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23/02/2021 | FRANCE | N°20NT01029

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 23 février 2021, 20NT01029


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Abidjan refusant de délivrer des visas de long séjour en France à B... et D... Coulibaly.

Par un jugement n° 1908211 du 15 janvier 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cou

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Par une requête enregistrée le 17 mars 2020 sous le n°20NT01029, Mme A..., agissant e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Abidjan refusant de délivrer des visas de long séjour en France à B... et D... Coulibaly.

Par un jugement n° 1908211 du 15 janvier 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 mars 2020 sous le n°20NT01029, Mme A..., agissant en qualité de représentante légale des enfants B... et D... Coulibaly, représentée par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 janvier 2020 ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou à défaut de réexaminer la demande de visas dans le délai d'un mois sous astreinte de 10 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le refus de visa méconnaît les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les observations de Me F..., représentant Mme A....

Une note en délibéré, présentée par Mme A..., a été enregistrée le 27 janvier 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... relève appel du jugement du 15 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Abidjan refusant de délivrer des visas de long séjour en France à B... et D... Coulibaly, qu'elle présente comme ses enfants, au titre de la réunification familiale des bénéficiaires de la protection subsidiaire.

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) ". L'article L. 411-2 du même code dispose : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 411-3 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". Aux termes de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ".

3. Mme A..., ressortissante ivoirienne, a obtenu le 27 novembre 2015 le bénéfice de la protection subsidiaire. Les demandes de visas de long séjour déposées pour les jeunes B... et D... en qualité de membres de famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire ont été rejetées par une décision de l'autorité consulaire française à Abidjan du 4 février 2019, aux motifs que le dossier ne contenait pas la preuve que les demandeurs avaient été déclarés à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides par Mme A... comme ses enfants lors de la déclaration de la situation familiale de l'intéressée et que la demande constituait une tentative de fraude pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale. Le recours administratif préalable obligatoire formé contre cette décision par Mme A... a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France.

4. En cas de décision implicite et en l'absence de communication, sur demande du destinataire, des motifs de cette décision, ainsi qu'en l'absence de mémoire en défense de l'administration exposant devant le tribunal les motifs de cette décision, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, dont la décision se substitue à celle des autorités consulaires, doit être regardée comme s'étant appropriée le motif retenu par ces autorités.

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a précisé dans son formulaire de demande d'asile renseigné le 1er juillet 2015 l'identité des deux enfants B... et D... Coulibaly. Le motif de la décision attaquée est ainsi entaché d'une erreur de fait.

6. Il est vrai que pour établir que la décision attaquée était légale, le ministre invoque dans ses écritures de première instance communiquées à la requérante le 19 novembre 2019 à 10 heures 28 et reprises en appel, le motif tiré du caractère irrégulier des actes d'état civil des enfants, ne permettant pas de justifier du lien de filiation des demandeurs avec Mme A.... Mme A... a répondu notamment à ce nouveau motif dans sa requête d'appel.

7. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

8. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

9. Le ministre fait valoir que les naissances n'ont pas été déclarées dans le délai légal de trois mois, que les jugements supplétifs sur la base desquels ces actes de naissance ont été transcrits n'ont pas été produits, ne mettant pas l'administration à même de vérifier l'authenticité de ces jugements ni la régularité de leur transcription, que la copie intégrale de l'acte de naissance du jeune D... et l'extrait du registre des actes de naissance de la commune sont discordants puisque ces deux documents indiquent pour cet enfant des dates de naissance différentes (respectivement le 7 mars 2012 et le 20 juin 2011), que les actes produits ne mentionnent pas l'âge des parents en méconnaissance de l'article 42 du code civil ivoirien et qu'enfin Mme A... ne justifie pas d'éléments de possession d'état.

10. Ont été produits, à l'appui des demandes de visas, pour établir la filiation de l'enfant B..., la copie intégrale d'un acte de naissance n°10149 du 15 mai 2015, dressé sur transcription d'un jugement supplétif n° 3970 du 30 mai 2014 du tribunal de première instance d'Abidjan et pour établir celle de l'enfant D... la copie intégrale d'un acte de naissance n°10147 du 15 mai 2015, dressé sur transcription d'un jugement supplétif n° 4100 du tribunal de première instance d'Abidjan du 30 mai 2014, ainsi qu'un extrait du registre des actes de naissance pour l'année 2015. Ces documents font état de la naissance des deux enfants, nés de Mariam A... et Hamed Coulibaly.

11. Ainsi que le fait valoir Mme A..., la circonstance que les naissances n'aient pas été déclarées dans le délai légal et que des jugements supplétifs soient intervenus plusieurs années après la naissance des intéressés n'est pas de nature à les priver de tout caractère probant. Mme A... soutient également sans être contestée que les dispositions de l'article 42 du code civil ivoirien, qui énoncent les mentions obligatoires portées sur les actes faisant suite à une déclaration de naissance dans les trois mois, ne sont pas applicables aux actes de naissance dressés postérieurement sur transcription d'un jugement supplétif et que l'absence des mentions de l'âge des parents dans l'acte de naissance ne constitue pas une irrégularité.

12. Mme A... n'a toutefois pas produit la copie des jugements au vu desquels les actes de naissance ont été émis, sans justifier de l'impossibilité de les produire ni fournir davantage d'explications sur les circonstances dans lesquelles ces jugements sont intervenus. Il s'ensuit que l'administration n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que les actes d'état civil produits ne présentaient pas un caractère probant.

13. Il résulte de l'instruction que la commission de recours aurait pris la même décision si elle avait entendu se fonder initialement sur ce seul motif. Il y a donc lieu de faire droit à la substitution de motifs demandée.

14. Ni les photographies, ni les attestations et les envois d'argent à des tiers ne sont de nature à établir le lien de filiation allégué par la possession d'état.

15. Enfin, si Mme A... soutient que la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contrevient aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, il résulte de ce qui précède qu'à défaut de pouvoir établir le lien de filiation des enfants pour lesquels les demandes de visa de long séjour ont été formées, ce moyen ne peut qu'être écarté.

16. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Doivent être rejetées par voie de conséquence les conclusions à fin d'injonction présentées par la requérante ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L.761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme C..., présidente assesseur,

- Mme Bougrine, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2021.

Le rapporteur,

H. C...

Le président,

A. PÉREZ

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 20NT01029 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01029
Date de la décision : 23/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Hélène DOUET
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : LE FLOCH

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-02-23;20nt01029 ?
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