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13/02/2020 | FRANCE | N°18NT04354

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 13 février 2020, 18NT04354


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société OHM a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision de résiliation du 30 décembre 2016 de la convention " portant occupation du domaine public pour la gestion et l'exploitation du service de téléphonie, télévision et multimédia " prise par le directeur général du centre hospitalier de Lisieux et de mettre à la charge de ce centre hospitalier les sommes de 960 760 euros au titre de la réparation des préjudices subis et de 29 637 euros au titre des surinvestissements effec

tués.

Par un jugement n° 1700358 du 11 octobre 2018, le tribunal administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société OHM a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision de résiliation du 30 décembre 2016 de la convention " portant occupation du domaine public pour la gestion et l'exploitation du service de téléphonie, télévision et multimédia " prise par le directeur général du centre hospitalier de Lisieux et de mettre à la charge de ce centre hospitalier les sommes de 960 760 euros au titre de la réparation des préjudices subis et de 29 637 euros au titre des surinvestissements effectués.

Par un jugement n° 1700358 du 11 octobre 2018, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 décembre 2018 et le 7 novembre 2019, la société OHM puis Me B..., de la société Mandataires Judiciaires Associés, ès qualités de mandataire liquidateur de la société OHM, représentés par Mes E... et Tabouis, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 octobre 2018 du tribunal administratif de Caen ;

2°) de condamner le centre hospitalier Robert Bisson de Lisieux à verser les sommes de 671 725 euros TTC au titre de la valeur nette des biens de retour, 930 760 euros HT au titre des pertes d'exploitation et 675 000 euros HT au titre de son manque à gagner suite à la résiliation, par le centre hospitalier de la convention portant occupation du domaine public pour la gestion et l'exploitation du service de téléphonie, télévision et multimédia ;

3°) subsidiairement, de désigner un expert afin, d'une part, d'évaluer la valeur nette comptable au 1er mai 2017 des biens de retour remis par la société OHM au centre hospitalier, les pertes d'exploitation subies par la société, en particulier du fait du refus de déployer des téléviseurs dans le service de long séjour, ainsi que le bénéfice net escompté par la société OHM du fait de l'exécution de la convention et, d'autre part, d'exercer une médiation entre les parties si faire se peut ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lisieux les entiers dépens ;

5°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lisieux la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier : le tribunal n'a pas exercé sa mission juridictionnelle en n'ordonnant pas une mesure d'expertise ;

- la société devra être indemnisée dès lors que la décision de résiliation de la convention est sans fondement, qu'elle a justifié du montant de la valeur nette comptable des biens de retour, de ses pertes d'exploitation et du gain manqué ;

- subsidiairement, une mesure d'expertise permettrait en tout état de cause d'arrêter le montant de la valeur nette comptable des biens de retour et des autres préjudices subis.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 septembre et 13 novembre 2019, le centre hospitalier de Lisieux, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de la société OHM une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est régulier ;

- les moyens soulevés par la société OHM et la société MJA ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 14 octobre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 13 novembre 2019.

