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20/04/2021 | FRANCE | N°20NT02556

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 20 avril 2021, 20NT02556


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... C... et Mme E... D..., agissant tant en leur nom qu'en celui de leurs quatre enfants allégués, Saïd Khaled Hussein C..., Saïd Javed C..., Saïd Sajed C... et G... C..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 8 juillet 2019 par lesquelles les autorités consulaires françaises au Pakistan ont rejeté les demandes d

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... C... et Mme E... D..., agissant tant en leur nom qu'en celui de leurs quatre enfants allégués, Saïd Khaled Hussein C..., Saïd Javed C..., Saïd Sajed C... et G... C..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 8 juillet 2019 par lesquelles les autorités consulaires françaises au Pakistan ont rejeté les demandes de visas de long séjour présentées pour Mme D... et les quatre enfants au titre de la réunification familiale de réfugié.

Par un jugement n° 2000318 du 19 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 août 2020, M. H... C... et Mme E... D..., agissant tant en leur nom qu'en celui de leurs quatre enfants allégués, Saïd Khaled Hussein C..., Saïd Javed C..., Saïd Sajed C... et G... C..., représentés par Me B..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 juin 2020 ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer aux intéressés les visas de long séjour qu'ils ont sollicités dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

­ la décision contestée a été prise en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'identité et les liens familiaux des demandeurs par rapport à M. C... étaient justifiés par les actes d'état civil produits alors qu'en tout état de cause, la possession d'état est établie par les pièces versées au dossier ;

­ la décision contestée a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire, enregistré le 19 février 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé en s'en remettant également à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

­ le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

1. M. H... C..., ressortissant afghan né le 1er janvier 1975, est entré en novembre 2015 en France où il a été admis au bénéfice de la protection subsidiaire par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 juin 2016. Mme E... D..., née le 9 août 1979, qui se présente comme son épouse et les jeunes Saïd Khaled Hussein C..., né le 10 avril 2002, Saïd Javed C..., né le 12 mai 2003, Saïd Sajed C..., né le 15 juillet 2005 et G... C..., née le 20 juin 2014 qui se présentent comme les enfants du couple ont déposé le 7 mai 2019 des demandes de visa au titre du regroupement familial. Par des décisions du 8 juillet 2019, les autorités consulaires à Islamabad ont refusé de délivrer les visas sollicités. Par une décision implicite, née du silence gardé à la demande formée par les intéressés le 3 septembre 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions des autorités consulaires françaises. Par un jugement du 19 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande formée par M. C... et Mme E... D..., tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours. M. C... et Mme E... D... relèvent appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En réponse à la demande de communication des motifs de la décision implicite en litige, le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a indiqué aux requérants que la commission a estimé que les actes d'état civil présentés à l'appui des demandes de visa présentaient un caractère apocryphe en raison de l'établissement tardif des actes de naissance intervenus 39, 16, 15, 13 et 4 ans après les naissances et de ce que l'acte de mariage " a été enregistré par les autorités locales en avril 2017 alors que l'acte de naissance produit date du 13 août 2018, soit 8 mois avant la demande de visa ". Dans son mémoire en défense de première instance qui a été communiqué aux requérants, le ministre de l'intérieur, qui n'a pas contesté que les motifs de la décision étaient erronés, a demandé au tribunal que soient substitués aux motifs de la décision initiale de nouveaux motifs.

3. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

4. Le ministre fait désormais valoir que les refus de visa sont fondés sur le caractère inauthentique des actes d'état civil produits, ce qui est établi par la référence de la " taskera " (Carte d'identité afghane) de M. H... C... dès lors qu'elle diffère selon les documents présentés et par la circonstance que les " taskeras " ne pouvaient être délivrées à la demande de M. H... C... puisqu'il séjournait en France à la date de leur délivrance.

5. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. (...). II. Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. (...) ". Aux termes de l'article R. 752-1 du même code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa mentionnée au troisième alinéa du II de l'article L. 752-1 ; elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle résident les membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire. "

6. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

7. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de la Commission d'immigration du Canada du 18 décembre 2007 intitulé " Afghanistan : information sur la délivrance de certificats de naissance et de mariage ; types de documents exigés du demandeur en Afghanistan ou dans les ambassades pour l'obtention de documents officiels ", non sérieusement contesté par le ministre, que si la plupart des citoyens afghans ne présente pas de demande au gouvernement pour un certificat de mariage, il est cependant possible d'obtenir ce document devant les tribunaux locaux. Le document de mariage peut alors présenter l'une des deux formes suivantes : le livret d'enregistrement du mariage ou le certificat de mariage. Si le livret d'enregistrement du mariage est le document délivré par les tribunaux ou les centres culturels, le certificat de mariage " est un document prescrit dans la charia et la loi nationale, préparé par les aînés locaux ou le mullah et ensuite enregistré dans les documents de la cour ". Le certificat de mariage, document d'une page dont le format peut varier, contient les renseignements essentiels figurant dans le livret d'enregistrement du mariage (identité des mariés, des représentants légaux, des témoins et du célébrant, ainsi que le titre de ce dernier).

8. Il est constant, en l'espèce, qu'a l'appui des demandes de visa a été présenté le certificat de mariage de M. H... C... et de Mme E... D..., établi le 18 avril 2017. Le ministre n'établit pas que ce certificat de mariage, délivré à la demande de Mme E... D..., nécessitait en sus la présence de M. C..., qui séjournait en France au moment de l'établissement de cet acte. Il résulte de ce document que le mariage a été célébré par trois " confesseurs " en présence de deux témoins. Le certificat de mariage a été établi au tribunal de grande instance du district de Jaghori en présence des trois célébrants qui se sont présentés devant ce tribunal. Il est assorti des commentaires de ce président avec sa signature et son cachet confirmant la sincérité de l'acte et qui précisent, en outre, les noms des enfants issus de l'union du couple, en l'occurrence les jeunes Saïd Khaled Hussein C..., Saïd Javed C..., Saïd Sajed C... et G... C..., avec la référence de leur acte de naissance. Il n'est pas contesté que les références des actes de naissance des enfants produits par les requérants correspondent à celles mentionnées dans ce certificat de mariage. L'acte comprend, enfin, les photographies des intéressés. L'authenticité du cachet apposé sur l'acte est confirmée par une attestation n°6021 du 21 mai 2017, de la direction générale des affaires consulaires du ministère des affaires étrangères de la République islamique d'Afghanistan. Les informations contenues dans cet acte sont concordantes quant au lien matrimonial et aux liens de filiation unissant les intéressés avec les autres documents produits par les requérants. Contrairement aux allégations du ministre, le certificat de mariage mentionne la référence non pas de la " taskera " de M. C... mais de celle de son acte de naissance. En tout état de cause, à supposer même qu'il serait en réalité fait référence à la " taskera " de M. C..., la seule circonstance qu'il existerait une discordance avec celle mentionnée sur les " taskeras " délivrées aux enfants le 4 décembre 2016 ou sur le certificat de naissance de la jeune G..., ne suffit pas à démontrer que l'acte de mariage produit par les requérants, qui émanent des autorités afghanes, serait irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité. Dans ces conditions, la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. H... C... et Mme E... D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

10. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de long séjour à Mme E... D... et aux jeunes Saïd Khaled Hussein C..., Saïd Javed C..., Saïd Sajed C... et G... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Pour l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. H... C... et Mme E... D..., et non compris dans les dépens.

D E C I D E:

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 juin 2020 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme E... D... et aux jeunes Saïd Khaled Hussein C..., Saïd Javed C..., Saïd Sajed C... et G... C... un visa de long séjour, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. H... C... et à Mme E... D... la somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... C..., à Mme E... D..., à M. I... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 30 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président,

- Mme Douet, président-assesseur,

- M. A...'hirondel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 avril 2021.

Le rapporteur,

M. F...Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

2

N° 20NT02556


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02556
Date de la décision : 20/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : SCP ROBIN VERNET

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-04-20;20nt02556 ?
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