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24/06/2019 | FRANCE | N°19NT00009

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 24 juin 2019, 19NT00009


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2018 par lequel le préfet du Calvados a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Par un jugement n° 1801720 du 24 juillet 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 janvier 2019, Mme

A..., représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2018 par lequel le préfet du Calvados a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Par un jugement n° 1801720 du 24 juillet 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 janvier 2019, Mme A..., représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Caen du 24 juillet 2018 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 20 juillet 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 700 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- l'arrêté contesté portant transfert a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 et 4 de la directive dite " Procédures " ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle et plus particulièrement du risque d'atteinte à son droit d'asile en cas de transfert en Italie ;

- aucune garantie n'entoure son transfert vers l'Italie, qui n'a pas donné son accord exprès quant à son transfert ;

- il existe un risque de traitement dégradant et inhumain au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de transfert en Italie et la décision contestée est contraire aux dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2019, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées le 19 février 2019, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office suivant : non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert en raison de l'expiration du délai de six mois prévu au 1 de l'article 29 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il ne ressort des pièces du dossier ni que ce délai aurait été prolongé dans les conditions prévues au 2 du même article, ni que cet arrêté aurait reçu exécution pendant sa période de validité.

Par un mémoire enregistré le 21 mai 2019 le préfet du Calvados indique que MmeA..., qui n'a pas respecté ses convocations pour le renouvellement de son assignation à résidence, a été déclarée en fuite le 27 novembre 2018, de sorte que le non-lieu ne peut être prononcé sur les conclusions dirigées contre l'arrêté de transfert pris à son encontre, dont la validité est prolongée jusqu'au 20 janvier 2020.

MmeA..., représentée par MeC..., a produit un mémoire enregistré le 4 juin 2019, après la clôture automatique prévue à l'article R. 613-2 du code de justice administrative.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 décembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dite " Procédures " ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;

- le décret n° 2015-1166 pris pour l'application de la loi n° 2015-925 susvisée ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Gélard a été entendu au cours de l'audience publique.

Une note en délibéré, présentée pour MmeA..., a été enregistrée le 12 juin 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissant nigériane, relève appel du jugement du 24 juillet 2018 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 juillet 2018 par lequel le préfet du Calvados a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre l'arrêté de transfert :

2. En premier lieu, si Mme A...soutient, pour la première fois en appel, avoir subi des violences sexuelles en Italie, elle n'établit pas en avoir informé les services de l'Etat. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Calvados n'aurait pas procédé à un examen complet et rigoureux de sa situation et des conséquences de sa réadmission en Italie au regard des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen de sa situation manque en fait et ne peut qu'être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

4. Il ressort des pièces du dossier que le 3 avril 2018, MmeA..., qui ne peut utilement se prévaloir de l'article 4 de la directive n° 2013/32/UE dite " Procédures " qui a été transposée en droit interne par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile et par le décret n° 2015-1166 pris pour l'application de cette loi, a bénéficié, par l'intermédiaire d'un interprète, d'un entretien individuel en langue anglaise. Aucun élément du dossier n'établit que cet entretien, qui a été assuré par un agent habilité de la préfecture, n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité. Dès lors, le moyen tiré de la violation de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, dont se prévaut l'intéressée, ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 22 du règlement du 26 juin 2013 susvisé, relatif à la réponse à une requête aux fins de prise en charge : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête (...) ; 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 (...) équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".

6. Il n'est pas contesté, qu'après avoir constaté que Mme A...était entrée en France irrégulièrement, le préfet du Calvados a saisi, le 9 avril 2018, les autorités italiennes, d'une demande de reprise en charge en application des dispositions du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement susvisé du 26 juin 2013. A défaut de réponse de celles-ci dans le délai de deux mois prévu par les dispositions précitées de l'article 22 du règlement du 26 juin 2013, un accord tacite est intervenu, le 25 avril 2018. Cet accord explicite offre les mêmes droits à l'intéressée qu'un accord exprès. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'aucune garantie n'entourerait son transfert vers l'Italie à raison de ce motif.

7. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable.". (...) 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, selon l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Enfin, la mise en oeuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif " ainsi qu'à la lumière des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales selon lequel : " Nul ne peut être soumis à la torture ni a des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

8. Il résulte de la combinaison de l'ensemble de ces textes que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe, dans le 1° de son article 3, qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au 1° de l'article 17 du règlement, laquelle procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre, notamment lorsqu'il estime que les conditions prévues par le 2° de l'article 3 du règlement sont remplies.

9. Mme A...se prévaut pour la première fois devant la cour d'un certificat médical établi le 24 août 2018 par un médecin généraliste se bornant à indiquer que l'intéressée " présente des troubles psychologiques séquellaires de sévices corporels [ subis] selon ses dires en Italie (...) entraînant un stress quotidien, angoisse, troubles du sommeil (...) et que son état de santé nécessite qu'elle puisse être dans un endroit calme, sans stress et qu'un éventuel transfert en Italie représenterait un risque sur sa santé physique et morale ". Ce document, qui n'est assorti d'aucune prescription médicamenteuse, ne suffit toutefois pas à établir que la demande d'asile de l'intéressée serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que l'intéressée, qui soutient pour la première fois en appel avoir été victime d'un réseau de prostitution en Italie, sans apporter aucune pièce à l'appui de ses allégations serait personnellement exposée à des risques de traitements inhumains ou dégradants dans ce pays, membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté portant transfert de l'intéressée aurait été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 manque en fait et ne peut qu'être écarté.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre l'arrêté portant assignation à résidence :

10. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en assignant à résidence de MmeA..., le préfet du Calvados n'aurait pas procédé à un examen complet de sa situation personnelle.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a rejeté les conclusions de sa demande.

Sur le surplus des conclusions :

12. Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par Mme A...et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de ses conclusions principales.

DECIDE :

Article 1er : La requête présentée par Mme A...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A...et au ministre de l'intérieur. Une copie sera transmise au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2019 à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- M. Pons, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 juin 2019.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT00009


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : PERROT

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 24/06/2019
Date de l'import : 02/07/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19NT00009
Numéro NOR : CETATEXT000038678988 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-06-24;19nt00009 ?
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