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16/10/2020 | FRANCE | N°18NT03029

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 16 octobre 2020, 18NT03029


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif d'Orléans, à titre principal, de condamner solidairement le centre hospitalier Victor Jousselin de Dreux et son assureur la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser la somme de 185 982,40 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des conditions de sa prise en charge le 11 août 2012 à la suite d'un accident de la route ou, à titre subsidiaire, de condamner in solidum le centre hospitalier, la SHAM et l'Offic

e national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogèn...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif d'Orléans, à titre principal, de condamner solidairement le centre hospitalier Victor Jousselin de Dreux et son assureur la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser la somme de 185 982,40 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des conditions de sa prise en charge le 11 août 2012 à la suite d'un accident de la route ou, à titre subsidiaire, de condamner in solidum le centre hospitalier, la SHAM et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser cette somme ou enfin, à titre infiniment subsidiaire, de mettre cette somme à la charge du centre hospitalier, de la SHAM et de l'ONIAM, à hauteur de leurs parts respectives.

Par un jugement n° 1603952 du 31 mai 2018, le tribunal administratif d'Orléans a mis l'ONIAM hors de cause et a condamné le centre hospitalier de Dreux et la SHAM, d'une part, à verser solidairement à M. D... la somme de 9 434 euros assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts et, d'autre part, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Yvelines la somme de 32 791 euros en remboursement des débours exposés pour le compte de M. D... ainsi que la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Par le même jugement, le tribunal administratif d'Orléans a par ailleurs mis à la charge définitive du centre hospitalier les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 430 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 août 2018 M. D..., représenté par Me Vernassière, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 31 mai 2018 en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à sa demande ;

2°) à titre principal, de condamner solidairement le centre hospitalier Victor Jousselin de Dreux et son assureur la SHAM à lui verser la somme de 185 982,40 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des conditions de sa prise en charge le 11 août 2012 à la suite d'un accident de la route ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner in solidum le centre hospitalier Victor Jousselin de Dreux, la SHAM et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la même somme de 185 982,40 euros en réparation des mêmes préjudices ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, de mettre cette même somme à la charge du centre hospitalier, de la SHAM et de l'ONIAM, à hauteur de leurs parts respectives de responsabilité.

5°) d'ordonner la capitalisation des intérêts ; (

6°) de condamner in solidum tous succombants à lui verser la somme de 2 430 euros au titre des frais et honoraires d'expertise ;

7°) de mettre à la charge in solidum de tous succombants la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- outre le retard de diagnostic, le centre hospitalier a commis des erreurs conduisant à une prise en charge initiale inadaptée et fautive ; alors que les douleurs dont il s'est plaint dès son arrivée au service des urgences le jour-même de son accident constituaient un signe clinique qui aurait dû conduire à solliciter l'avis d'un neurologue, il s'est uniquement vu administrer des doses croissantes de morphine ; l'absence de diminution des douleurs en dépit de l'administration de morphine et de la sédation inhérente à l'état alcoolique aurait dû alerter le personnel soignant ; du fait de l'administration de fortes doses de morphine, dont on connaît l'action anti-vomitive, et en présence d'une faiblesse des membres inférieurs, les vomissements auraient dû être rattachés à une autre cause et justifier une immobilisation afin d'éviter le déplacement du mur postérieur ; faute de recommandations, il ignorait qu'il devait rester allongé pour éviter une aggravation de son état de santé ; après sa chute, le personnel hospitalier l'a de nouveau assis dans un fauteuil ;

- la perte de chance d'éviter la constitution du déficit neurologique constaté est totale dès lors qu'une prise en charge correcte des traumatismes du rachis cervical lui aurait épargné toute séquelle ; c'est à tort que les premiers juges ont retenu une perte de chance de 25 % s'agit du retard de diagnostic constaté par l'expert, dès lors que la luxation secondaire et son aggravation constituent une nouvelle lésion apparue en raison des mobilisations et de la chute dont il a été victime, qui ne seraient pas intervenues s'il avait bénéficié d'une prise en charge initiale correcte ;

- ses préjudices résultent non seulement de la faute commise par le centre hospitalier mais également d'un accident médical non fautif ; il a subi un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égale à 50 % durant plus de six mois ; ses préjudices sont directement liés à l'aide à la locomotion avec mise au fauteuil, qui constituent bien des actes de soin puisque les mobilisations participent à l'entretien et au rétablissement de la santé du patient ; la survenance d'une luxation secondaire moins de huit jours après le traumatisme du fait de mobilisations présentait une probabilité faible et doit dès lors être considérée comme anormale ;

- les préjudices qu'il a subis peuvent être évalués à la somme de 6,38 euros au titre des frais divers, de 1 080 euros au titre des frais de médecin-conseil, 3 075 euros au titre de l'assistance par tierce personne, 10 000 euros au titre du préjudice de formation et de l'incidence professionnelle, 45 276,02 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels et futurs, 76 195 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 14 000 euros au titre des souffrances endurées, 1 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 18 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 10 000 euros au titre du préjudice sexuel, 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément et 1 850 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

- il y a lieu de laisser à la charge définitive du centre hospitalier de Dreux les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 2 430 euros.

