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12/01/2021 | FRANCE | N°19NT04014

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 12 janvier 2021, 19NT04014


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) du 14 juin 2018 portant refus de lui délivrer un visa de long séjour demandé au titre de la réunification familiale

Par un jugement no 1811398 du 17 avril 2019, le tribunal administrat

if de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) du 14 juin 2018 portant refus de lui délivrer un visa de long séjour demandé au titre de la réunification familiale

Par un jugement no 1811398 du 17 avril 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 octobre 2019 et le 10 mars 2020, M. E..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui délivrer le visa sollicité ou, à défaut, de réexaminer sa demande, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France méconnaît l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- en tout état de cause, la filiation est établie par la possession d'état ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 13 mars 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 avril 2020 à midi. En application du II de l'article 16 de l'ordonnance no 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, ce terme a été reporté de plein droit au 23 juin 2020.

Un mémoire de M. E... a été enregistré le 1er décembre 2020, postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.

Par une décision du 6 août 2019, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes a rejeté la demande d'aide juridictionnelle formée par le requérant.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les observations de Me C... substituant Me A..., représentant M. E....

Une note en délibéré présentée pour M. E... a été enregistrée le 19 décembre 2020.

Considérant ce qui suit :

1. M. G..., ressortissant de la République démocratique du Congo né le 21 février 1972, s'est vu reconnaître le statut de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 28 juin 2016. Le 7 décembre 2017, il a sollicité, dans le cadre de la réunification familiale, des visas de long séjour au profit de ses enfants alors mineurs, dont M. D... E..., ressortissant de la République démocratique du Congo né le 21 mai 2000. Par une décision du 14 juin 2018, l'autorité consulaire française à Kinshasa a refusé de leur délivrer les visas sollicités. Le silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur le recours formé contre la décision consulaire a fait naître une décision implicite de rejet, dont M. D... E... a demandé l'annulation au tribunal administratif de Nantes en ce qui le concerne. M. D... E... relève appel du jugement de rejet de sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort du mémoire en défense produit par le ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif de Nantes que la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée, d'une part, sur l'absence d'établissement de l'identité du demandeur de visa et son lien de filiation allégué, en l'absence de concordance entre le jugement supplétif et l'acte de naissance produits, d'autre part, sur l'absence d'établissement de la filiation par la possession d'état, et, enfin, sur l'absence de déchéance de l'autorité parentale de sa mère ou de délégation d'autorité parentale à son seul père.

3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 (...) sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. " Aux termes de l'article L. 411-3 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. "

4. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. E... a produit, à l'appui de la demande de visa, un acte de naissance établi le 9 novembre 2017 par l'officier d'état civil Kinshasa / Lemba sur transcription d'un jugement supplétif rendu par le tribunal pour enfants F... le 3 novembre 2017. Pour remettre en cause le caractère probant de ces actes, le ministre de l'intérieur relève que l'acte de naissance transcrit comporte des mentions supplémentaires par rapport à celles figurant sur le jugement supplétif, à savoir les dates de naissance, professions et lieux de résidence des parents de l'enfant. Toutefois, cette circonstance n'est pas de nature à retirer à ces actes leur valeur probante en l'absence de toute contradiction ou incohérence entre ces documents, et à défaut pour le ministre d'établir que la loi étrangère s'y opposerait. À cet égard, si le ministre invoque les dispositions du cinquième alinéa de l'article 106 du code de la famille congolais, selon lesquelles " la transcription " du jugement supplétif " en est effectuée sur les registres de l'année en cours et mention en est portée en marge des registres, à la date du fait ", il ne ressort pas de ces dispositions que seul le dispositif du jugement supplétif doit être transcrit et qu'il est interdit à l'officier d'état civil d'apporter des mentions supplémentaires sur l'acte de naissance dressé par transcription. Dès lors, c'est par une inexacte application des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a estimé que la filiation et l'identité du demandeur n'étaient pas établies par les actes d'état civil produits.

6. D'autre part, M. D... E... étant devenu majeur à la date de la décision contestée, c'est par une inexacte application des dispositions de l'article L. 411-3 et de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur l'absence de déchéance de l'autorité parentale de la mère du requérant ou de délégation d'autorité parentale à son seul père.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur fasse droit à la demande de M. E.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa de long séjour sollicité par M. D... E... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à M. E... au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 17 avril 2019 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de faire droit à la demande de M. D... E... tendant à se voir délivrer un visa de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à M. E... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 18 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- Mme Buffet, président-assesseur,

- M. B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 janvier 2021.

Le rapporteur,

F.-X. B...Le président,

T. Célérier

Le greffier,

C. Goy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 19NT04014


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT04014
Date de la décision : 12/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. François-Xavier BRECHOT
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : PETIT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-01-12;19nt04014 ?
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