui allouant la somme de 7 000 euros. En revanche, les troubles dans les conditions d'existence invoqués ne sont pas justifiés.

Sur les intérêts :

28. Il y a lieu d'assortir la somme de 7 000 euros des intérêts au taux légal à compter du 9 février 2018, date de réception de la demande préalable de M. C... par le département de l'Orne.

Sur la capitalisation :

29. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant les juges du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois en appel le 28 janvier 2020. Il y a donc lieu de faire droit à cette demande à compter de cette date, à laquelle était due une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

30. L'annulation de la décision de rejet de la demande de protection fonctionnelle implique que le département de l'Orne accorde, sous réserve de changement de circonstances de droit ou de fait, à M. C... le bénéfice des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 pour les faits de harcèlement moral dont il a été victime. Il y a lieu de l'y enjoindre.

Sur les frais liés au litige :

31. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de l'Orne une somme de 1 500 euros à verser à M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La décision du 16 mars 2018 du président du conseil départemental de l'Orne est annulée en tant qu'elle a refusé de retirer les dispositions de la note du 28 décembre 2017 modifiant les missions du service Orne développement et supprimant la responsabilité hiérarchique de M. C... à l'égard de la chargée de mission " aide à l'installation des entreprises " et lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Article 2 : Le département de l'Orne est condamné à verser à M. C... la somme de 7 000 euros, majorée des intérêts de retard à compter du 9 février 2018 et de la capitalisation des intérêts à compter du 28 janvier 2020.

Article 3 : Il est enjoint au département de l'Orne d'accorder à M. C... le bénéfice des dispositions du IV de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 29 novembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1 à 3.

Article 5 : Le département de l'Orne versera une somme de 1 500 euros à M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C... et au président du conseil départemental de l'Orne.

Délibéré après l'audience du 17 mai 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président assesseur,

- Mme F..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juin 2021

La rapporteure,

F. F...

Le président,

O. GASPON

La greffière,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20NT00304 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT00304
Date de la décision : 01/06/2021
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Fanny MALINGUE
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SCP ARCO-LEGAL (PARIS)

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-06-01;20nt00304 ?
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