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19/03/2019 | FRANCE | N°17NT01956

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 19 mars 2019, 17NT01956


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 59 584 euros, à parfaire, assortie des intérêts au taux légal en réparation du préjudice résultant du refus de lui accorder un allègement de service pour compenser son handicap au titre des années scolaires 2011/2012 à 2015/2016.

Par un jugement n° 1601843 du 28 avril 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et d

es mémoires enregistrés les 28 juin 2017, 23 juillet 2018 et 22 février 2019, M. C..., représent...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 59 584 euros, à parfaire, assortie des intérêts au taux légal en réparation du préjudice résultant du refus de lui accorder un allègement de service pour compenser son handicap au titre des années scolaires 2011/2012 à 2015/2016.

Par un jugement n° 1601843 du 28 avril 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 28 juin 2017, 23 juillet 2018 et 22 février 2019, M. C..., représenté par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 avril 2017 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 59 584 euros à parfaire, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il ne vise et n'analyse pas l'ensemble des écritures des parties ;

- il n'a jamais prétendu qu'un allègement de service constituait un droit mais a contesté le fait que le rectorat ne justifiait pas de raisons légitimes pour le lui refuser ;

- l'absence de toute explication légitime est constitutif d'une faute, d'autant qu'aucun aménagement de poste n'a été pris à l'initiative de l'administration ;

- les principes fondamentaux de non-discrimination et de compensation du handicap, transposés notamment aux articles R. 911-12 et suivants du code de l'éducation, ont systématiquement été méconnus par le rectorat qui a refusé les allégements de service demandés sans justifier du caractère inapproprié de ces mesures au regard de son état de santé ou des nécessités du service ;

- l'administration s'est bornée à suivre les conclusions du médecin conseiller adjoint du rectorat et s'est fondée sur un motif illégal pour refuser de lui accorder un aménagement de service alors que sa situation entrait dans le champ d'application du décret du 27 avril 2007 repris aux articles R. 911-12 et suivants du code de l'éducation ;

- son préjudice financier s'élève à 31 684 euros au titre de la perte de rémunération résultant des décisions le plaçant à temps partiel ;

- son préjudice de retraite, constitué par la perte de trimestres de cotisations, se chiffre à 21 120 euros ;

- il a subi des troubles dans ses conditions d'existence, dont l'évaluation peut être fixée à 3 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2018, le ministre de l'éducation nationale conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention enregistré le 22 février 2019, le syndicat SGEN-CFDT Bretagne, représenté par MeA..., conclut aux mêmes fins que M. C...par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984

- le code de l'éducation ;

- le décret n° 2007-632 du 27 avril 2007 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., substituant MeA..., représentant M.C....

Considérant ce qui suit :

1. M.C..., professeur des écoles affecté depuis le 1er septembre 2011 à l'école primaire publique " la Pointe " à Brest, a sollicité à plusieurs reprises au cours des années scolaires 2011 à 2016 un allègement de service en raison de son handicap mais ces demandes ont été rejetées par le recteur de l'académie de Brest. Le 18 décembre 2015, M. C...a présenté une réclamation préalable auprès de son administration, puis a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 59 584 euros en réparation de ses préjudices financier, de retraite et des troubles dans ses conditions d'existence subis au titre des années scolaires 2011/2012 à 2015/2016. Il relève appel du jugement du 28 avril 2017 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur l'intervention du syndicat SGEN-CFDT Bretagne :

2. Le syndicat SGEN-CFDT Bretagne justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir à l'appui des conclusions de M.C.... Son intervention est, en conséquence, recevable.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Il ressort de la minute du jugement attaqué, que les mémoires des 25 avril 2016 et 11 février 2017 produits par M. C...ainsi que celui du recteur de l'académie du 14 novembre 2016 sont visés et analysés. Le requérant n'est par suite pas fondé à soutenir que ce jugement serait irrégulier en ce qu'il ne mentionnerait pas l'ensemble des écritures des parties.

Sur la responsabilité de l'Etat :

4. L'article 40 ter de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 prescrit que : " Des aménagements d'horaires propres à faciliter son exercice professionnel ou son maintien dans l'emploi sont accordés à sa demande au fonctionnaire handicapé relevant de l'une des catégories mentionnées aux 1°,2°,3°,4°,9°,10° et 11° de l'article L. 323-3 [devenu L. 5212-13] du code du travail, dans toute la mesure compatible avec les nécessités du fonctionnement du service (...) ". Aux termes de l'article R. 911-12 du code de l'éducation reprenant l'article 1er du décret du 27 avril 2007 : " Les personnels enseignants des premier et second degrés (...) lorsqu'ils sont confrontés à une altération de leur état de santé, peuvent solliciter un aménagement de leur poste de travail ou une affectation sur un poste adapté, dans les conditions prévues aux articles R. 911-15 à R. 911-30. ". L'article R. 911-15 du même code dispose que : " L'aménagement du poste de travail est destiné à permettre le maintien en activité des personnels mentionnés à l'article R. 911-12 dans le poste occupé ou, dans le cas d'une première affectation ou d'une mutation, à faciliter leur intégration dans un nouveau poste. ". Par ailleurs, l'article R. 911-16 du même code prévoit que : " Préalablement à toute décision d'aménagement du poste de travail, l'autorité compétente recueille l'avis du médecin conseiller technique ou du médecin de prévention et celui du supérieur hiérarchique du demandeur. ". Enfin, selon l'article R. 911-18 du code de l'éducation : " L'aménagement du poste de travail peut consister, notamment, en une adaptation des horaires ou en un allégement de service, attribué au titre de l'année scolaire, dans la limite maximale du tiers des obligations réglementaires de service du fonctionnaire qui en bénéficie. ".