Par un mémoire enregistré le 27 juin 2019, la CPAM des Yvelines, représentée par Me Legrandgerard, conclut :

1°) à titre principal, à la confirmation du jugement attaqué en ce qui la concerne ;

2°) à titre subsidiaire, en cas de réformation du jugement en tant qu'il a limité le taux de perte de chance à 25 %, à ce que le centre hospitalier et la SHAM soient condamnés à rembourser les débours exposés au nom de M. D... à due concurrence.

Elle soutient que :

- elle a versé au nom de M. D... la somme totale de 131 768,26 euros au titre des débours et l'établit par la production d'une attestation d'imputabilité et d'un relevé de débours, documents dont la valeur probante ne saurait être contestée ;

- les frais d'hospitalisation exclusivement liés à l'accident de la circulation dont M. D... a été victime s'élèvent à la somme de 604,93 euros, qu'il y a lieu de déduire du montant total des débours exposés.

Par un mémoire enregistré le 10 septembre 2019, l'ONIAM, représenté par Me Ribeiro, conclut à ce que soit confirmée sa mise hors de cause.

Il soutient que les conditions de mise en jeu de la solidarité nationale ne sont pas remplies et que M. D... n'a subi aucun accident médical non fautif.

Par un mémoire enregistré le 9 octobre 2019, le centre hospitalier de Dreux et la SHAM, représentés par Me Le Prado, concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Barbier,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., alors âgé de 30 ans, a été victime le 11 août 2012 d'un grave accident de la route alors qu'il conduisait sans ceinture, à grande vitesse et sous l'emprise d'un fort état alcoolique. Il a été admis au service des urgences du centre hospitalier Victor Jousselin de Dreux (Eure) où ont été diagnostiquées une fracture du rachis cervical et une commotion cérébrale. Il a ensuite été transféré dans une unité d'hospitalisation de courte durée et placé sous morphine le jour même. A 22 heures 21, alors qu'il tentait de se lever du fauteuil dans lequel il avait été placé à sa demande, il a fait une chute et le personnel présent l'a aidé à se rasseoir. Atteint de vives douleurs abdominales ainsi que d'une insensibilité des membres inférieurs, et empêché d'effectuer des gestes courants, M. D... a été examiné le lendemain à 8 heures par un médecin neurologue de l'établissement qui a diagnostiqué une tétraparésie en lien avec une compression médullaire décelée par IRM. Un diagnostic de luxation bi-articulaire avec glissement et bascule de C7 sur D1 responsable d'une tétraplégie ayant finalement été posé au service de neurologie du centre hospitalier universitaire de Rouen, où il est resté hospitalisé du 12 août au 17 septembre 2012, le patient a été traité par traction et arthrodèse cervicale puis admis successivement au service de kinésithérapie de l'hôpital Raymond Poincaré de Garches jusqu'au 21 décembre 2012 et au centre de rééducation de Richebourg du 7 février au 12 juillet 2013, en hospitalisation complète puis uniquement de jour. M. D... a obtenu, par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans du 3 juillet 2014, la désignation d'un expert neurochirurgien qui a remis son rapport le 21 novembre suivant. Il a ultérieurement présenté au centre hospitalier de Dreux, par courrier du 16 novembre 2015, une réclamation préalable tendant à la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des fautes commises dans le cadre de sa prise en charge. Par courrier du 30 mai 2016, la SHAM, assureur du centre hospitalier, a fait une offre d'indemnisation à M. D..., qui n'y a pas donné suite et a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande indemnitaire.

2. Par un jugement du 31 mai 2018, le tribunal administratif d'Orléans a retenu la responsabilité du centre hospitalier au titre du retard de diagnostic des troubles dont M. D... a eu à souffrir dans la nuit du 11 au 12 août 2012, et a fixé à 25 % le taux de perte de chance. Les premiers juges ont condamné solidairement le centre hospitalier et la SHAM à verser à M. D... la somme de 9 434 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 novembre 2015 et de la capitalisation des intérêts. Par le même jugement, le tribunal administratif d'Orléans a également condamné solidairement le centre hospitalier et la SHAM à verser à la CPAM des Yvelines la somme de 32 791 euros au titre de ses débours ainsi que la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, a mis à la charge définitive du centre hospitalier les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 2 430 euros et a mis à la charge solidaire du centre hospitalier et de la SHAM le versement à M. D... et à la CPAM des Yvelines de la somme de 1 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par sa requête, M. D... demande à la cour de réformer le jugement du tribunal administratif d'Orléans en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande.

