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01/10/2020 | FRANCE | N°19NT00815

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 01 octobre 2020, 19NT00815


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D..., agissant en son nom propre et en tant que représentant légal des enfants mineurs G... D..., E... D... et K... D..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 23 juillet 2018 par laquelle le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Conakry refusant de délivrer à son épouse alléguée Mme I... B... et à ses trois enfants

allégués, G... D..., E... D... et K... D..., un visa d'entrée et de long séjour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D..., agissant en son nom propre et en tant que représentant légal des enfants mineurs G... D..., E... D... et K... D..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 23 juillet 2018 par laquelle le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Conakry refusant de délivrer à son épouse alléguée Mme I... B... et à ses trois enfants allégués, G... D..., E... D... et K... D..., un visa d'entrée et de long séjour en France en tant que membres de famille de réfugié.

Par un jugement n° 1807728 du 21 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 février 2019, M. D..., représenté par Me Elmokretar, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 décembre 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 23 juillet 2018 ;

3°) d'enjoindre au ministre des affaires étrangères de délivrer les visas sollicités ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, en ce qu'elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le lien marital et le lien de filiation sont établis par les documents produits.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25%) par une décision du 14 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Douet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant guinéen bénéficiaire du statut de réfugié, relève appel du jugement du 21 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 23 juillet 2018 par laquelle le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Conakry refusant de délivrer un visa de long séjour en France à son épouse alléguée Mme I... B... et à ses enfants G..., E... et K....

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne Mme B... épouse D... :

2. D'une part, le I de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, dispose que : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...). Le II du même article dispose que : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ".

3. D'autre part, l'article L. 721-3 du même code dispose que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. / Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. / Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre. ".

4. Enfin, aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

5. Il résulte des dispositions citées aux points 2 à 4 que les actes établis par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec.

6. Le requérant produit le certificat que le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) lui a délivré le 23 novembre 2015, conformément aux dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, attestant du mariage à Conakry (Guinée) de M. D... avec Mme I... B.... La commission de recours n'a pas tenu compte de cet acte, sans pour autant faire état d'une fraude. Dans ces conditions, le requérant justifie, pour l'application du II de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, du lien matrimonial l'unissant à Mme B.... Par suite, le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en refusant de délivrer un visa de long séjour à Mme B....

En ce qui concerne les enfants E..., G... et K... :

7. Pour rejeter le recours formé par M. D..., le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a considéré que les documents d'état civil présentés revêtaient un caractère frauduleux.

8. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.

9. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'allègue le ministre de l'intérieur, M. D... ait été présent pour l'établissement des jugements supplétifs de ses enfants. Les circonstances que le jugement supplétif a été dressé plusieurs années après la naissance des enfants E..., G... et K... et après que M. D... s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou que le certificat de non-appel formé à l'encontre de cette décision juridictionnelle n'a pas été produit, ne sauraient suffire à établir le caractère frauduleux de ce jugement et de l'acte de naissance établi sur son fondement.

10. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que les 11ème, 12ème et 13ème chiffres du passeport du jeune E... D... devant correspondre au numéro d'état civil sont les chiffres 605 et que le jugement supplétif ayant servi à l'établissement du passeport de E... D... porte bien ces chiffres. Compte tenu de l'intervention d'un jugement supplétif le ministre, en soutenant que le numéro d'acte de naissance du jeune E... était 3230, mention qui était portée sur l'extrait d'acte de naissance qui a été remplacé par le jugement supplétif, a fait une inexacte application des dispositions précitées. Au surplus, M. D... a, dans l'ensemble des documents qu'il a remplis dans le cadre de la procédure afin d'obtenir la qualité de réfugié, toujours mentionné l'existence de ses trois enfants, et leur date de naissance comme cela ressort notamment de la fiche familiale de référence devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :

12. Eu égard aux motifs d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, la délivrance à Mme I... B... et aux enfants E..., G... et K... d'un visa d'entrée et de long séjour en France. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai de 30 jours à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me J... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 décembre 2018 et la décision du président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 23 juillet 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme I... B... épouse D... et à E..., G... et K... D... un visa d'entrée et de long séjour en France dans un délai de 30 jours à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le versement de la somme de 1 200 euros au bénéfice de Me H... est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'art 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D..., à Mme I... D..., à M. E... D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme C..., président-assesseur,

- M. L'hirondel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 1er octobre 2020 .

Le rapporteur,

H. C...

Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT00815


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Hélène DOUET
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : ELMOKRETAR

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Date de la décision : 01/10/2020
Date de l'import : 14/10/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19NT00815
Numéro NOR : CETATEXT000042401031 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-10-01;19nt00815 ?
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