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22/09/2020 | FRANCE | N°19NT03124

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 22 septembre 2020, 19NT03124


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B..., Mme J... C... et Mme I... C..., agissant en son nom et en tant que représentant légal de sa fille mineure, L... C..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours préalable formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Dacca (Bangladesh) en date du 2 novembre 2017 rejetant leurs demandes de visas d'entrée et de long séjour

présentées en qualité de membres de famille d'un réfugié statutaire.

Par un ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B..., Mme J... C... et Mme I... C..., agissant en son nom et en tant que représentant légal de sa fille mineure, L... C..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours préalable formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Dacca (Bangladesh) en date du 2 novembre 2017 rejetant leurs demandes de visas d'entrée et de long séjour présentées en qualité de membres de famille d'un réfugié statutaire.

Par un jugement n° 1900949 du 5 juin 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle refuse un visa d'entrée et de long séjour à Mme I... C... et a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 juillet 2019, M. F... B..., Mme J... C... et Mme I... C..., agissant en son nom et en tant que représentant légal de sa fille mineure, L... C..., représentés par Me Fréry, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900949 du tribunal administratif de Nantes, en tant qu'il a rejeté les conclusions de leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour M. F... B..., Mme J... C... et Mme L... C... ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour M. F... B..., Mme J... C... et Mme L... C... ;

3°) d'annuler la décision des autorités consulaires à Dacca du 2 novembre 2017 ;

4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités, à titre subsidiaire de réexaminer les demandes de visas, dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

6°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer, le temps que le tribunal de grande instance de Lyon ait rendu son jugement tendant à établir le lien de filiation.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'est pas motivée ; ils ont présenté une demande de communication des motifs de la décision implicite, dont ils n'ont pas eu de réponse ;

- la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas examiné leur situation personnelle ;

- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation et d'erreur de droit dès lors que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a délivré à M. A... G..., leur père, un livret de famille mentionnant le mariage de M. G... avec Mme C... ; l'erreur matérielle entachant leur certificat de naissance délivré en 2011 ne leur est pas imputable ; le lien de filiation est établi par les certificats de naissance délivrés le 27 novembre 2014, par leurs passeports, ainsi que par la possession d'état ;

- les refus de visa méconnaissent les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frank,

Considérant ce qui suit :

1. M. A... G..., ressortissant bangladais né le 3 mars 1963 à Sylhet (Bangladesh), est entré en France le 20 mars 2009 et a obtenu la qualité de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 15 avril 2010. Le 9 novembre 2011, Mme I... C... a déposé pour elle-même et pour quatre de ses enfants, K..., F... B..., J... C... et L... C... une demande de visa auprès de l'ambassade de France au Bangladesh en qualité de membre de la famille de M. A... G.... Cette demande a été rejetée par une décision du 29 février 2012 de l'ambassade de France à Dacca. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé la décision de refus de visas par une décision explicite du 14 juin 2012. Le tribunal administratif de Nantes et la cour administrative d'appel de Nantes ont rejeté les requêtes formées contre ces décisions. Le 24 avril 2017, Mme I... C... et ses enfants, dont les trois aînés sont désormais majeurs, ont déposé de nouvelles demandes de visas, rejetées par l'autorité consulaire le 2 novembre 2017, ainsi que, implicitement, par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Le 25 janvier 2019, M. F... B..., Mme J... C... et Mme I... C..., agissant en son nom et en tant que représentant légal de sa fille mineure, L... C..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler ces décisions. Par un jugement du 5 juin 2019, le tribunal administratif a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle refuse un visa d'entrée et de long séjour à Mme I... C... et a rejeté le surplus des conclusions de leur demande. M. F... B..., Mme J... C... et Mme I... C..., agissant en son nom et en tant que représentant légal de sa fille mineure, L... C..., relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.

