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03/07/2020 | FRANCE | N°19NT00702

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 03 juillet 2020, 19NT00702


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... H... et Mme B... G..., épouse H..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté leur recours contre la décision de l'ambassade de France à Kigali (Rwanda) du 15 mars 2018, refusant de délivrer un visa de long séjour aux enfants C... I... et A... J....

Par un jugement n° 1806686 du 14 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leu

r demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregist...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... H... et Mme B... G..., épouse H..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté leur recours contre la décision de l'ambassade de France à Kigali (Rwanda) du 15 mars 2018, refusant de délivrer un visa de long séjour aux enfants C... I... et A... J....

Par un jugement n° 1806686 du 14 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 février 2019, 2 avril 2019 et 27 septembre 2019 et 25 mai 2020, M. E... H... et Mme B... G..., épouse H..., représentés par Me D..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 décembre 2018 ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'administration de reprendre l'instruction des demandes, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) de condamner l'Etat à verser à Me D... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal a omis de statuer au vu de l'ensemble des documents produits pour se prononcer sur le lien de filiation entre C... et A... et eux, leurs parents ;

- le lien de filiation entre les enfants C... et A... et eux est établi par les actes produits et par la possession d'état ;

- à défaut pour le ministre de produire a minima le procès-verbal de la séance de la commission au cours de laquelle leur recours a été rejeté, la décision litigieuse est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière ;

- la décision de la commission méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mars 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'il se réfère à ses écritures et pièces jointes produites en première instance.

M. H... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale le 11 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- et les observations de Me D... représentant les requérants.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... H... et son épouse, Mme B... G..., tous deux ressortissants rwandais et bénéficiaires de cartes de résident en qualité de réfugiés politiques, ont demandé la délivrance de visas de long séjour pour les jeunes C... I... et A... J..., qu'ils présentent comme étant leurs premiers enfants nés au Rwanda. Cette demande a été rejetée par une décision de l'ambassade de France à Kigali (Rwanda) du 15 mars 2018.

M. et Mme H... ont demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé à l'encontre de cette décision. Par un jugement du 14 décembre 2018, le tribunal a rejeté leur demande. Ils font appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, s'agissant de l'enfant C..., le jugement attaqué mentionne, à son point 7 relatif aux actes d'état-civil, un passeport. Si son attestation de naissance, son certificat de naissance et son carnet de vaccination ne sont cités ni au point 7, ni au point 10 relatif à la possession d'état, les premiers juges n'avaient pas à citer l'intégralité des pièces produites par M. et Mme H... et pouvaient se borner à mentionner celles dont ils ont estimé la force probante la plus forte. Il en est de même s'agissant de trois attestations relatives à l'enfant A... et de conversations sur l'application " WhatsApp ", alors qu'il est constant qu'il s'agissait d'appels récents, postérieurs à la décision contestée. Dès lors, le jugement attaqué n'est entaché d'aucune irrégularité pour défaut de motivation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, le moyen tiré de ce que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait été adoptée au terme d'une procédure irrégulière, que les requérants reprennent en appel sans apporter de précisions nouvelles.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

6. Ont été produits, pour l'enfant C... I..., un acte de naissance, son attestation de naissance, son certificat de naissance et son carnet de vaccination. Toutefois, cet acte de naissance a été dressé le 1er octobre 2015 et mentionne une naissance au 15 octobre 2015. En outre, cet acte de naissance, dressé également en 2015, est revêtu d'un cachet portant les mentions : " notaire : Jean Pierre Kizito ", alors que les autorités consulaires à Kigali indiquent, par un courriel adressé à la sous-direction des visas le 24 janvier 2018 et sans être ensuite contredites, que ce notaire n'est entré en fonction qu'en mai 2016. Quant à l'attestation de naissance, elle ne mentionne que les noms des parents, sans autre élément, comme les prénoms ou dates de naissance, permettant de les identifier. Le certificat de naissance ne mentionne que les noms et prénoms de la mère sans mentionner l'identité de l'enfant et les mentions relatives aux parents portées sur le carnet de vaccination sont effectuées de manière manuscrite et sont pour certaines illisibles. Cependant, a été produit pour la première fois en appel, un acte de naissance, sollicité par un tiers, dressé par un notaire différent, le 18 avril 2018, indiquant que l'enfant est né le 5 février 2013 et comportant des mentions précises sur l'identité des parents et faisant état d'éléments antérieurs à la décision contestée. De même, le passeport complet de l'enfant, délivré le 11 février 2015, a été produit. Dès lors qu'il est constant que les services d'état civil au Rwanda souffrent d'importants dysfonctionnements, que les requérants ont le statut de réfugié et que le ministre de l'intérieur ne fait pas valoir que cet acte du 18 avril 2018 comporterait des anomalies, la commission n'a pu légalement estimer que le lien de filiation entre l'enfant C... et les requérants n'était pas établi.

