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12/01/2021 | FRANCE | N°19NT04016

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 12 janvier 2021, 19NT04016


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de ses enfants C... H..., A... I..., Chris I..., F... I... et Sundi Cazeza, a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) du 14 juin 2018 portant refus de délivrer à France H

..., A... I..., Chris I..., F... I... et Sundi Cazeza des visas de long séjour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de ses enfants C... H..., A... I..., Chris I..., F... I... et Sundi Cazeza, a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) du 14 juin 2018 portant refus de délivrer à France H..., A... I..., Chris I..., F... I... et Sundi Cazeza des visas de long séjour demandés au titre de la réunification familiale.

Par un jugement no 1811254 du 17 avril 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 octobre 2019 et le 10 mars 2020, M. K..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de ses enfants C... H..., A... I..., Chris I..., F... I... et Sundi Cazeza, représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à ses enfants les visas sollicités ou, à défaut, de réexaminer sa demande, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au profit de Me B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France méconnaît l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- en tout état de cause, la filiation est établie par la possession d'état ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. I... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 13 mars 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 avril 2020 à midi. En application du II de l'article 16 de l'ordonnance no 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, ce terme a été reporté de plein droit au 23 juin 2020.

Un mémoire de M. I... a été enregistré le 1er décembre 2020, postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.

Par une décision du 21 août 2019, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes a accordé à M. I... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret no 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- et les observations de Me E... substituant Me B..., représentant M. I....

Une note en délibéré présentée pour M. I... a été enregistrée le 19 décembre 2020.

Considérant ce qui suit :

1. M. K..., ressortissant de la République démocratique du Congo né le 21 février 1972, s'est vu reconnaître le statut de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 28 juin 2016. Le 7 décembre 2017, il a sollicité, dans le cadre de la réunification familiale, des visas de long séjour au profit de ses enfants mineurs, C... H..., A... I..., Chris I..., F... I... et Sundi Cazeza, ressortissants de la République démocratique du Congo. Par une décision du 14 juin 2018, l'autorité consulaire française à Kinshasa a refusé de leur délivrer les visas sollicités. Le silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur le recours formé contre la décision consulaire a fait naître une décision implicite de rejet, dont M. I... a demandé l'annulation au tribunal administratif de Nantes. M. I... relève appel du jugement de rejet de sa demande.

2. Il ressort du mémoire en défense produit par le ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif de Nantes que la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée, d'une part, sur l'absence d'établissement de l'identité des demandeurs de visa et de leur lien de filiation allégué, en l'absence de concordance entre le jugement supplétif et les actes de naissance produits, d'autre part, sur l'absence d'établissement de la filiation par la possession d'état, et, enfin, sur l'absence de déchéance de l'autorité parentale de la mère des enfants ou de délégation d'autorité parentale à leur seul père.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 (...) sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ". ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. " Aux termes de l'article L. 411-3 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. "

4. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. I... a produit, à l'appui des demandes de visas présentées pour ses enfants, des actes de naissance établis le 9 novembre 2017 par l'officier d'état civil Kinshasa / Lemba sur transcription d'un jugement supplétif rendu par le tribunal pour enfants J... le 3 novembre 2017. Pour remettre en cause le caractère probant de ces actes, le ministre de l'intérieur relève que les actes de naissance transcrits comportent des mentions supplémentaires par rapport à celles figurant sur le jugement supplétif, à savoir les dates de naissance, professions et lieux de résidence des parents de chacun des enfants. Toutefois, cette circonstance n'est pas de nature à retirer à ces actes leur valeur probante en l'absence de toute contradiction ou incohérence entre ces documents, et à défaut pour le ministre d'établir que la loi étrangère s'y opposerait. À cet égard, si le ministre invoque les dispositions du cinquième alinéa de l'article 106 du code de la famille congolais, selon lesquelles " la transcription " du jugement supplétif " en est effectuée sur les registres de l'année en cours et mention en est portée en marge des registres, à la date du fait ", il ne ressort pas de ces dispositions que seul le dispositif du jugement supplétif doit être transcrit et qu'il est interdit à l'officier d'état civil d'apporter des mentions supplémentaires sur l'acte de naissance dressé par transcription. Par ailleurs, s'il est vrai que l'acte de naissance de la jeune F... indique qu'elle a pour prénom " Benedicte ", alors que le jugement supplétif indique qu'elle se prénomme F..., cette discordance doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme une simple erreur matérielle de retranscription. Dès lors, c'est par une inexacte application des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a estimé que la filiation et l'identité des demandeurs n'étaient pas établies par les actes d'état civil produits.

6. Cependant, il ressort des pièces du dossier que, si la mère de la jeune A... et la mère des jeunes France, Chris, F... et Sundi ont, le 2 septembre 2017, autorisé leurs enfants respectifs à rejoindre leur père en France dans le cadre de la réunification familiale, aucune décision d'une juridiction congolaise n'a confié ses enfants à M. K... au titre de l'exercice de l'autorité parentale. Il n'est en outre pas soutenu que la mère de chacun des enfants du requérant aurait été déchue de ses droits parentaux. Dès lors, c'est par une exacte application des dispositions de l'article L. 411-3 et de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par le requérant.

7. Il résulte de l'instruction que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur le seul motif cité au point précédent.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Il ressort des pièces du dossier que M. K..., père des demandeurs de visa, est entré en France le 19 mai 2013. Il n'est pas justifié, par les pièces versées au dossier qui se limitent à des transferts d'argent adressés à compter du mois d'avril 2017 à l'oncle des demandeurs de visa, que M. K... aurait conservé avec ses enfants des liens étroits entre son arrivée en France et l'année 2017. Enfin, les demandeurs de visa ont toujours vécu avec leur mère dans leur pays d'origine. Dès lors, la décision contestée, à la date à laquelle elle a été adoptée, n'a pas porté au droit des intéressés à une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes raisons, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.

10. En troisième lieu, pour les raisons exposées au point précédent, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision contestée porterait atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant. En particulier, si le requérant verse au dossier une attestation datée du 23 novembre 2018 d'un médecin de l'hôpital général de référence de Makala à Kinshasa, indiquant avoir suivi et soigné la jeune F..., alors âgée de 9 ans, pour une drépanocytose homozygote, et que " son état actuel nécessite une prise en charge appropriée ", aucune précision n'est fournie quant à la nature de cette prise en charge et à l'impossibilité de l'assurer en République démocratique du Congo. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. I... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

12. Par conséquent, la requête de M. I... doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées pour son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. I... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. K..., à Me G... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 18 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- Mme Buffet, président-assesseur,

- M. D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2021.

Le rapporteur,

F.-X. D...Le président,

T. Célérier

Le greffier,

C. Goy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 19NT04016


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. François-Xavier BRECHOT
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : PETIT

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Date de la décision : 12/01/2021
Date de l'import : 27/01/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19NT04016
Numéro NOR : CETATEXT000042992124 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-01-12;19nt04016 ?
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