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03/11/2020 | FRANCE | N°20NT00796

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 03 novembre 2020, 20NT00796


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... I... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé le 29 octobre 2018 contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Khartoum refusant la délivrance d'un visa de long séjour à Mme D... E... qu'il présente comme son épouse.

Par un jugement n° 1905027 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rej

eté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mars ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... I... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé le 29 octobre 2018 contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Khartoum refusant la délivrance d'un visa de long séjour à Mme D... E... qu'il présente comme son épouse.

Par un jugement n° 1905027 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mars 2020, M. I..., représenté par Me J... G..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 octobre 2019 ;

2°) d'annuler la décision contestée ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à défaut, lui enjoindre de procéder au réexamen de la demande de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me J... G... d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'identité de son épouse et le lien matrimonial sont établis tant par les documents d'état civil produits que par la possession d'état ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. I... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 février 2020.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la cour a désigné Mme C..., présidente assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Pérez, président de la 2ème chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme H... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. I..., ressortissant érythréen, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 janvier 2017. La demande de visa de long séjour présentée en qualité de conjoint de réfugié par Mme D... E... a été rejetée par les autorités consulaires françaises en poste au Soudan le 8 octobre 2018. Le recours formé le 29 octobre 2018 contre cette décision a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. M. I... relève appel du jugement du 22 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / (...). ".

3. D'autre part, l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre ".

4. Enfin, aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 (...), peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. (...) ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

5. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées que les actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec.

6. En l'espèce, M. I... produit le certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état civil délivré par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ressort de ce document que M. F... I..., né le 25 septembre 1986 à Tsorena a, le 10 janvier 2009, épousé à Tsorena, Mme D... E... née le 1er janvier 1988 à Mihradchele de M. E... I... et de Mme B...-a Yassin. Comme l'admet le ministre de l'intérieur dans son mémoire en défense, ce certificat de mariage, qui d'ailleurs concorde avec la traduction de l'acte de mariage érythréen n° 2016/43 également versée aux débats, fait foi. Les circonstances que cette traduction fasse état de l'établissement de l'acte de mariage le 15 février 2016, soit sept ans après le mariage et que le jour et le mois de naissance de l'épouse n'y figurent pas ne démontrent, par elles-mêmes, aucune fraude. Ainsi, le lien matrimonial entre M. F... I... et Mme D... E... doit être tenu pour établi.

7. En second lieu, le ministre de l'intérieur fait valoir que le requérant n'apporte pas la preuve que la personne qui s'est présentée devant les autorités consulaires à Khartoum est son épouse, Mme D... E.... Sont pourtant produits, d'une part, un acte de naissance dressé le 9 juin 2016 et sa traduction ainsi qu'une carte d'identité délivrée le 14 octobre 2006 par le ministère des affaires intérieures du gouvernement provisoire de l'Erythrée également accompagnée de sa traduction.

8. D'abord, l'acte de naissance mentionné ci-dessus concerne l'enfant de sexe féminin, prénommée D..., née le 1er janvier 1988 à Mihradchele dont le père est E... I... et la mère B...-a Yassin. A l'appui de son allégation selon laquelle cet acte serait apocryphe, le ministre fait valoir que ce document érythréen porte sur une naissance survenue en 1988 alors que l'Erythrée n'est un Etat indépendant que depuis 1993. Il n'apporte cependant aucune justification ni même la moindre précision relative au contexte géopolitique et aux répercussions de l'accession à l'indépendance de l'Erythrée en termes de nationalité et d'état civil. Au demeurant, l'acte considéré a été dressé en 2016 et il ressort, par ailleurs, du certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état civil que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rattaché la région de Tsorona tantôt à l'Ethiopie, tantôt à l'Erythrée.

9. Ensuite, le ministre de l'intérieur fait valoir que l'acte de naissance ne mentionne pas le nom du déclarant, son lien familial ni ses lieu et date de naissance. Toutefois, il n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il s'agirait de mentions obligatoires en vertu du droit érythréen. De surcroît, il ressort de la lecture de cet acte que celui-ci a été établi non pas sur la base d'une déclaration de naissance mais dans le cadre d'un recensement. Le ministre de l'intérieur ne démontre pas davantage le caractère frauduleux de l'acte en se prévalant de son établissement tardif et postérieur au mariage de Mme D... E....

10. Enfin, il ressort des pièces du dossier qu'une photographie est apposée sur la carte d'identité de Mme E... délivrée le 14 octobre 2006, dont le ministre de l'intérieur ne critique d'ailleurs pas la valeur probante. Tant ce document d'identité que la pièce d'identité délivrée à l'intéressée par les autorités soudanaises sur le fondement de l'article 27 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et sur laquelle figure également une photographie, permettaient aux autorités consulaires françaises en poste à Khartoum de s'assurer que la personne ayant demandé un visa de long séjour en vue de rejoindre le requérant en France était bien la personne mentionnée sur le certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état civil mentionné au point 6.

11. Il suit de là qu'en confirmant le refus de visa opposé à Mme D... E..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées aux points 2 à 4.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que M. I... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

13. Eu égard, d'une part, aux motifs sur lesquels le présent arrêt prononce l'annulation de la décision de la commission et, d'autre part, à la circonstance que, alors même que le requérant a un fils, né en 2008 d'une précédente union, l'entrée en France de Mme D... E... n'implique aucunement, contrairement à ce que fait valoir le ministre de l'intérieur, une réunification partielle, l'exécution de la présente décision implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à Mme D... E.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

14. M. I... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me J... G... d'une somme de 800 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

D E C I D E :

Article 1er : le jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 octobre 2019 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme D... E... un visa de long séjour, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me J... G... une somme de 800 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... I... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

Mme C..., présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

M. A...'hirondel, premier conseiller,

Mme H..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.

Le rapporteur,

K. H...

La présidente,

H. C... Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT00796


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT00796
Date de la décision : 03/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DOUET
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : RODRIGUES-DEVESAS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-03;20nt00796 ?
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