Sur l'obligation de réparation au titre de la solidarité nationale :

3. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Selon l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. / À titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : / 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; / 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence ". Il résulte de ces dispositions qu'un accident médical ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si l'ensemble de ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l'article L. 1142-1 et présentent notamment le caractère de gravité requis.

4. M. D... soutient que ses préjudices résultent non seulement de la faute commise par le centre hospitalier mais également d'un accident médical non fautif, en tant qu'ils sont directement liés à l'aide à la locomotion avec mise au fauteuil que lui a prodiguée le personnel, qui constituent des actes de soin puisque les mobilisations participent à l'entretien et au rétablissement de la santé du patient. Toutefois, il résulte de l'instruction que la luxation bi-articulaire avec compression de la moëlle épinière dont M. D... a été victime, survenue précocement alors qu'une telle complication intervient en général sous huit jours, n'est pas en lien avec un acte de prévention, de diagnostic ou de soin mais est exclusivement imputable à la mobilisation dont l'intéressé a lui-même pris l'initiative, notamment en tentant de se lever seul de son fauteuil, ce qui a provoqué sa chute. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif d'Orléans a estimé que l'ONIAM devait être mis hors de cause.

Sur la responsabilité du centre hospitalier Victor Jousselin de Dreux :

5. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

6. D'une part, si M. D... soutient que la prise en charge dont il a fait l'objet dès son admission au service des urgences du centre hospitalier de Dreux le 11 août 2012 à 7 heures 36 a été défaillante, il résulte toutefois de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que la prise en charge dont il a bénéficié a été conforme à toutes les recommandations en présence d'un traumatisme cervical sans signes neurologiques, et avec un scanner cérébral, pratiqué dès 8 heures 10, ne montrant pas d'anomalies au niveau des disques et des corps vertébraux, notamment pas d'atteinte du mur postérieur, les vomissements auxquels il a été sujet ne constituant pas un signe de compression médullaire mais résultant de la prescription de morphine à forte dose. Par suite, la responsabilité du centre hospitalier ne saurait être engagée en raison d'une faute commise à l'occasion de la prise en charge initiale du patient au service des urgences.

7. D'autre part, ainsi qu'il a été dit précédemment, il résulte de l'instruction et notamment des conclusions de l'expert ainsi que de ses réponses aux dires que la luxation secondaire dont M. D... a été victime résulte à la fois des mobilisations opérées à sa demande dans le cadre de contacts avec le personnel, contacts rendus difficiles par son comportement, et de la chute qu'il a faite en tentant de se lever seul de son fauteuil. Si la faiblesse du patient n'était pas de nature à alerter le personnel, dès lors que l'intéressé somnolait ou dormait sous l'emprise d'un traumatisme physique et psychique, d'une alcoolémie élevée et de doses de morphine importantes, il résulte toutefois de l'instruction que les difficultés à se mouvoir dont se plaignait régulièrement M. D... et l'absence de miction depuis l'admission, qui auraient dû alerter le personnel dès 5 heures 11 le 12 août 2012, n'ont été pris en compte qu'à 8 heures 30, un tel retard de diagnostic et de prise en charge de ces troubles neurologiques ayant entraîné une aggravation des déficits neurologiques dont le patient a eu à souffrir, qui ont continué à progresser durant ce laps de temps d'un peu plus de trois heures. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la responsabilité du centre hospitalier de Dreux était engagée du fait d'un retard de diagnostic fautif.

Sur la perte de chance :

8. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

9. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que le retard avec lequel ont été pris en charge les troubles ressentis par M. D... durant la nuit du 11 au 12 août 2012, consécutivement à une mobilisation et une chute qui lui sont imputables, lui a fait perdre une chance d'éviter la progression des déficits neurologiques dont il a eu à souffrir, perte de chance que les premiers juges ont correctement évaluée à 25 %.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

10. En premier lieu, M. D... établit avoir exposé, dans le cadre des opérations expertales, des frais de copies et d'honoraires de médecin conseil à hauteur respectivement de 6,38 euros et 1 080 euros, frais qui résultent entièrement du dommage qu'il a subi et qui doivent dès lors faire l'objet d'une réparation intégrale. Par suite, il y a lieu de porter la somme allouée à ce titre par le tribunal administratif d'Orléans à M. D... à de 1 086,38 euros.

