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19/01/2021 | FRANCE | N°19NT03590

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 19 janvier 2021, 19NT03590


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat, en tant qu'employeur, à lui verser les sommes de 15 000 et 15 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qui résultent de la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense) à l'avoir exposé pendant de nombreuses années à l'inhalation de poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficace, ces sommes portant intérêts et capitalisation des intérêts à compter de

sa demande formée devant la commission des recours militaires d'indemnisation a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat, en tant qu'employeur, à lui verser les sommes de 15 000 et 15 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qui résultent de la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense) à l'avoir exposé pendant de nombreuses années à l'inhalation de poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficace, ces sommes portant intérêts et capitalisation des intérêts à compter de sa demande formée devant la commission des recours militaires d'indemnisation avec capitalisation de ces intérêts, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1705459 du 20 juin 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 septembre 2019, M. C..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 20 juin 2019 ;

2°) de condamner l'Etat, en tant qu'employeur, à lui verser, d'une part, la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et, d'autre part, la somme de 15 000 euros au titre du trouble dans les conditions d'existence, ces sommes portant intérêts à compter de la date de sa première demande d'indemnisation et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête devant le tribunal administratif était, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, bien recevable ; d'une part, les dispositions de l'article R.421-5 du code de justice administrative n'ont pas été respectées puisqu'il ne lui a pas été indiqué le caractère obligatoire du recours préalable devant la commission de recours des militaires - CRM - alors que la ministre des armées aurait dû l'informer de cette formalité dès qu'elle a accusé réception de son recours administratif ; dans un contexte identique, le même tribunal a pourtant accueilli la demande indemnitaire qui lui était présentée et condamné l'Etat à verser 6000 euros à un marin placé dans une situation similaire à la sienne ; le tribunal administratif de Toulon a également retenu la carence fautive de l'Etat sans relever d'office le moyen d'irrecevabilité de la demande tirée de l'absence de saisine préalable de la CRM ; d'autre part, le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande devait être soulevé par l'administration avant toute défense au fond, ce qui n'a pas été le cas puisque la ministre avait dans un premier mémoire répondu sur le fond renonçant ainsi à se prévaloir des dispositions de l'article R.4125-1 du code de la défense ; enfin, les dispositions de l'article R.4125-1 du code de la défense sont illégales dès lors qu'elles méconnaissent le principe fondamental du droit effectif au juge énoncé par l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ces dispositions reviennent à exiger une double réclamation préalable avant d'accéder au juge, ce qui a pour effet de multiplier les obstacles précontentieux obligatoires à l'accès direct à la justice et d'allonger considérablement le temps d'accès au juge ; le but poursuivi par l'institution d'une telle formalité qui est de désengorger les juridictions administratives est disproportionné ; il y a lieu également de constater qu'il a régularisé la procédure puisque dès la notification du jugement attaqué, il a adressé un recours à la commission de recours des militaires ;

- sur le fond, la carence fautive de l'Etat dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante est établie ; l'exposition, notamment sur une longue durée, aux poussières d'amiante réduit l'espérance de vie des personnes concernées et peut provoquer chez elles de graves pathologies ; il est dans une situation d'inquiétude permanente (anxiété), craignant d'apprendre qu'il est atteint d'une grave maladie; il demande une indemnisation à hauteur de 15 000 euros pour son préjudice moral et sollicite la réparation du trouble dans ses conditions d'existence causé par la faute de l'administration à hauteur de 15 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;

- le code de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., qui est né le 29 juillet 1958, a exercé des fonctions sur plusieurs bâtiments de la Marine nationale entre le 10 mai 1976 et le 26 août 1990. Par un courrier reçu le 30 mai 2013 de son administration, il a adressé à la ministre des armées une réclamation indemnitaire préalable en sollicitant la réparation à hauteur d'une somme totale de 30 000 euros du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qu'il estime subir résultant de la carence fautive de l'Etat à l'avoir exposé, en qualité d'employeur, aux poussières d'amiante durant toute sa carrière, sans que ne soient mises en oeuvre de mesures de protection efficaces entendu comme effectives.

2. M. C... a, le 4 décembre 2017, saisi le tribunal administratif de Rennes d'un recours tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser à hauteur de 30 000 euros de ses préjudices. Il relève appel du jugement du 20 juin 2019 par lequel cette juridiction a rejeté comme irrecevable sa requête et maintient ses prétentions indemnitaires.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Aux termes, d'une part, de l'article L. 412-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsque le recours contentieux à l'encontre d'une décision administrative est subordonné à l'exercice préalable d'un recours administratif, cette décision est notifiée avec l'indication de cette obligation ainsi que des voies et délais selon lesquels ce recours peut être exercé. (...) " et aux termes de l'article R.421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".

