La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/03/2020 | FRANCE | N°18NT00760

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 31 mars 2020, 18NT00760


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge au titre des années 2011, 2012 et 2013.

Par un jugement n°s 1600880,1600882,1600883,1600884 du 20 décembre 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 20 février 2018, 22 mai 201

8, 18 juin 2019 et 16 décembre 2019, M. B... C..., représenté par la SCP Bore, Salve de Bruneton...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge au titre des années 2011, 2012 et 2013.

Par un jugement n°s 1600880,1600882,1600883,1600884 du 20 décembre 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 20 février 2018, 22 mai 2018, 18 juin 2019 et 16 décembre 2019, M. B... C..., représenté par la SCP Bore, Salve de Bruneton et Megret, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer cette décharge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité : les visas du jugement attaqué sont incomplets ; le jugement attaqué n'est signé ni par le président, ni par le rapporteur, ni par le greffier ;

- les sommes ne pouvaient être imposées qu'après leur appréhension ; or l'attribution de ces sommes était toujours incertaine du fait des procédures judiciaires en cours ;

- la quote-part de résultat dont il a bénéficié a été imposée dans la catégorie des bénéfices non commerciaux non professionnels ; il est donc possible de déduire les charges non professionnelles qu'il a engagées pour obtenir ce revenu ; ces charges sont constituées de l'indemnité de 630 000 euros qu'il a été condamné à verser à ses associés et de frais divers (frais d'avocats ou d'avoués, frais d'expert-comptable, frais de matériel...).

- il est fondé à se prévaloir des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ; la proposition de rectification du 21 juillet 2010 ainsi que les décisions de rejet de ses réclamations des 19 février 2013 et 22 mars 2013 constituent une prise de position formelle de l'administration ; dans la proposition de rectification du 21 juillet 2010, l'administration a formellement admis le caractère déductible des frais contentieux engagés par M. C... en tant que charges non professionnelles ; dans les deux courriers des 19 février 2013 et 22 mars 2013, l'administration a par ailleurs formellement admis le caractère déductible des dommages et intérêts ;

- il abandonne le moyen relatif à l'imputation des déficits non commerciaux sur le revenu global.

Par des mémoires, enregistrés les 3 septembre 2018, 16 juillet 2019 et 18 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C... exerçait la profession de notaire au sein de la société civile professionnelle (SCP) C..., Couzigou, Le Cagnec, dont il détenait 20% des droits. M. C... a cessé d'exercer sa profession pour des raisons médicales à compter du 1er février 1997. Par un arrêté du 15 septembre 2003, le ministre de la justice l'a déclaré démissionnaire d'office. M. C... a fait valoir ses droits à la retraite le 16 septembre 2003. M. C... a par la suite contesté la légalité de cet arrêté du 15 septembre 2003. Par une décision du 7 août 2008, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêté pour un motif de légalité externe. Le ministre de la justice a alors pris un nouvel arrêté le 21 octobre 2008, devenu définitif. Par un arrêt du 2 juillet 2014, la Cour de cassation a condamné M. C... à verser à ses associés la somme de 630 000 euros pour s'être abusivement maintenu au sein de la SCP. Puis, par une assemblée générale du 19 mai 2015, la SCP C..., Couzigou, Le Cagnec a constaté la cession forcée des parts de M. C....

2. Dans le même temps, et à partir de l'année 2005, les associés de M. C... ont refusé de lui verser la quote-part de résultat correspondant à ses droits au sein de la société. M. C... a contesté ce refus et, par une décision du 14 octobre 2014, la Cour de cassation a estimé que M. C... avait droit à cette quote-part de résultat, en dépit du fait qu'il n'exerçait plus la profession de notaire et qu'il s'était maintenu abusivement au sein de la société. La SCP C..., Couzigou, Le Cagnec a alors décidé d'attribuer à M. C... sa quote-part de résultat pour les années 2011, 2012 et 2013 et a inscrit ces sommes sur le compte-courant d'associé. La SCP a également souscrit des déclarations rectificatives. L'administration fiscale a alors, par deux propositions de rectification du 10 décembre 2014, décider d'imposer ces sommes à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux non professionnels. Le service a également, à cette occasion, remis en cause les charges déclarées par M. C..., en l'absence d'activité professionnelle effective. Après mise en recouvrement, M. C... a formé deux réclamations préalables qui ont été rejetées le 14 décembre 2015. M. C... a alors demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge au titre des années 2011, 2012 et 2013. M. C... relève appel du jugement du 20 décembre 2017 par lequel ce tribunal a rejeté sa requête.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, si M. C... fait valoir que les visas du jugement sont incomplets, il ne précise pas quelle information serait manquante. Par suite, ce moyen, qui n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'apprécier le bien-fondé, ne peut qu'être écarté.

4. En second lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier soumis à la présente cour que, contrairement à ce que soutient M. C..., la minute du jugement attaqué a été signée conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'expédition du jugement qui lui a été notifiée ne comporterait que la seule mention " signé " pour le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, est sans incidence sur la régularité de ce jugement.

Sur les conclusions à fin de décharge :

En ce qui concerne le principe de l'imposition de la quote-part de résultat :

5. Aux termes de l'article 8 ter du code général des impôts : " Les associés des sociétés civiles professionnelles constituées pour l'exercice en commun de la profession de leurs membres et fonctionnant conformément aux dispositions de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 modifiée sont personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part des bénéfices sociaux qui leur est attribuée même lorsque ces sociétés ont adopté le statut de coopérative. ".

