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17/07/2020 | FRANCE | N°19NT00810

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 17 juillet 2020, 19NT00810


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

­ le code du travail ;

­ le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

­ le rapport de M. A...,

­ les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

­ et les observations de Me B..., substituant la Selarl Actance, représentant la société Chantelle.

Considérant ce qui suit :

1. La société Chantelle, spécialisée dans la création, la fabrication et la distribution d

e corsetterie et de lingerie féminine, a décidé de fermer son établissement de Lanester le 30 décembre 2016, faisant valoir une ...

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

­ le code du travail ;

­ le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

­ le rapport de M. A...,

­ les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

­ et les observations de Me B..., substituant la Selarl Actance, représentant la société Chantelle.

Considérant ce qui suit :

1. La société Chantelle, spécialisée dans la création, la fabrication et la distribution de corsetterie et de lingerie féminine, a décidé de fermer son établissement de Lanester le 30 décembre 2016, faisant valoir une menace pesant sur sa compétitivité. A la suite de cette décision, la société Chantelle a demandé à l'inspecteur du travail du Morbihan l'autorisation de licencier Mme D..., employée en qualité d'opératrice qualité et exerçant les mandats de déléguée titulaire du personnel, de membre titulaire du comité d'établissement de Lanester et de membre titulaire du comité central d'entreprise de la société Chantelle, pour motif économique. Par une décision du 1er mars 2017, l'inspecteur du travail du Morbihan a accordé à la société Chantelle l'autorisation de procéder au licenciement de Mme D.... Par sa requête, Mme D... relève appel du jugement du 31 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 1er mars 2017.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Contrairement à ce qui est allégué par la requérante, le tribunal en relevant notamment que le marché de la lingerie connaissait une stagnation dans l'ensemble des économies avancées, résultant de la baisse de la consommation due aux arbitrages défavorables des ménages pour l'équipement de la personne et de l'érosion des prix courants dans le cadre d'un développement continu de l'e-commerce, s'est expressément prononcé sur le moyen soulevé en première instance tiré de l'absence de menace sur la sauvegarde de la compétitivité du groupe Chantelle pour justifier le licenciement en cause.

3. Le tribunal, qui par ailleurs a statué au vu de l'ensemble des pièces du dossier, n'était pas tenu de se prononcer expressément sur l'argument soulevé par la requérante en première instance tenant à l'absence de communication par l'employeur des livres d'entrée et de sortie du personnel des autres sites et établissements pour apprécier le caractère loyal et sérieux des propositions de reclassement faites à l'intéressée, dès lors qu'il a estimé que l'ensemble des pièces figurant au dossier suffisait à établir ce caractère.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la réalité du motif économique du licenciement :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : / 1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés. Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à : / a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ; / b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ; / c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ; / d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ; / 2° A des mutations technologiques ; / 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; / 4° A la cessation d'activité de l'entreprise. (...) ".

5. D'autre part, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié.

6. Il ressort des pièces du dossier, notamment des différents rapports économiques et comptables produits, que le marché de la lingerie féminine connaît une stagnation dans l'ensemble des pays dit " a économie avancée ", résultant de la baisse de la consommation due aux arbitrages défavorables des ménages pour l'équipement de la personne et de l'érosion des prix courants, qu'il connaît un développement continu de l'e-commerce, des réseaux internationaux de points de vente, entraînant le déclin du commerce indépendant multimarques et la perte de parts de marché des grands magasins. De plus, s'il est constant que son chiffre d'affaires a progressé de façon constante de 2010 à 2015, il ressort néanmoins des pièces du dossier que le résultat net du groupe Chantelle a connu, dès 2012, une baisse importante, en passant de 10,6 millions d'euros en 2010, à 5,8 millions d'euros en 2012, 6,6 millions d'euros en 2013, 5,1 millions d'euros en 2014, pour être déficitaire de 131 000 euros en 2015 et de 8,4 millions d'euros en 2016. En ce qui concerne l'établissement de Lanester, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que le coût de la main d'oeuvre a connu une forte augmentation en 2015 et, d'autre part, que l'établissement de Lanester représentait 13,1 % des coûts de fonctionnement du groupe, alors qu'il ne représentait que 1,6 % de la production totale du groupe. La requérante ne saurait utilement remettre en cause les décisions de gestion du groupe, notamment l'augmentation de la dotation aux provisions exceptionnelles au cours de l'exercice 2015 pour constater notamment la perte de valeur de droits au bail de boutiques, pour contester l'évolution du chiffre d'affaires. Dans ces conditions, et alors que l'inspecteur du travail a bien apprécié la réalité du motif économique à l'échelle du groupe, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que son licenciement n'est pas justifié par un motif économique et par la nécessaire sauvegarde de la compétitivité du groupe sur le secteur d'activité concerné.