4. Aux termes, d'autre part, de l'article R. 4125-1 du code de la défense : " Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. / Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense ". Il résulte de ces dernières dispositions que la commission des recours des militaires ne peut être régulièrement saisie que d'un recours formé contre une décision administrative, y compris en matière indemnitaire. Le président de la commission a le pouvoir de rejeter le recours formé par un militaire devant la commission au motif qu'il doit être réputé, en l'absence de décision administrative préalable, y avoir renoncé. Il incombe au juge, s'il est saisi par le militaire d'un recours qui n'a ainsi été valablement précédé d'aucun recours administratif préalable, de le rejeter comme irrecevable, alors même que l'administration présenterait devant lui des observations au fond.

5. En premier lieu, s'il est exact que M. C... n'a pas été informé dès l'accusé de réception de sa réclamation indemnitaire du 30 mai 2013 du caractère obligatoire du recours administratif devant la commission de recours des militaires, en préalable à tout recours contentieux contestant une décision relative à sa situation personnelle, cette circonstance a eu seulement pour effet de rendre inopposable le délai du recours contentieux qui n'a pas commencé à courir, et elle ne le dispensait pas d'effectuer ce recours administratif préalable obligatoire. Or il n'est pas contesté que la requête présentée par M. C... devant le tribunal n'a été précédée d'aucune saisine de la commission de recours des militaires (CRM), en méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 4125-1 du code de la défense. Le moyen, qui ne peut donc être utilement soulevé, sera écarté comme pour ce motif. Par ailleurs, la circonstance, à la supposer exacte, tirée de ce que certains tribunaux, dans une situation similaire à la sienne, n'auraient pas relevé le non-respect de cette formalité demeure à cet égard sans incidence sur la portée de ces dispositions et sur l'irrecevabilité du recours contentieux susceptible d'en découler.

6. En deuxième lieu, les dispositions précitées de l'article R. 4125-1 du code de la défense instituant un recours administratif préalable obligatoire, qui ont pour objet de permettre un traitement préalable de dossiers pouvant aboutir à une solution avant l'intervention d'un juge, ne sont pas contraires à l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elles ne privent pas le militaire d'un accès effectif au juge dans l'hypothèse où l'examen préalable de sa demande n'aurait pas abouti. Par suite, M. C... n'est pas fondé à se prévaloir de l'inconventionnalité des dispositions prévoyant cette procédure.

7. En troisième lieu, il résulte des dispositions de l'article R. 4125-1 du code de la défense qu'il incombe au juge, saisi par le militaire d'un recours qui n'a ainsi été valablement précédé d'aucun recours administratif préalable, de le rejeter comme irrecevable, alors même que l'administration présenterait devant lui des observations au fond. Par suite, M. C..., auquel ce principe a été expressément rappelé par les premiers juges au point 2 du jugement attaqué pour répondre à l'objection alors soulevée, n'est pas fondé à soutenir sérieusement que la ministre des armées qui n'a opposé l'irrecevabilité de la requête devant le tribunal que dans un mémoire complémentaire alors qu'elle avait initialement défendu sur le fond aurait ainsi renoncé à se prévaloir des dispositions de l'article R.4125-1 du code de la défense ou qu'elle aurait été tenue avant toute défense au fond de soulever cette irrecevabilité.

8. En quatrième et dernier lieu, les conclusions indemnitaires non précédées du recours administratif préalable obligatoire institué par les dispositions de l'article R. 4125-1 du code de la défense sont entachées d'une irrecevabilité manifeste non susceptibles d'être couvertes en cours d'instance. M. C..., auquel le délai du recours contentieux n'était pas opposable, ainsi qu'il a été rappelé au point 2, conservait alors la possibilité de former contre la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire née du silence gardé par l'administration un recours devant la commission des recours des militaires. Si M. C... soutient avoir désormais, et dès la notification du jugement attaqué, saisi cette commission du recours prévu par l'article R. 4125-1 du code de la défense, cette démarche ne permet cependant en aucune façon de " régulariser ", ainsi qu'il l'avance à tort, le recours présenté devant le tribunal administratif dont les conclusions indemnitaires étaient irrecevables.

9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant à la condamnation pécuniaire de l'Etat et par conséquent sa requête.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 4 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. B..., président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2021.

Le rapporteur,

O. B...Le président,

O. GASPON

La greffière,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ET ASSOCIES

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 19/01/2021
Date de l'import : 29/01/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19NT03590
Numéro NOR : CETATEXT000043031899 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-01-19;19nt03590 ?
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