11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise remis le 21 novembre 2014 que l'état de santé de M. D... a rendu nécessaire l'aide non spécialisée d'une tierce personne à raison de deux heures par jour entre le 22 décembre 2012 et le 6 février 2013 soit durant 47 jours, puis à raison d'une heure par jour entre le 24 mars et le 12 juillet 2013 soit durant 111 jours. Sur la base d'un taux horaire moyen de rémunération tenant compte des charges patronales et des majorations de rémunération pour travail du dimanche fixé à 13,18 euros et d'une année de 412 jours pour prendre en compte les congés payés et les jours fériés, le préjudice s'élève à la somme de 3 049,85 euros. Par suite, il y a lieu de porter la somme allouée à ce titre par le tribunal administratif d'Orléans à M. D... à 762,46 euros après application du taux de perte de chance de 25 % fixé au point 9 du présent arrêt.

12. En troisième lieu, M. D... soutient qu'en raison de l'immobilisation durant dix-huit mois qu'il a subie du fait du retard de diagnostic dont il a été victime, il a été contraint d'interrompre la formation de frigoriste qu'il suivait auprès de l'Agence pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) et a finalement dû changer d'orientation professionnelle pour trouver un emploi adapté à ses séquelles, et fait valoir qu'il s'est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé du 1er décembre 2012 au 30 novembre 2019. Toutefois, M. D..., dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait dû cesser une activité professionnelle antérieure, n'établit pas, par les pièces qu'il produit, qu'il aurait été dans l'obligation de changer d'orientation professionnelle et ne démontre par ailleurs pas avoir subi une dévalorisation sur le marché du travail, dès lors qu'il reconnaît lui-même que sa nouvelle activité professionnelle à la SCNF est d'un niveau de qualification et de rémunération équivalent à celle qu'il envisageait initialement. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre du préjudice de formation et de l'incidence professionnelle.

13. En quatrième et dernier lieu, M. D... soutient qu'il a été privé des revenus qu'il aurait dû percevoir en tant que frigoriste, emploi qu'il avait vocation à occuper dès la fin de la formation dispensée par l'AFPA soit le 16 octobre 2012, dès lors qu'il n'a pu retrouver un emploi qu'à compter du 21 août 2014, date de prise d'effet du contrat de professionnalisation qu'il a conclu avec la SNCF, et jusqu'au 30 septembre 2015. Le requérant n'établit toutefois pas la réalité de la perte de gains professionnels alléguée en se bornant à produire des statistiques génériques relatives à l'insertion professionnelle à l'issue d'une formation dispensée par l'AFPA, et alors qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que l'intéressé a déclaré avoir bénéficié d'une prise en charge par l'assurance chômage durant la période précédant la conclusion de son contrat de professionnalisation.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

14. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. D... a subi un déficit fonctionnel temporaire total durant les 177 jours qu'ont duré ses deux périodes d'hospitalisation, du 12 août 2012 au 21 décembre 2012 puis du 7 février au 23 mars 2013. Il a par ailleurs présenté un déficit fonctionnel temporaire partiel de 50 % dans l'attente d'une place en centre de rééducation du 22 décembre 2012 au 6 février 2013, puis durant son hospitalisation de jour dans cet établissement du 24 mars au 12 juillet 2013, soit au total pendant 158 jours, et enfin un déficit fonctionnel temporaire partiel de 25 % entre sa sortie du centre de rééducation le 13 juillet 2013 et la date de consolidation, fixée au 12 février 2014, soit durant 215 jours. Dans ces conditions, c'est par une juste appréciation que les premiers juges lui ont alloué à ce titre une somme de 1 000 euros, compte tenu du taux de perte de chance fixé au point 8 du présent arrêt.

15. En deuxième lieu, il résulte des termes du rapport d'expertise que les souffrances physiques et psychiques endurées par M. D... du fait de la tétraplégie dont il a eu à souffrir à raison uniquement du retard de diagnostic fautif, de l'intervention aux fins d'arthrodèse et de la rééducation rendues nécessaires par son état, peuvent être évaluées à 4,5 sur une échelle de 1 à 7. Dans les circonstances de l'espèce, en accordant au requérant la somme de 2 600 euros, après application du taux de perte de chance, les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice. Il y a lieu par suite d'allouer à M. D... la somme de 2 600 euros en réparation des souffrances qu'il a endurées.

16. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que M. D... a souffert temporairement d'un trouble dans l'allure lors des déplacements, lié au caractère instable de la marche nécessitant le secours d'une béquille, ainsi que d'une maladresse au niveau des mains. Le préjudice esthétique temporaire enduré de ce fait a été évalué par l'expert à 3 sur une échelle de 1 à 7. M. D... a par ailleurs conservé, à la suite de l'intervention chirurgicale aux fins d'arthrodèse, une cicatrice chéloïde verticale d'une longueur de huit centimètres au niveau des vertèbres cervicales occasionnant un préjudice esthétique permanent évalué à 1 sur une échelle de 1 à 7. Par suite, compte tenu du taux de perte de chance fixé au point 8du présent arrêt, les premiers juges ont correctement apprécié les préjudices subis à ces deux titres par M. D... en lui allouant la somme de 300 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et la somme de 250 euros au titre du préjudice esthétique permanent.

17. En quatrième lieu, du fait de séquelles neurologiques au niveau des membres inférieurs se traduisant par une légère instabilité et difficulté pour marcher, auxquelles s'ajoutent les suites du stress post-traumatique lié à la tétraplégie, M. D... est atteint d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 10 % par l'expert. Compte tenu de l'âge de la victime, né en 1981, il y a lieu de confirmer l'appréciation du tribunal administratif d'Orléans, qui a évalué ce préjudice à la somme de 13 000 euros et d'allouer à M. D... la somme de 3 250 euros après application du taux de perte de chance fixé ci-dessus.

18. En cinquième lieu, eu égard à la nature des séquelles dont M. D... demeure affecté, c'est par une juste appréciation que les premiers juges lui ont alloué au titre du préjudice sexuel, compte tenu du taux de perte de chance fixé à 25 %, une somme de 750 euros.

19. En sixième et dernier lieu, si l'expert indique dans son rapport un " préjudice de loisirs dû à une restriction des possibilités de la marche " ni cette mention, en réalité relative aux troubles dans les conditions d'existence déjà pris en compte au titre du déficit fonctionnel permanent examiné au point 17 du présent arrêt, ni les deux attestations produites par M. D..., ne permettent d'établir que l'intéressé aurait subi un préjudice d'agrément tenant à l'impossibilité de poursuivre une activité sportive spécifique qu'il pratiquait avec une certaine intensité. Par suite, il n'y a pas lieu d'accorder une indemnisation à ce titre.

20. Il résulte de ce qui précède que la somme que le tribunal administratif d'Orléans a condamné le centre hospitalier de Dreux et la SHAM à verser à M. D... doit être portée à 9 998,84 euros.

Sur les droits de la CPAM :

21. Il résulte de l'instruction que les dépenses de santé exposées par la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines s'élèvent à la somme totale de 131 768,26 euros correspondant aux frais d'hospitalisation de M. D... de laquelle il convient de déduire la somme de 604,93 euros liés aux frais hospitaliers engagés les 11 et 12 août 2012. Ces frais sont en lien avec la faute commise par le centre hospitalier qui n'en conteste ni le principe ni le montant. Compte tenu du taux de perte de chance de 25 % susmentionné, il y a lieu de confirmer le montant de l'indemnité, mise à la charge du centre hospitalier Victor Jousselin de Dreux et s'élevant à la somme de 31 792 euros, outre la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur les intérêts et la capitalisation :

22. M. D... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 8 398,84 euros à compter du 16 novembre 2015, date à laquelle il a sollicité l'indemnisation de ses préjudices auprès du centre hospitalier. Les intérêts échus à compter du 16 novembre 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Sur les frais de l'instance :

23. D'une part, il y a lieu de maintenir à la charge définitive du centre hospitalier de Dreux les frais et honoraires de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 2 430 euros par ordonnance du président du tribunal administratif d'Orléans du 16 décembre 2014.

24. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à M. D... la charge des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que le tribunal administratif d'Orléans a condamné le centre hospitalier de Dreux et la SHAM à verser à M. D... est portée à 9 998,84 euros, somme qui sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 novembre 2015 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 16 novembre 2016 et à chaque échéance annuelle.

Article 2 : Le jugement n° 1603952 du 31 mars 2018 du tribunal administratif d'Orléans est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines est rejeté.

Article 4 : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines, au centre hospitalier Victor Jousselin de Dreux et à la SHAM.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. Berthon, premier conseiller,

- Mme Le Barbier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 octobre 2020.

Le rapporteur

M. Le BarbierLe président

C. Brisson Le greffier

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°18NT03029


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT03029
Date de la décision : 16/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Muriel LE BARBIER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-10-16;18nt03029 ?
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