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24/06/2019 | FRANCE | N°17NT03638

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 24 juin 2019, 17NT03638


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...A...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite du président de la communauté d'agglomération de Caen la Mer rejetant sa demande du 3 mai 2016 tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée (CDI) et à la reconstitution de sa carrière.

Par un jugement n° 1601441 du 5 octobre 2017, le tribunal administratif de Caen a annulé cette décision, a enjoint au président de la communauté urbaine de C

aen la Mer de requalifier son contrat en CDI à partir du 1er avril 2016 et de reconstitue...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...A...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite du président de la communauté d'agglomération de Caen la Mer rejetant sa demande du 3 mai 2016 tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée (CDI) et à la reconstitution de sa carrière.

Par un jugement n° 1601441 du 5 octobre 2017, le tribunal administratif de Caen a annulé cette décision, a enjoint au président de la communauté urbaine de Caen la Mer de requalifier son contrat en CDI à partir du 1er avril 2016 et de reconstituer sa carrière et a mis la somme de 1 500 euros à la charge de la communauté urbaine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 décembre 2017 et 20 juillet 2018, la communauté urbaine de Caen la Mer, représentée par MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 5 octobre 2017 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A...devant le tribunal administratif de Caen ;

3°) de mettre à la charge de Mme A...le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le renouvellement des contrats de travail de Mme A...ne présente aucun caractère abusif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2018, Mme C...A..., représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 200 euros soit mise à la charge de la communauté urbaine de Caen la Mer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle s'en remet à ses écritures de première instance et soutient qu'eu égard à ses faibles revenus il serait inéquitable de mettre une somme à sa charge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 1999/70/CE du Conseil de l'Union européenne du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

- la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant la communauté d'agglomération de Caen la Mer.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C...A...a été recrutée comme agent contractuel à compter du 22 novembre 2007 par la communauté d'agglomération de Caen la Mer pour exercer les fonctions de maître-nageur sauveteur. Son contrat de travail a été renouvelé à de très nombreuses reprises. Le 3 mai 2016, l'intéressée a demandé à la communauté d'agglomération de requalifier son contrat en contrat à durée indéterminée (CDI). Le 15 juillet 2016, Mme A...a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite du président de la communauté d'agglomération de Caen la Mer rejetant sa demande. Par un jugement du 5 octobre 2017, le tribunal administratif de Caen a annulé cette décision, a enjoint au président de la communauté d'agglomération de Caen la Mer, devenue la communauté urbaine de Caen la Mer, de requalifier le contrat de travail de Mme A...en CDI à partir du 1er avril 2016 et de reconstituer sa carrière et a mis la somme de 1 500 euros à la charge de la communauté urbaine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La communauté urbaine de Caen la Mer relève appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article 1er de la directive 1999/70/CE du Conseil de l'Union Européenne du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée : " La présente directive vise à mettre en oeuvre l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée, figurant en annexe, conclu le 18 mars 1999 entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP) ". Aux termes de l'article 2 de cette directive : " Les Etats membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 10 juillet 2001 ou s'assurent, au plus tard à cette date, que les partenaires sociaux ont mis en place les dispositions nécessaires par voie d'accord, les Etats membres devant prendre toute disposition nécessaire leur permettant d'être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive. Ils en informent immédiatement la Commission. (...) ". Aux termes des stipulations de la clause 5 de l'accord-cadre annexé à la directive, relative aux mesures visant à prévenir l'utilisation abusive des contrats à durée déterminée : " 1. Afin de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les Etats membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n'existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d'une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l'une ou plusieurs des mesures suivantes : a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ; b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ; c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail. 2. Les Etats membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c'est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée : a) sont considérés comme "successifs" ; b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée ".

3. Il résulte des dispositions de cette directive, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, qu'elles imposent aux Etats membres d'introduire de façon effective et contraignante dans leur ordre juridique interne, s'il ne le prévoit pas déjà, l'une au moins des mesures énoncées aux a) à c) du paragraphe 1 de la clause 5, afin d'éviter qu'un employeur ne recoure de façon abusive au renouvellement de contrats à durée déterminée. Lorsque l'Etat membre décide de prévenir les renouvellements abusifs en recourant uniquement aux raisons objectives prévues au a), ces raisons doivent tenir à des circonstances précises et concrètes de nature à justifier l'utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs. Il ressort également de l'interprétation de la directive retenue par la Cour de justice de l'Union européenne que le renouvellement de contrats à durée déterminée afin de pourvoir au remplacement temporaire d'agents indisponibles répond, en principe, à une raison objective au sens de la clause citée ci-dessus, y compris lorsque l'employeur est conduit à procéder à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, alors même que les besoins en personnel de remplacement pourraient être couverts par le recrutement d'agents sous contrats à durée indéterminée. Dès lors que l'ordre juridique interne d'un Etat membre comporte, dans le secteur considéré, d'autres mesures effectives pour éviter et, le cas échéant, sanctionner l'utilisation abusive de contrats de travail à durée déterminée successifs au sens du point 1 de la clause 5 de l'accord, la directive ne fait pas obstacle à l'application d'une règle de droit national interdisant, pour certains agents publics, de transformer en un contrat de travail à durée indéterminée une succession de contrats de travail à durée déterminée qui, ayant eu pour objet de couvrir des besoins permanents et durables de l'employeur, doivent être regardés comme abusifs.

4. Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans ses différentes rédactions applicables depuis 2007, que les collectivités territoriales de plus de 2000 habitants ne peuvent recruter par contrat à durée déterminée des agents non titulaires qu'en vue notamment d'assurer des remplacements momentanés ou d'effectuer des tâches à caractère temporaire ou saisonnier. Si ces dispositions se réfèrent ainsi à des " raisons objectives ", de la nature de celles auxquelles la directive précitée du 28 juin 1999 renvoie, elles ne font cependant pas obstacle à ce qu'en cas de renouvellement abusif de contrats à durée déterminée, l'agent concerné puisse se voir reconnaître un droit à l'indemnisation de ses préjudices.

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A...a été employée en qualité d'agent contractuel par la communauté d'agglomération de Caen la Mer sans discontinuité entre le 22 novembre 2007 et le 30 juin 2016 à l'exception de la période du 6 novembre 2011 au 1er avril 2012. Si les 58 contrats produits par l'intéressée se fondent tant sur la nécessité de répondre à un besoin ponctuel, saisonnier ou occasionnel, que sur celle d'assurer le remplacement d'un agent en congé maladie, indisponible ou suspendu, il est constant que l'intéressée a été recrutée durant toutes ces années pour exercer les mêmes fonctions de maître nageur sauveteur. Ainsi, eu égard à la nature de son activité, à la durée cumulée de l'ensemble de ses contrats, les premiers juges ont pu estimer à bon droit que la communauté d'agglomération avait eu recours de manière abusive à la conclusion de contrats de travail à durée déterminée. Cependant, si Mme A...pourrait à ce titre prétendre à une indemnisation en réparation des préjudices subis en raison de la précarité de sa situation, les premiers juges ne pouvaient annuler, pour ce seul motif et sans vérifier si la condition de durée de services publics effectifs prévue par l'article 21 de la loi du 12 mars 2012 visée plus haut, la décision contestée refusant de transformer son contrat de travail en CDI. Par suite, la communauté d'agglomération de Caen la Mer est fondée à soutenir que le jugement qu'elle critique est entaché d'erreur de droit.

6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A...tant devant le tribunal administratif de Caen que devant la cour.

7. En premier lieu, aux termes de l'article 21 de la loi du 12 mars 2012 susvisée : " A la date de publication de la présente loi, la transformation de son contrat en contrat à durée indéterminée est obligatoirement proposée à l'agent contractuel, employé par une collectivité territoriale ou un des établissements publics mentionnés à l'article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée conformément à l'article 3 de la même loi, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de la présente loi, qui se trouve en fonction ou bénéficie d'un congé prévu par le décret pris en application de l'article 136 de ladite loi. / Le droit défini au premier alinéa du présent article est subordonné à une durée de services publics effectifs, accomplis auprès de la même collectivité ou du même établissement public, au moins égale à six années au cours des huit années précédant la publication de la présente loi. (...) ".

8. Mme A...soutient que les contrats dont elle a bénéficié sont lacunaires et imprécis. Cette circonstance, à la supposer établie, est toutefois sans incidence sur la légalité de la décision litigieuse dès lors qu'il n'est pas contesté que l'intéressée, qui n'était pas employée par la communauté d'agglomération au 31 mars 2012 et ne justifiait pas davantage à cette date de six années de services effectifs au sein de cette collectivité, ne remplissait pas les conditions prévues à l'article 21 de la loi du 12 mars 2012 pour bénéficier d'un CDI. Par suite, Mme A...qui, selon le courrier du 27 juin 2017 produit par la communauté urbaine, s'est finalement vue proposer sa titularisation, n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de ses contrats à l'appui de ses conclusions dirigées contre le refus de transformer son contrat en CDI.

9. En deuxième lieu, si Mme A...soutient qu'elle présente tous les gages de compétence professionnelle nécessaires à son recrutement en CDI et que cette situation a eu des conséquences très graves sur sa carrière, sa situation financière, sa santé et celle de sa famille, ces éléments ne sont toutefois pas de nature à établir qu'en refusant de transformer son contrat en CDI, le président de la communauté d'agglomération de Caen la Mer aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

10. En dernier lieu, Mme A...n'établit pas que la décision litigieuse serait entachée d'un détournement de pouvoir.

11. Il résulte de ce qui précède que la communauté urbaine de Caen La Mer est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision implicite par laquelle son président a rejeté la demande présentée le 3 mai 2016 par Mme A...tendant à la transformation de son contrat de travail en CDI et lui a enjoint de requalifier son contrat ayant pris effet à compter du 1er avril 2016 en CDI.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la communauté urbaine de Caen la Mer, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme A... de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme A...le versement à la communauté urbaine de Caen la Mer d'une somme au titre des mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 5 octobre 2017 est annulé.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Caen par Mme A...ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté urbaine de Caen la Mer et à Mme C...A....

Délibéré après l'audience du 7 juin 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- M. Pons, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 juin 2019.

Le rapporteur,

V. GELARD

Le président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT03638


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT03638
Date de la décision : 24/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : BOUTHORS-NEVEU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-06-24;17nt03638 ?
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