6. Un associé d'une société civile professionnelle mentionnée à l'article 8 ter du code général des impôts ne saurait utilement se prévaloir, pour échapper à l'impôt sur le revenu sur la part des bénéfices sociaux correspondant à ses droits dans la société, de ce qu'il n'aurait pas en réalité personnellement " appréhendé " ces bénéfices. Il suit de là que c'est à bon droit que l'administration fiscale a décidé d'imposer à l'impôt sur le revenu la quote-part de résultat attribuée à M. C... par la SCP C..., Couzigou, Le Cagnec pour les années 2011, 2012 et 2013.

En ce qui concerne la déductibilité des charges supportées par M. C... :

7. L'article 13 du code général des impôts prévoit que : " 1. Le bénéfice ou revenu imposable est constitué par l'excédent du produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en nature, sur les dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu. / (...) 3. Le bénéfice ou revenu net de chacune des catégories de revenus (...) est déterminé distinctement suivant les règles propres à chacune d'elles (...) ". Aux termes de l'article 92 du même code : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. ".

8. Pour l'application de ces dispositions, le critère de déductibilité prévu à l'article 13 du code général des impôts peut être appliqué à titre subsidiaire aux différentes catégories de revenus s'il n'est pas contraire aux critères de déductibilité prévus par les textes propres à chacune de ces catégories. D'une part, l'article 92 de ce code ne prévoyant aucun critère de déductibilité, il suit de là que des dépenses effectuées en vue de l'acquisition ou de la conservation de ce revenu non commercial non professionnel peuvent venir en déduction de ce revenu. D'autre part, dans le cas de sources de profits prévues par l'article 92 comme dans le cas des bénéfices non commerciaux professionnels définis à l'article 93 du même code, le bénéfice imposable est le profit brut retiré de l'opération, duquel sont retranchés, s'il y a lieu, les frais et charges de toute nature qu'a entraînés pour le contribuable la réalisation de cette opération.

9. En l'espèce, ainsi qu'il a été rappelé au point 1, M. C... a cessé d'exercer son activité de notaire en 2003. La quote-part de bénéfice qui lui a été attribuée pour les années 2011 à 2013 ne résulte donc pas de l'activité de notaire proprement dite, mais du maintien abusif de M. C... au sein de la SCP C..., Couzigou, Le Cagnec. Dans ces conditions, ce revenu ne constitue pas un bénéfice non commercial professionnel relevant de l'article 93 du code général des impôts, mais une source de profits non professionnelle assimilée à des bénéfices non commerciaux en vertu du 1 de l'article 92 du même code.

10. Pour percevoir ce revenu, M. C... a engagé des frais de procédure qui lui ont permis d'obtenir la reconnaissance, par les juridictions civiles, du droit à sa quote-part de bénéfice. M. C... a également dû, en contrepartie de son maintien abusif au sein de la SCP C..., Couzigou, Le Cagnec, verser des dommages-intérêts à ses anciens associés, ainsi qu'il a été rappelé au point 1. M. C... a aussi dû aussi engager des frais de procédure afin de limiter le montant de ces dommages-intérêts. L'ensemble de ces dépenses a permis à M. C... d'acquérir et de conserver le revenu que lui a procuré ce maintien abusif. Ces dépenses présentent donc le caractère de charges déductibles.

11. S'agissant des frais de procédure, M. C... a produit des factures qui permettent de justifier de la réalité de ces dépenses pour des montants qui s'élèvent à 59 732,31 euros pour l'année 2011, 70 438,90 euros pour l'année 2012 et 18 086,60 euros pour l'année 2013. S'agissant des dommages-intérêts que M. C... a été condamné à verser à ses anciens associés, la cour d'appel de Rennes a, dans son arrêt du 18 décembre 2012, fixé ce montant à 630 000 euros. Dès lors, M. C... est fondé à solliciter la déduction de ces charges à hauteur de ces montants.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a refusé de prononcer la réduction, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires mises à sa charge résultant de la prise en compte des charges liées aux frais de procédure engagés et de la condamnation au versement des dommages-intérêts à ses anciens associés pour les montants mentionnés à l'article 12.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à M. C... une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Les bases d'imposition à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux non professionnels et aux contributions sociales de M. C... au titre des années 2011 à 2013 sont réduites des montants de 59 732,31 euros pour l'année 2011, 70 438,90 euros pour l'année 2012 et 18 086,60 euros pour l'année 2013.

Article 2 : M. C... est déchargé, en droits et pénalités, de la différence entre les cotisations supplémentaires d'impôts sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 à 2013 et celles qui résultent de l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 20 décembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Bataille, président de chambre,

- M. Geffray, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 31 mars 2020.

Le rapporteur,

H. A...Le président,

F. Bataille

Le greffier,

A. Rivoal

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT00760


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : M. BATAILLE
Rapporteur ?: M. Harold BRASNU
Rapporteur public ?: Mme CHOLLET
Avocat(s) : SCP BORE SALVE DE BRUNETON MEGRET

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Date de la décision : 31/03/2020
Date de l'import : 18/04/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18NT00760
Numéro NOR : CETATEXT000041778630 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-03-31;18nt00760 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award