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20/04/2021 | FRANCE | N°20NT01841

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 20 avril 2021, 20NT01841


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 9 décembre 2019 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités suisses et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, renouvelable trois fois ;

Par un jugement n° 1914204 du 2 janvier 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les

1er juillet et 15 juillet 2020, M. C..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 9 décembre 2019 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités suisses et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, renouvelable trois fois ;

Par un jugement n° 1914204 du 2 janvier 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er juillet et 15 juillet 2020, M. C..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 janvier 2020 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 9 décembre 2019 du préfet de Maine-et-Loire ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demandeur d'asile en procédure normale ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de 48 heures à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1700 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté décidant de son transfert vers les autorités suisses est insuffisamment motivé en l'absence de mention de l'accord signé le 26 octobre 2004 approuvé par une décision du Conseil du 28 janvier 2008 ;

- cet arrêté méconnait le droit constitutionnel d'asile car il démontre une situation particulière justifiant que sa demande d'asile soit examinée en France ; il s'est vu notifier en Suisse préalablement à son arrivée en France une décision fédérale de rejet d'asile et de renvoi vers l'Erythrée ; les autorités suisses ont fondé leur accord de reprise sur le fondement de l'article 18 1. d) du règlement Dublin III impliquant que sa demande d'asile ait été définitivement rejetée ; il s'est vu remettre des notifications de fixation d'un délai de départ du territoire suisse qui ne peuvent permettre de douter du caractère exécutoire de son éloignement vers l'Erythrée ; il n'a aucune attache familiale en Suisse et a retrouvé en France des membres de sa famille ayant obtenu le statut de réfugié chez qui il est hébergé notamment ses oncles, tantes et cousins ; les autorités suisses et françaises n'ont pas la même appréciation des risques au regard de la convention de Genève qu'encourent les ressortissants érythréens ayant déserté le service militaire dans leur pays ; la Suisse a adopté récemment une nouvelle loi asile qui comporte une clause excluant explicitement les ressortissants érythréens de la possibilité de se voir reconnaître l'asile s'ils font valoir leur crainte de retour dans ce pays en raison de leur désertion du service militaire obligatoire et illimité ;

- l'arrêté portant transfert méconnaît les stipulations de l'articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 dès lors qu'il est vulnérable du fait de son statut de demandeur d'asile dont la demande a été définitivement rejetée par les autorités suisses et que les autorités suisses procèdent au renvoi des ressortissants érythréens ;

- l'arrêté décidant son assignation à résidence est illégal en raison de l'illégalité de l'arrêté ordonnant son transfert aux autorité suisses ;

- cet arrêté est entaché d'un défaut d'examen de sa situation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 août 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et précise que M. C... a été transféré le 12 mars 2020.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'accord du 26 octobre 2004 entre la Communauté européenne et la Confédération suisse relatif aux critères et mécanismes de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans un Etat membre ou en Suisse ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant érythréen, né le 22 février 1994 et entré irrégulièrement en France le 13 novembre 2019, a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique le 18 novembre 2019. Les recherches effectuées sur le fichier Eurodac ont fait apparaître qu'il avait précédemment sollicité l'asile auprès des autorités suisses, lesquelles ont été saisies le 21 novembre 2019 pour sa reprise en charge. Les autorités suisses ayant expressément donné leur accord par une décision du jour même, le préfet de Maine-et-Loire a, le 9 décembre 2019, pris à l'encontre de M. C... un arrêté décidant de son transfert aux autorités suisses. Par un arrêté du même jour, le préfet de Maine-et-Loire l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. C... relève appel du jugement du 2 janvier 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 9 décembre 2019.

Sur la légalité de l'arrêté de transfert :

2. En premier lieu, la décision litigieuse vise notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention de Genève du 28 juillet 1951, les règlements (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier son article L. 742-3. Elle relève le caractère irrégulier de l'entrée en France du requérant, rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque celui-ci s'est présenté à la préfecture de la Loire-Atlantique, précise que la consultation du système Eurodac a fait apparaître qu'il a déposé une première demande de protection internationale auprès des autorités suisses et mentionne que ces autorités ont accepté la reprise en charge de l'intéressé le 21 novembre 2019 et doivent être regardées comme responsables de la demande d'asile de M. C.... Il est également précisé que l'intéressé a déclaré être marié à Mme B... E..., née le 12 juin 1993 en Erythrée et résidant en Egypte, ne pas avoir d'enfant ni de membre de sa famille résidant en France et que sa situation ne présente pas une vulnérabilité particulière, aucun problème de santé n'ayant notamment été signalé. S'agissant des risques liés au transfert, la décision mentionne que l'intéressé n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités suisses, qu'il lui appartient d'user des voies de droit en vigueur dans cet Etat pour assurer le suivi de sa demande d'asile et qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il serait sous le coup d'une mesure d'éloignement exécutoire en Suisse. Par suite, elle est suffisamment motivée en fait, notamment au regard du risque de renvoi dans son pays d'origine. Elle est également suffisamment motivée en droit dès lors que le préfet a mis en oeuvre les critères prévus par le règlement n° 604/2013 qu'il a visé et que la situation du requérant n'est pas directement régie par l'accord du 26 octobre 2004 entre la Communauté européenne et la Confédération suisse relatif aux critères et mécanismes de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans un Etat membre ou en Suisse, lequel se borne à étendre le champ territorial de ce règlement en prévoyant la mise en oeuvre par la Suisse des critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre prévus par les dispositions du règlement " Dublin ".