En ce qui concerne l'obligation de reclassement :

7. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction applicable : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. ".

8. Il résulte des dispositions mentionnées au point précédent que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à la recherche des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

9. En premier lieu, il est constant que par un courrier du 21 octobre 2016, Mme D... a indiqué à la société Chantelle qu'elle ne souhaitait pas se voir proposer des offres de reclassement à l'étranger.

10. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme D... s'est vu proposer des postes dans plusieurs entités du groupe : cinq propositions de postes sur le site de Corbie, deux propositions de postes sur le site de Péronne, une proposition de poste sur le site de Villers-Bretonneux. Il n'est ni soutenu ni même allégué que ces postes n'étaient pas compatibles avec l'expérience et le profil de l'intéressée.[HL1] Par ailleurs, dans le cadre des recherches de reclassement interne au sein du groupe sur le territoire national, la société a identifié vingt-neuf postes susceptibles de correspondre à la qualification et aux compétences professionnelles de l'intéressée, dont vingt-et-un postes de vendeuse/conseillère de vente correspondant à son niveau de qualification et huit postes de catégorie inférieure : cinq postes de préparateur de commande, un poste de conducteur de ligne et deux postes de magasinier. La requérante s'est vu proposer ces vingt-neuf postes par courrier du 4 novembre 2016, accompagné d'une fiche de poste précisant la société employeur, la nature du contrat, l'intitulé de l'emploi, la définition des fonctions et les compétences requises, la classification, la convention collective applicable, le lieu d'affectation, la rémunération, l'organisation et les horaires de travail, la date de prise d'effet du changement d'affectation, et le délai de réflexion dont la requérante disposait pour se positionner. Par coupon-réponse daté du 22 novembre 2016, Mme D... a refusé ces propositions de reclassement. La circonstance que les livres d'entrée et de sortie du personnel de tous les sites et établissements du groupe n'aient pas été communiqués est sans incidence sur le caractère loyal et sérieux des offres de reclassement proposées. Enfin, contrairement à ce qui est allégué, aucun élément ne permet d'affirmer qu'il existait un poste de vendeuse disponible au sein de la boutique Darjeeling située à Vannes, alors que la société Chantelle soutient sans être sérieusement contredite que les deux embauches en contrat à durée indéterminée intervenues les 25 juillet et 5 août 2016 ont été réalisées en amont de la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi en remplacement de vendeuses ayant démissionné devant immédiatement être remplacées.

11. En troisième lieu, il n'appartient pas à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, dans le cadre de la procédure du licenciement d'un salarié protégé, de vérifier le respect par l'employeur de ses obligations de reclassement externe. En tout état de cause, les allégations de la requérante selon lesquelles la société en cause se serait livrée à une fraude dans l'application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail ne reposent sur aucun élément.

12. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que la société Chantelle a saisi la commission paritaire de la branche des industries de l'habillement par courriers des 23 juin et 27 octobre 2016. L'union française des industries mode et habillement a répondu à la société en juillet 2016 afin de l'accompagner dans le reclassement externe des salariés impactés par le plan de sauvegarde de l'emploi en lui communiquant les offres d'emplois des entreprises du secteur dont la fédération était informée. Par suite, l'employeur a rempli ses obligations d'origine conventionnelle de saisine préalable de la commission paritaire nationale de l'emploi et la requérante n'est pas fondée à soutenir que la commission paritaire de la branche des industries de l'habillement n'aurait pas été utilement saisie par le groupe, faute d'informations communiquées suffisantes.

13. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 31 décembre 2018, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Chantelle, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme D... au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... la somme demandée par la société Chantelle au titre des mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Chantelle tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D..., à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à la société Chantelle.

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président,

- M. Coiffet, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 17 juillet 2020.

Le rapporteur,

F. A...

Le président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

[HL1]Par ailleurs,

2

N° 19NT00810


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT00810
Date de la décision : 17/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SELARL LAURENT JEFFROY

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-17;19nt00810 ?
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