7. A été produit, pour l'enfant A... J..., qui est la nièce de Mme G..., un acte d'adoption qui ne comporte ni la date ni le lieu de sa naissance et est revêtu du même cachet afférent au nom du notaire en charge d'authentifier l'acte, entré en fonction en mai 2016, alors qu'il est daté du 1er octobre 2015. En outre, l'article 333 de la loi 42/1988 du 27 octobre 1988 portant titre préliminaire et livre premier du code civil rwandais prévoit que : " L'adoptant doit avoir au moins quinze ans de plus que la personne à adopter. Toutefois, si la personne à adopter est l'enfant de l'un des conjoints, la différence d'âge exigée est de dix ans au moins. Cette différence d'âge peut être réduite pour justes motifs par le Ministre de la Justice. L'adoption peut être demandée conjointement après cinq ans de mariage par les époux non séparés de corps dont l'un au moins, est âgé de plus de trente ans. / L'adoption peut être aussi demandée par toute autre personne âgée de trente-cinq ans. (...) ". Or, à la date de l'adoption de l'enfant A... J..., demandée conjointement le 1er octobre 2015, M. H... et Mme G... n'étaient mariés que depuis le 27 septembre 2012 et ne remplissaient donc pas la condition légale d'une ancienneté de mariage de cinq années, pour être adoptants, alors même qu'ils avaient une différence d'âge de plus de 15 ans avec A.... Ainsi, la commission a pu légalement estimer que l'acte précité n'avait pas de valeur probante.

8. En troisième lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, s'agissant de l'enfant A..., le moyen tiré de l'existence d'une possession d'état, que les requérants reprennent en appel sans apporter de précisions nouvelles. Les attestations de proches, se bornant à faire état d'une adoption d'A... par Mme G... dès sa naissance, ne sauraient suffire à cet égard. Les justificatifs produits en appel n'établissent pas davantage l'existence d'une possession d'état de parents de l'enfant A... à la date de la décision contestée.

9. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les requérants, s'agissant de l'enfant A..., ne sont pas fondés à soutenir que la décision litigieuse serait intervenue en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin, s'agissant de l'enfant C..., d'examiner les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, que M. et Mme H... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande s'agissant du refus de visa de long séjour opposé à l'enfant C... I....

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

11. Il résulte de l'instruction qu'un visa de long séjour a été délivré à l'enfant C... I... le 2 mars 2020 et qu'il est entré en France. Il n'y a plus lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de délivrer à l'intéressé le visa sollicité.

Sur les frais liés au litige :

12. M. H... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat, Me D..., peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me D..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 décembre 2018 et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 13 juillet 2018 sont annulés en tant qu'ils concernent la demande de visa d'C... I....

Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par les requérants s'agissant d'C... I....

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me D... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requérants est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... H... et Mme B... G..., épouse H..., à Me D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 19 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- Mme Buffet, président assesseur,

- Mme F..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 3 juillet 2020.

Le rapporteur,

P. F...

Le président,

T. CELERIER

Le greffier,

C. POPSE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT00702


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : GUERIN

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Date de la décision : 03/07/2020
Date de l'import : 28/07/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19NT00702
Numéro NOR : CETATEXT000042092187 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-03;19nt00702 ?
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