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

4. Le requérant soutient qu'il encourt des risques dans son pays d'origine et qu'il craint d'y être renvoyé par les autorités suisses, lesquelles ont rejeté sa demande d'asile, et qu'il s'est vu notifier une obligation de quitter le territoire suisse, devenue exécutoire. Toutefois, ainsi que l'a relevé le premier juge, il ressort d'un courriel du secrétariat d'Etat suisse aux migrations du 4 janvier 2019 que les ressortissants érythréens dont la demande de protection internationale a été rejetée en Suisse et qui ne se conforment pas à l'obligation de quitter le pays ne se voient certes pas attribuer de titre de séjour, mais peuvent, de fait, séjourner en Suisse où ils reçoivent " une aide d'urgence " et ne sont pas éloignés à destination de l'Erythrée. D'une part, la décision contestée n'a ni pour objet ni pour effet de renvoyer l'intéressé en Erythrée mais seulement de le remettre aux autorités suisses responsables de sa demande d'asile. D'autre part, si M. C... invoque l'article 3§3 de la loi suisse sur l'asile du 26 juin 1998, cette disposition, qui prévoit que " ne sont pas des réfugiés les personnes qui, au motif qu'elles ont refusé de servir ou déserté, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l'être ", ne concerne pas les mesures d'éloignement forcé et n'entre pas en contradiction avec la teneur du courriel précité du 4 janvier 2019. Le rapport de l'observatoire romand du 15 décembre 2020 confirme également qu'en l'absence d'accord de réadmission avec l'Erythrée, les renvois contraints ne sont pas mis en oeuvre. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que M. C... ne serait pas en mesure de faire valoir auprès des autorités suisses tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation qui prévaut en Erythrée, ni que les autorités suisses n'évalueront pas d'office les risques réels de mauvais traitements auxquels il serait exposé en cas de renvoi dans son pays d'origine. Par suite, et ainsi que l'a estimé le premier juge qui n'a pas commis d'erreur de fait et ne s'est pas mépris sur la nature des pièces versées au dossier, les moyens tirés de la violation des dispositions citées au point 3 ainsi que du droit constitutionnel d'asile doivent être écartés.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe qu'une demande d'asile est examinée par un seul État membre et que cet État est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 de ce même article 17 du règlement. Cette faculté laissée à chaque État membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

6. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 4, le risque évoqué en cas de renvoi en Erythrée doit être écarté. Par ailleurs, si M. C..., entré récemment sur le territoire français, indique être dépourvu de toute attache familiale en Suisse et indique avoir retrouvé en France des membres de sa famille ayant obtenu le statut de réfugié (oncles, tantes et cousins) chez lesquels il est hébergé, il n'établit pas cependant l'existence de liens suffisants en France. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté d'assignation à résidence :

7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les moyens dirigés contre l'arrêté préfectoral ordonnant le transfert de l'intéressé vers la Suisse ayant été écartés, le moyen invoqué contre la décision d'assignation à résidence tiré par voie d'exception de l'illégalité de cet arrêté ne peut qu'être écarté.

8. En second lieu, et pour le surplus, M. C... se borne à reprendre devant le juge d'appel le même moyen que celui invoqué en première instance sans plus de précisions ou de justifications et sans l'assortir d'éléments nouveaux. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le premier juge et tirés de ce que l'arrêté du 9 décembre 2019 décidant son assignation à résidence, qui n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'est pas entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle au regard des modalités de présentation de l'intéressé qui justifiait à la date de l'arrêté contesté d'une domiciliation administrative à Nantes.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par suite, sa requête ainsi que ses conclusions relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président,

- M. D..., président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 avril 2021.

Le rapporteur, Le président,

O. D... O. GASPON

La greffière,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 20NT01841 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01841
Date de la décision : 20/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : GUILBAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-04-20;20nt01841 ?
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