Sur les conclusions dirigées contre la décision des autorités consulaires à Dacca du 2 novembre 2017 :

2. Les décisions de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, prises en vertu des dispositions des articles D. 211-5 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, se substituent aux refus initiaux opposés par les autorités consulaires. Par suite, les conclusions, tendant à l'annulation de la décision des autorités consulaires françaises à Dacca du 2 novembre 2017, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :

3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du mémoire en défense du ministre de l'intérieur en première instance, que pour refuser de délivrer le visa de long séjour sollicité pour M. F... B..., Mme J... C... et l'enfant L... C..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motif tirés d'une part, de ce que le lien de filiation avec M. A... G... n'était pas établi par les actes d'état civil produits ainsi que par les éléments de possession d'état, et d'autre part, de ce que M. F... B... était âgé de 21 ans lors du dépôt de la demande de visa, le 24 avril 2017.

4. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 2 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (....) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ; (...) II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables (...) / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...) En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil (...) peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...) ". L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Les requérants produisent, pour la première fois en appel, des pièces attestant de ce que M. F... B..., Mme J... C... et l'enfant L... C... apparaissent dans la base de données du service d'état civil bangladais, sous les numéros d'enregistrement identiques à ceux des actes de naissance délivrés le 27 novembre 2014. Contrairement à ce qu'indique le ministre en défense, les numéros d'enregistrement sont les mêmes dans les actes initiaux délivrés en 2011 que dans ceux délivrés en 2014, l'année de naissance ayant été seulement substituée à l'année d'enregistrement lors de la rectification intervenue en 2014. La circonstance que la naissance des enfants ait été enregistrée aux services de l'état civil Bangladais en 2007, alors qu'ils sont nés entre 1998 et 2003, n'est pas à elle seule de nature à remettre en cause l'authenticité des actes d'état civil produits. Par ailleurs, les actes d'état-civil produits par les requérants sont corroborés tant par les mentions figurant sur les passeports des intéressés que par les déclarations, toujours concordantes faites par M. A... G... dans le cadre de l'examen de sa demande d'asile. Dans ces conditions, en estimant que le lien de filiation de M. F... B..., Mme J... C... et l'enfant L... C... avec M. A... G... n'était pas établi, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

6. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Il n'est pas contesté par le ministre que M. F... B..., qui a effectué les démarches nécessaires pour venir en France à l'âge de 19 ans, est célibataire et vit au Bangladesh, depuis sa naissance, avec ses soeurs, sa mère, et son père, avant que ce dernier n'ait fuit son pays pour rejoindre la France en 2009. Ainsi, et dans les circonstances de l'espèce, la commission de recours contre les décisions de refus de visa a porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale, garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en lui refusant un visa de long séjour.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que M. F... B..., Mme J... C... et Mme I... C..., agissant en son nom et en tant que représentant légal de sa fille mineure, L... C..., sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision de l'autorité consulaire française à Dacca (Bangladesh) en date du 2 novembre 2017 rejetant leurs demandes de visas d'entrée et de long séjour présentées en qualité de membres de famille d'un réfugié statutaire.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur fasse droit à la demande de visas. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités pour M. F... B..., Mme J... C... et L... C..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme globale de 1 200 euros à M. F... B..., Mme J... C... et Mme I... C..., agissant en son nom et en tant que représentant légal de sa fille mineure, L... C..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes n° 1900949 du 5 juin 2019 en tant qu'il a rejeté les conclusions de leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour M. F... B..., Mme J... C... et L... C..., est annulé.

Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour M. F... B..., Mme J... C... et L... C... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à M. F... B..., Mme J... C... et L... C... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. F... B..., Mme J... C... et Mme I... C..., agissant en son nom et en tant que représentant légal de sa fille mineure, L... C... une somme globale de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... B..., à Mme J... C..., à Mme I... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 4 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- Mme H..., présidente-assesseur,

- M. Frank, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 septembre 2020.

Le rapporteur,

A. FrankLe président,

T. CELERIER

Le greffier,

C. POPSE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT03124


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : FRERY

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Date de la décision : 22/09/2020
Date de l'import : 03/10/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19NT03124
Numéro NOR : CETATEXT000042375529 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-09-22;19nt03124 ?
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