5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que lorsqu'un enseignant a été reconnu inapte à l'exercice de ses fonctions à la suite de l'altération de son état physique, il peut demander à être affecté sur un poste adapté pour une durée d'un an, renouvelable dans la limite de trois ans. Il appartient alors à l'autorité administrative compétente, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de rechercher un poste de travail adapté à l'état de l'intéressé et d'apprécier si sa demande peut être satisfaite compte tenu des nécessités du service, qu'il s'agisse d'une première affectation ou de son renouvellement.

6. Il est constant que le statut de travailleur handicapé a été reconnu à M. C...par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées en 2007 puis en 2014. Dans ses différents avis, le médecin conseil du rectorat n'a d'ailleurs pas contesté la diminution chronique des capacités physiques du requérant. Cependant il résulte de l'instruction que l'intéressé a fait l'objet de cinq refus d'aménagement de service depuis son affectation dans l'académie de Rennes. Ainsi, la première décision est née implicitement de l'acceptation le 1er juillet 2011 de sa demande de temps partiel présentée le 18 avril 2011. Par la suite, par une deuxième décision du 15 novembre 2012, l'administration a estimé que M. C...ne rentrait pas dans le champ d'application du décret du 27 avril 2017, qui selon elle ne s'appliquait qu'aux situations de crises aigues. Le 17 juin 2013 l'administration a réitéré son refus pour le même motif. Cette dernière décision a été annulée pour erreur de droit, par un jugement du tribunal administratif de Rennes du 20 février 2015 devenu définitif, le tribunal estimant que le décret du 27 avril 2007 ne limitait pas l'aménagement de service aux situations d'aggravation ou d'apparition d'une pathologie. Néanmoins, par une décision du 25 février 2014, l'administration a maintenu son refus tout en soulignant que selon le médecin conseil du rectorat, l'état de santé global de M. C...était stabilisé et compatible avec l'organisation du service. Elle a également rappelé les adaptations mises en place ainsi que la possibilité pour l'intéressé de prendre l'avis d'une ergonome. Enfin, par une décision du 16 juin 2015 un nouveau refus a été opposé à M.C.... Sa demande tendant à l'annulation de cette décision a été rejetée au motif qu'il n'établissait pas que les adaptations de son poste étaient insuffisantes.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les trois premières décisions, à la différence des deux suivantes, n'ont pas été prises pour un motif légal compte tenu de l'appréciation trop restrictive des dispositions de l'article R. 911-18 du code de l'éducation à laquelle l'administration s'est livrée au titre des années 2011, 2012 et 2013. Par ailleurs, aucun aménagement spécifique du poste de l'intéressé n'a été évoqué qui puisse justifier un refus des trois premières demandes d'aménagement de service présentées par M.C.... En revanche, si M. C...soutient que les adaptations mises en place au titre des années suivantes, qui ont consisté en l'attribution d'une classe de cycle 3, un échange de service pour l'EPS, la possibilité d'utiliser un ascenseur pour accéder à sa classe et en la mise en place d'un tableau blanc interactif (TBI) permettant notamment de limiter ses déplacements et ses temps d'écriture au tableau en station débout, ne l'ont pas été à l'initiative du rectorat, il ne conteste pas le fait d'en avoir néanmoins bénéficié. L'intéressé n'établit pas davantage que ces aménagements auraient été insuffisants et que son administration ne pouvait par suite légalement lui refuser un allégement de service consistant en une réduction de ses horaires de travail. Dans ces conditions, le requérant est seulement fondé à soutenir qu'en rejetant ses demandes sans invoquer de motif légal l'administration a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des années scolaires 2011/2012, 2012/2013 et 2013/2014.

Sur les préjudices subis :

8. Il est constant que l'aménagement de service sollicité par M. C...ne constitue pas un droit. L'intéressé ne peut donc prétendre que l'illégalité des décisions en litige aurait nécessairement conduit l'administration à lui accorder cet aménagement de son temps de travail. Il ne peut dès lors solliciter le remboursement de la perte de salaire subie à raison du temps partiel qui lui a été accordé de droit à hauteur de 80 % puis 75 % au titre des années scolaires 2011/2012, 2012/2013 et 2013/2014. Il n'est pas davantage fondé à demander une compensation de la perte des trimestres de cotisations pour le calcul de sa retraite, laquelle ne présente pas un lien de causalité direct et certain avec les décisions illégales refusant de lui accorder un aménagement de service. En revanche, M. C...a subi des troubles dans ses conditions d'existence. Il peut ainsi prétendre au versement de la somme de 3 000 euros qu'il demande en réparation de ce chef de préjudice au titre de ces trois années.

8. Il résulte de ce qui précède, que M. C... n'est pas fondé que dans la limite mentionnée ci-dessus à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

9. Eu égard à ce qui a été dit au point 7, M. C...a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 3 000 euros à compter du 21 décembre 2015, date de réception par le rectorat de Rennes de sa réclamation préalable. Les intérêts seront capitalisés à compter du 28 juin 2018, date à laquelle, suite à sa demande présentée dans sa requête enregistrée au greffe de la cour le 28 juin 2017, une année d'intérêt était due, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C...de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention du syndicat SGEN-CFDT Bretagne est admise.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à M. C...en réparation des préjudices subis au titre des années scolaires 2011/2012, 2012/2013 et 2013/2014. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2015 et de leur capitalisation à compter du 28 juin 2018 puis à chaque échéance annuelle.

Article 3 : Le jugement n° 1601843 du 28 avril 2017 est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. C...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C...et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré après l'audience du 1er mars 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 mars 2019.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT01956


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CABINET ARVIS et KOMLY-NALLIER

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 19/03/2019
Date de l'import : 02/04/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17NT01956
Numéro NOR : CETATEXT000038250852 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-03-19;17nt01956 ?
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