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09/10/2020 | FRANCE | N°19NT03742

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 09 octobre 2020, 19NT03742


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 31 janvier 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté sa demande de visa de long séjour en faveur du jeune I... D... qu'il présente comme son fils, en sa qualité de bénéficiaire du regroupement familial.

Par un jugement n° 1902600 du 18 juillet 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

P

ar une requête enregistrée le 19 septembre 2019, M. H... D..., représenté par Me Benhamida, d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 31 janvier 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté sa demande de visa de long séjour en faveur du jeune I... D... qu'il présente comme son fils, en sa qualité de bénéficiaire du regroupement familial.

Par un jugement n° 1902600 du 18 juillet 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 septembre 2019, M. H... D..., représenté par Me Benhamida, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du 18 juillet 2019 ;

3°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 31 janvier 2019 ;

4°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune I... D... le visa de long séjour sollicité, dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

­ le jugement attaqué devra être annulé dès lors qu'il est entaché d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article 47 du code civil et qu'il est entaché d'erreurs de fait et d'appréciation ;

­ la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entachée d'erreur de fait, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle n'établit pas le caractère inauthentique des actes d'état civil produits et qu'il ne lui revient pas de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux ;

­ cette décision porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et méconnaît les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé et s'en remet au surplus à ses écritures de première instance.

M. H... D... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25 %) par une décision du 30 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

­ la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code civil ;

­ la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

­ le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

­ le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la cour a désigné Mme Douet, présidente assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Pérez, président de la 2ème chambre en application de l'article R. 222 26 du code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. L'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. H... D..., né le 3 janvier 1982 et de nationalité guinéenne, est entré le 2 octobre 2002 en France où il séjourne sous le couvert d'une carte de résident de longue durée. Sa demande de regroupement familial au profit du jeune I... D..., né le 11 juin 2002, qu'il présente comme son fils, a été accueillie favorablement par le préfet du Gers suivant une décision du 25 novembre 2016. La demande de délivrance d'un visa de long séjour déposée le 24 juillet 2018 pour cet enfant auprès des autorités consulaires françaises de l'ambassade de France en Guinée et Sierra Léone a donné lieu à une décision de refus du 14 novembre 2018. Le 12 décembre 2018, M. D... a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'un recours contre la décision consulaire qui a été rejeté par une décision du 31 janvier 2019. M. D... relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 juillet 2019 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur la demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :

2. M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 30 octobre 2019. Par suite, sa demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle est devenue sans objet.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. En premier lieu, pour refuser de délivrer le visa de long séjour sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le seul motif tiré de ce qu'il " a été produit 2 actes de naissance différents (n° 773 du 19/06/2002 et n° 5371 du 02/03/2016), ce qui ne permet pas d'établir l'identité de la demanderesse et son lien familial allégué avec le regroupant. / Dans ces conditions, les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont pas été méconnues ".

4. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'ont été présentés à l'appui de la demande de visa l'acte de naissance n°773 de l'année 2002 établi par l'officier de l'état civil de la commune de Matoto suivant une déclaration de la mère du 19 juin 2002 et le jugement supplétif n°5371 du 2 mars 2016 rendu par le tribunal de première instance de Conakry II. La commission s'est ainsi méprise sur la nature et la portée de ce dernier document, ce qui a été de nature à avoir une influence sur le sens de la décision contestée. Par suite, M. D... est fondé à soutenir que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a commis une erreur de fait et en demander, pour ce motif, son annulation.

5. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur invoque, dans ses écritures de première instance et communiquées à M. D... d'autres motifs tirés du caractère apocryphe de l'acte de naissance n°773 et du jugement supplétif n°5371 rendu le 2 mars 2016, sans demander de substitution de motifs. En tout état de cause, s'il soutient que l'acte de naissance produit par M. D... à l'appui de la demande de visa de long séjour du jeune I... D... suivant les déclarations de la mère en 2002 présentait un caractère apocryphe, une telle circonstance n'est pas de nature à établir que le jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance qui a été rendu le 2 mars 2016 par le tribunal de première instance de Conakry II présenterait lui-même un caractère frauduleux. Par ailleurs, la circonstance que le jugement supplétif ait été rendu plusieurs années après la naissance de l'enfant afin d'être produit au soutien de la demande de visa d'entrée en France ne révèle, par elle-même, aucune fraude. Si le ministre fait valoir que ce jugement a été rendu à la demande de Mme J... D... qui n'aurait pas été mandatée par les parents allégués, qu'il est fondé sur simple déclaration de deux témoins sans élément objectif garantissant la réalité des événements relatés et qu'il a été rendu le jour même de l'enregistrement de la requête, révélant l'absence de toute possibilité d'enquête réelle sur les dires de la partie intéressée, ces circonstances ne sont pas de nature à établir, en l'absence d'éléments démontrant que les règles de droit et usages juridictionnels guinéens organisent de manière différente l'instruction des demandes de jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance, que cette décision juridictionnelle procède d'une démarche frauduleuse. De même, à supposer que le tribunal de première instance de Conakry II se soit mépris sur sa compétence territoriale, cette circonstance n'est pas de nature à démontrer le caractère frauduleux du jugement, ni qu'elle ait eu une incidence sur les mentions qu'il comporte. Enfin, le ministre ne précisant pas les mentions obligatoires que doit contenir, au regard de la loi guinéenne, un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance, il ne saurait utilement dénoncer l'insuffisance des mentions contenues dans ce jugement concernant l'identité des parents. Il suit de là que ce jugement doit être regardé comme établissant le lien de filiation unissant M. H... D... au jeune I... D....

6. En second lieu, aux termes du premier paragraphe l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Ainsi, dans le cas où un visa d'entrée en France est sollicité en vue de permettre à un enfant de rejoindre un ressortissant français ou étranger qui a reçu délégation de l'autorité parentale dans les conditions qui viennent d'être indiquées, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, ainsi que sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale, contraires à son intérêt.

8. Le requérant a également produit le jugement n°532 du 2 mars 2016 rendu par le tribunal de première instance de Conakry II à la demande de Mme F... D..., mère du jeune I... D..., déléguant au requérant l'autorité parentale sur cet enfant. Si le ministre soutient que ce jugement a été rendu par une juridiction territorialement incompétente, il y a lieu d'écarter ce grief pour le même motif que celui exposé au point 5. A supposer, par ailleurs, que ce jugement n'ait pas été transcrit dans les registres de l'état civil de Matam comme le prévoit son dispositif, il n'est pas établi, ni même allégué que la transcription préalable du jugement dans les registre d'état civil constitue une condition nécessaire pour son exécution. Dans ces conditions, alors que la demande de regroupement familial déposée par M. D... au profit du jeune I... D... a été accueillie favorablement après que les enquêtes réglementaires sur les conditions de logement et de ressources aient été effectuées, M. D... est également fondé à soutenir que la décision contestée méconnaît les stipulations du premier paragraphe l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué ni les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré au jeune I... D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa à l'intéressé dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. D... au profit de son avocat en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

D É C I D E:

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle présentée par M. D....

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 juillet 2019 et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 31 janvier 2019 sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune I... D..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, un visa de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt

Article 4 : Les conclusions de M. D... au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Douet, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. L'hirondel, premier conseiller,

- Mme Bougrine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 octobre 2020.

Le rapporteur,

M. L'HIRONDEL La présidente,

H. Douet

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

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N° 19NT03742


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03742
Date de la décision : 09/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DOUET
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : BENHAMIDA

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-10-09;19nt03742 ?
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