Un mémoire, présenté pour la société Mandataires Judiciaires Associés par Mes E... et Tabouis, a été enregistré le 10 janvier 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant la société Mandataires Judiciaires Associés, et de Me C..., représentant le centre hospitalier de Lisieux.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à concurrence publié le 9 avril 2010, le centre hospitalier Robert Bisson de Lisieux a engagé une mise en concurrence, dans le cadre de la passation d'une convention portant sur l'exploitation et la gestion du service de télévision - multimédia ainsi que sur la gestion du service de téléphonie destinés aux malades hospitalisés. Ce contrat, d'une durée de douze ans, prenant effet le 1er octobre 2010, a été attribué à la société Orion Holding devenue Orion Holding Muratyan (OHM). Pour dissocier les comptes d'exploitation de ce contrat multimédia au sein du groupe qu'elle gère, la société OHM a créé une filiale d'exploitation dénommée Lisieux Exploitation. De nombreuses difficultés ont surgi entre les deux parties au cours de l'exécution de ce contrat. Par un courrier du 6 mars 2015, la société OHM a adressé une mise en demeure au centre hospitalier, afin qu'il soit procédé à la signature de deux avenants ou, dans le cas contraire, à la résiliation du contrat initial pour motif d'intérêt général, avec toutes les conséquences indemnitaires de droit à son profit. Puis, le 1er décembre 2016, le centre hospitalier a mis en demeure la société requérante de régler plusieurs dysfonctionnements et a prononcé, le 30 décembre 2016, la résiliation pour faute de la convention précitée. La société OHM a alors demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 30 décembre 2016 prise par le centre hospitalier Robert Bisson de Lisieux portant résiliation de la convention pour la gestion et l'exploitation du service de téléphonie, télévision et multimédia et de mettre à la charge du centre hospitalier les sommes de 960 760 euros au titre de la réparation des préjudices subis et de 29 637 euros au titre des surinvestissements effectués. Par un jugement n° 1700358 du 11 octobre 2018 le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande. La société OHM, à laquelle s'est substituée la société Mandataires Judiciaire Associés, en la personne de Me B..., agissant en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société OHM, relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le jugement du tribunal administratif de Caen rejette les conclusions indemnitaires présentées par la société OHM notamment au titre de son préjudice né du retour anticipé à titre gratuit de biens non totalement amortis dans le patrimoine du centre hospitalier de Lisieux. Ce rejet est motivé par le fait que la société ne justifie pas de la valeur nette comptable des biens de retour susceptibles de lui ouvrir droit à indemnisation faute, d'une part, de production préalable d'un inventaire précis de ces biens et, d'autre part, d'éléments suffisants relatifs aux règles d'amortissement applicables à ces biens. Ce faisant, alors même qu'il admet la réalité de biens de retour, le tribunal a entendu dénier que serait justifiée l'existence d'une valeur nette comptable indemnisable de ces biens et juger que le principe même d'un droit à une indemnisation n'était pas établi, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner l'expertise sollicitée. La requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que le jugement attaqué aurait admis la réalité du préjudice puis refusé de l'indemniser faute de justification de son étendue et que le tribunal aurait ainsi méconnu son office et entaché ce jugement d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la validité de la résiliation pour faute :

3. Par un courrier du 30 décembre 2016, précédé d'une lettre de mise en demeure du 1er décembre 2016, le directeur général du centre hospitalier de Lisieux a résilié pour faute, avec effet au 1er mai 2017, le contrat par lequel le centre hospitalier a confié à la société OHM la gestion d'un service public portant sur l'ensemble de la communication extérieure des patients de l'établissement. La société requérante reprend en appel, sans aucune précision complémentaire, sa contestation des fautes justifiant cette résiliation et se borne à affirmer que celle-ci ne pouvait intervenir que pour un motif d'intérêt général. Ce faisant, elle ne met pas la cour à même d'apprécier en quoi les premiers juges se seraient mépris en admettant, aux points 3 à 9 du jugement attaqué, la validité de la résiliation pour faute prononcée par la décision du 30 décembre 2016.

4. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que les manquements de la société OHM étaient multiples et suffisamment graves pour justifier la résiliation pour faute. Ainsi, dans une lettre du 26 avril 2011 au directeur général de la société Orion, le directeur adjoint du centre hospitalier chargé du pôle logistique et technique s'étonne de ce que six mois après le début de la convention celle-ci n'a pas connu " un début d'exécution visible ", déplore " les atermoiements multiples qu'a connus la mise en oeuvre de cette convention " et souligne diverses défaillances, telles que, notamment, le retard du basculement d'autocommutateurs téléphoniques, la circonstance que les services techniques de l'établissement ont dû prendre en charge des réparations de téléphones qui incombaient en principe à l'entreprise ou la récupération par des salariés et sous-traitants de la société d'un circuit électrique sécurisé qui alimente le bloc opératoire et sur lequel il n'était pas envisageable d'alourdir la charge de fonctionnement. De même, un courrier du 14 juin 2013 énumère une longue liste de pannes et dysfonctionnements et le 16 octobre suivant un autre courrier adresse à la société Orion une liste des points non respectés du contrat. Il ressort du compte-rendu d'une réunion intervenue le 3 octobre 2013 que les représentants de la société Orion elle-même reconnaissaient alors leurs manquements. Enfin, la requérante ne nie pas sérieusement les obligations contractuelles méconnues par elle dont la décision de résiliation contestée reprend l'énumération.

