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06/10/2020 | FRANCE | N°19NT03325

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 06 octobre 2020, 19NT03325


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune de La Forêt-Fouesnant à lui verser la somme de 178 062, 60 euros en réparation des préjudices résultant pour elle des renseignements d'urbanisme erronés concernant des terrains situés au lieu-dit " Menez Poulennou ".

Par un jugement n° 1604934 du 28 juin 2019, le tribunal administratif de Rennes a condamné la commune de La Forêt-Fouesnant à verser à Mme F... la somme de 1 350 euros, assortie des intérêts au ta

ux légal à compter de la date de réception par la commune de la demande préalable d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune de La Forêt-Fouesnant à lui verser la somme de 178 062, 60 euros en réparation des préjudices résultant pour elle des renseignements d'urbanisme erronés concernant des terrains situés au lieu-dit " Menez Poulennou ".

Par un jugement n° 1604934 du 28 juin 2019, le tribunal administratif de Rennes a condamné la commune de La Forêt-Fouesnant à verser à Mme F... la somme de 1 350 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la commune de la demande préalable du 6 août 2016, avec capitalisation des intérêts, et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 6 août 2019, 5 février 2020, et 21 avril 2020, Mme C... F..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1604934 du 28 juin 2019 du tribunal administratif de Rennes, en ce qu'il n'a fait que partiellement droit aux conclusions de sa demande indemnitaire ;

2°) de condamner la commune de La Forêt-Fouesnant à lui verser la somme de 178 062, 60 euros, assortie des intérêts au taux légal, avec capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices résultant de renseignements d'urbanisme erronés concernant la constructibilité du terrain situé au lieu-dit " Menez Poulennou " ;

3°) de mettre à la charge de la commune de La Forêt-Fouesnant la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que la note en délibéré produite par la commune de La Forêt-Fouesnant à l'issue de l'audience ne lui a pas été communiquée ;

- le jugement comporte une contradiction de motifs ; le tribunal ne pouvait, sans se contredire, reconnaître l'existence d'un préjudice moral en lien avec la faute, tout en refusant de reconnaître l'existence d'un préjudice indemnisable au titre de la perte de valeur vénale de ses parcelles ;

- l'illégalité du plan d'occupation des sols concernant le classement de ses parcelles en zone NAc constructible, ainsi que celle des certificats d'urbanisme positifs qui lui ont été délivrés les 2 octobre 2000, 25 juillet 2012 et 4 mars 2014, constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de la commune à son égard ;

- la décision du 12 juin 2015 portant délivrance d'un certificat d'urbanisme négatif a méconnu le principe d'égalité ; son neveu a obtenu un permis de construire pour une parcelle située dans le même lieu-dit ;

- les préjudices financiers et le préjudice moral, subis du fait des décisions illégales, peuvent être évalués à une somme totale de 178 062, 60 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 novembre 2019, 14 février 2020, et 30 avril 2020, la commune de La Forêt-Fouesnant, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme F... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant la commune de La Forêt-Fouesnant.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'une donation-partage dont elle a bénéficié le 27 décembre 2001, Mme F... est devenue propriétaire de deux parcelles situées sur le territoire de la commune de la Forêt-Fouesnant, au lieu-dit " Menez Poulennou ", cadastrées à la section D sous les n°s 1569 et 1567, d'une surface, respectivement, de 1 400 m2 et 1 567 m2. Ces parcelles ont fait l'objet, le 2 octobre 2000, soit préalablement à la donation, d'un certificat d'urbanisme positif délivré par le maire de La Forêt-Fouesnant, lequel indiquait que les terrains étaient classés, en application du plan d'occupation des sols de la commune, en zone NAc constructible. Ce document a été confirmé et complété par deux certificats d'urbanisme opérationnels positifs délivrés, respectivement, les 25 juillet 2012 et 4 mars 2014. A la suite d'une nouvelle demande formulée le 16 avril 2015, le maire de La Forêt-Fouesnant a, toutefois, délivré le 12 juin 2015 à Mme F... deux certificats d'urbanisme négatifs, déclarant désormais que les parcelles ne pouvaient pas être utilisées pour la réalisation d'une opération visant notamment à créer deux lots à bâtir de 723 m² et de 714 m², au motif que le lieu-dit " Menez Poulennou " ne peut pas être qualifié d'agglomération ou de village au sens du I de l'article L 146-4 du code de l'urbanisme. Mme F... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune de La Forêt-Fouesnant à lui verser la somme de 178 062, 60 euros en réparation des préjudices résultant pour elle des renseignements d'urbanisme erronés concernant ses terrains. Par un jugement du 28 juin 2019, le tribunal administratif de Rennes a condamné la commune La Forêt-Fouesnant à verser à Mme F... la somme de 350 euros au titre des frais exposés en vain pour la réalisation d'une étude d'aptitude des sols à l'assainissement individuel et de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires. Mme F... relève appel de ce jugement en ce qu'il n'a fait que partiellement droit aux conclusions de sa demande indemnitaire.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 731-1 du code de justice administrative : " A l'issue de l'audience, toute partie à l'instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré ". Lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, le juge administratif doit dans tous les cas en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si cette note contient, soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit l'exposé d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.