En ce qui concerne les droits à indemnisation de la société OHM :

S'agissant de l'indemnisation des biens de retour :

5. Lorsque la personne publique résilie la convention avant son terme normal, le délégataire est fondé à demander l'indemnisation du préjudice qu'il subit à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique dès lors qu'ils n'ont pu être totalement amortis. Lorsque l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Si, en présence d'une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus.

6. Au cas d'espèce, le contrat liant le centre hospitalier de Lisieux à la société OHM ne comporte aucune clause relative à l'indemnisation de la part non amortie des biens de retour en cas de rupture anticipée pour faute à l'initiative du centre hospitalier. Seul l'article 1.11 de ce contrat stipule que " En cas de fin anticipée du contrat administratif, les biens de retour seront remis gratuitement au centre hospitalier dès lors qu'ils seront comptablement totalement amortis. Ils seraient à défaut, cédés pour leur valeur comptable. (...) ".

7. Il résulte de l'instruction qu'à la date de la rupture du contrat, intervenue près de six ans avant son terme prévu, des biens tels que notamment des télévisions ou des matériels informatiques, en principe indispensables au fonctionnement du service public, ont été intégrés dans le patrimoine du centre hospitalier. Si la société OHM soutient qu'elle doit être indemnisée en conséquence, elle ne produit toutefois aucun élément de nature à établir précisément la liste des immobilisations qui auraient effectivement la qualité de biens de retour et n'auraient pas été amortis, les modalités de leur amortissement et leur valeur nette comptable, à la date d'effet de la résiliation, inscrite dans les comptes de la société requérante qui en revendique l'indemnisation. La société OHM se borne ainsi à présenter une attestation du 10 juillet 2017 d'un commissaire aux comptes qui retient, après vérification de la concordance entre des informations fournies par la société elle-même sur les investissements effectués, la comptabilité de l'entreprise et le contrat en cause, qu'il n'a " pas d'observation à formuler sur les informations figurant dans le document " fourni par la société OHM faisant état d'une valeur nette comptable globale au 31 mars 2017 de 626 569 euros TTC des investissements non amortis. L'attestation produite de l'expert-comptable de la société, en date du 8 février 2017, se limite pour sa part à indiquer que " la valeur nette comptable calculée suivant la durée de la convention s'élève à 559 771 euros HT, soit 671 725 euros TTC ". Par ailleurs, il résulte notamment du rapport établi par la société Mandataires Judiciaires Associés, désigné comme liquidateur judiciaire de la société OHM, en date du 29 août 2018, que la comptabilité de la société est incomplète. Dans ces conditions, il n'apparaît pas que la société OHM justifie de la réalité et du montant du préjudice allégué, sans qu'il y ait lieu de procéder à l'expertise sollicitée.

S'agissant des autres préjudices invoqués :

8. D'une part, si la société OHM soutient qu'elle a droit à une indemnisation au titre de ses pertes d'exploitation en raison d'un refus de l'établissement du déploiement de 200 postes de télévision dans le service de long séjour, un éventuel préjudice à ce titre serait sans lien avec le présent litige né de sa contestation de la résiliation ultérieure pour faute de la convention. D'autre part, la société OHM ne peut prétendre à l'indemnisation du gain manqué, évalué par elle à 675 000 euros, dès lors qu'elle n'établit aucunement que la résiliation pour faute serait injustifiée.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Me B... et la société Mandataires Judiciaires Associés, venus aux droits de la société OHM placée en liquidation judiciaire, ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de la société OHM.

Sur les frais d'instance :

10. Il n'apparait pas inéquitable, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge de chacune des parties les frais d'instance qu'elles ont exposés.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société OHM, reprise par Me B... ès qualités de mandataire liquidateur, est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Lisieux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société OHM, à Me B..., de la société Mandataires Judiciaire Associés, et au centre hospitalier Robert Bisson de Lisieux.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- M. A..., président assesseur,

- Mme F..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 13 février 2020.

Le rapporteur,

C. A...

Le président,

L. Lainé

La greffière,

M. D...

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT04354


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT04354
Date de la décision : 13/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : AARPI SCHMITT AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-02-13;18nt04354 ?
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