3. Il ressort des pièces du dossier que la note en délibéré produite par la commune de La Forêt-Fouesnant à l'issue de l'audience du 29 mai 2019, qui a été visée par les premiers juges, ne comporte l'exposé d'aucune des circonstances de fait ou de droit énoncées au point 2. Par suite, les juges de première instance n'ont pas entaché leur jugement attaqué d'irrégularité en ne rouvrant pas l'instruction pour soumettre au débat contradictoire cette note en délibéré.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

4. L'illégalité d'une décision administrative est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration à l'égard de son destinataire s'il en est résulté pour lui un préjudice direct et certain.

5. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, issue de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, désormais repris à l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme : " L'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement (...) ". Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais que, en revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages.

6. Il résulte de l'instruction, et notamment des plans et des photographies produites, que le lieu-dit " Menez Poulennou ", où sont localisés les terrains appartenant à Mme F..., comporte une dizaine de constructions dispersées. Il est entouré de parcelles non bâties, ainsi que de vastes espaces naturels et agricoles, et se situe à environ un kilomètre au nord du centre-bourg de la commune de La Forêt-Fouesnant. Il ne s'inscrit dans la continuité urbaine d'aucun secteur. Dans ces conditions, les parcelles de Mme F... ne se situent pas en continuité avec une agglomération ou un village existant. Par suite, c'est par une inexacte application des dispositions précitées du code de l'urbanisme que la commune de La Forêt-Fouesnant a classé en zone NAc constructible ces terrains, lors de l'approbation de son plan d'occupation des sols le 1er juin 1995, modifié le 28 juin 2012. Pour les mêmes raisons, les certificats d'urbanisme positifs déclarant constructibles les terrains, délivrés les 27 décembre 2001, 25 juillet 2012 et 14 mars 2014 par le maire, sont entachés d'illégalité. Ces illégalités constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de la commune de La Forêt-Fouesnant à l'égard de Mme F.... Cette dernière peut, dès lors, prétendre à la réparation des conséquences dommageables de ces illégalités fautives, sous réserve de justifier d'un préjudice direct et certain.

En ce qui concerne la réparation des préjudices :

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme F... est devenue propriétaire des parcelles cadastrées à la section D n° 1569 et n° 1567 à la suite d'une donation-partage effectuée le 27 décembre 2001. A cette date, les parcelles ont été valorisées par les parties à l'acte notarié à la somme de 29 361, 68 euros en tant que parcelles constructibles, compte tenu, d'une part de leur classement en zone NAc par le plan d'occupation des sols de la commune, d'autre part, du certificat d'urbanisme délivré le 2 octobre 2000, annexé à l'acte. La requérante soutient que la valeur de ses terrains, dans l'hypothèse où ils auraient été constructibles, est égale à la somme de 158 000 euros. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 5 du présent arrêt, les parcelles appartenant à Mme F... sont inconstructibles depuis l'entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 1986, dite loi Littoral. Dès lors, elle ne peut prétendre à la réparation du préjudice qu'elle allègue qui tiendrait, selon elle, à ce que " ces parcelles ont perdu toute leur valeur ". Dans ces conditions, Mme F... n'est pas fondée à demander l'indemnisation de ce préjudice.

8. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les biens donnés au frère de Mme F... à l'occasion de la donation partage du 27 décembre 2001, également constitués de parcelles situées sur le territoire de la commune La Forêt-Fouesnant, étaient constructibles ou aient fait l'objet de constructions acquises à la date de l'acte notarié. Dans ces conditions, et alors même qu'un permis de construire aurait été postérieurement délivré en 2012 sur l'un des terrains donnés à son frère, Mme F... n'est pas fondée à soutenir que les fautes de la commune auraient causé pour elle une perte de chance de bénéficier d'un partage équitable, ou entraîné une " rupture d'égalité " avec son frère et à demander une indemnisation à ce titre.

9. En troisième et dernier lieu, les fautes imputables à la commune sont directement à l'origine d'un préjudice moral subi par Mme F.... En l'absence de toute précision apportées par la requérante quant à ce préjudice, il y a lieu de maintenir la somme de 1 000 euros qui lui a été attribuée à ce titre en première instance.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes n'a pas fait intégralement droit aux conclusions de sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de La Forêt-Fouesnant, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme F... d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme F... le versement d'une somme à la commune de La Forêt-Fouesnant au titre des mêmes frais.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... F... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de La Forêt-Fouesnant tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F... et à la commune de La Forêt-Fouesnant.

Délibéré après l'audience du 18 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme B..., présidente,

- M. A..., premier conseiller,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 octobre 2020.

Le rapporteur,

A. A...La présidente,

C. B...

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au préfet du Finistère, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 19NT03325


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : SELARL LE ROY GOURVENNEC PRIEUR

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Date de la décision : 06/10/2020
Date de l'import : 18/10/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19NT03325
Numéro NOR : CETATEXT000042405444 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-10-06;19nt03325 ?
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