Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...D...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 4 décembre 2015 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes a ordonné la prolongation de sa mise à l'isolement.
Par un jugement n° 1601068 du 22 septembre 2017, le tribunal administratif de Caen a annulé cette décision.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 novembre 2017 le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour d'annuler ce jugement du 22 septembre 2017 et de rejeter la demande présentée par M. D...devant le tribunal administratif de Caen.
Il soutient que :
- MmeB..., signataire de la décision contestée, disposait d'une délégation de signature qui inclut, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, les décisions relatives au placement et à la levée de l'isolement ;
- les autres moyens de première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 février 2018 M.D..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête du garde des sceaux, ministre de la justice, et à ce que soit mise à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que les moyens invoqués par le ministre ne sont pas fondés.
M. D...s'est vu maintenir le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 décembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Bris,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., alors détenu au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe, a fait l'objet d'un placement à l'isolement par une décision du 18 septembre 2015 afin de préserver la sécurité de l'établissement et du personnel. Par une nouvelle décision du 4 décembre 2015, le directeur du centre pénitentiaire a prolongé cette mesure pour une durée de trois mois. M. D... ayant demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler cette seconde décision, ce tribunal a fait droit à sa demande par un jugement du 22 septembre 2017 dont le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel.
Sur la légalité de la décision du 4 décembre 2015 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes :
2. Aux termes de l'article R. 57-7-5 du code de procédure pénale : " Pour l'exercice de ses compétences en matière disciplinaire, le chef d'établissement peut déléguer sa signature à son adjoint, à un directeur des services pénitentiaires ou à un membre du corps de commandement du personnel de surveillance placé sous son autorité. / Pour les décisions de confinement en cellule individuelle ordinaire et de placement en cellule disciplinaire, lorsqu'elles sont prises à titre préventif, le chef d'établissement peut en outre déléguer sa signature à un major pénitentiaire ou à un premier surveillant ".
3. Il ressort des pièces produites au dossier que, par une décision n° 23-2015 du 10 novembre 2015 publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Orne, le chef d'établissement du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe a donné à Mme B..., directrice adjointe de l'établissement et signataire de la décision litigieuse, délégation à l'effet de signer " Les décisions relatives au placement et à la levée de l'isolement ". C'est, par suite, à tort que le tribunal administratif de Caen a annulé la décision litigieuse au motif qu'elle avait été signée par une autorité n'ayant pas régulièrement reçu délégation de signature pour ce faire. Il appartient dès lors à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. D...à l'encontre de cette décision tant devant la cour que devant le tribunal administratif.
4. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que MmeB..., signataire de la décision litigieuse, disposait à cette fin d'une délégation de signature. Eu égard à l'objet d'une délégation de signature qui, quoique constituant un acte réglementaire, n'a pas la même portée à l'égard des tiers qu'un acte modifiant le droit destiné à leur être appliqué, sa publication au recueil des actes administratifs de la préfecture, qui permet de donner date certaine à la décision de délégation prise par le chef d'établissement, a constitué une mesure de publicité suffisante pour rendre ses dispositions opposables aux tiers, et notamment à l'égard des détenus du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit aussi être écarté pour ce second motif.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale : " Lorsqu'une décision d'isolement d'office initial ou de prolongation est envisagée, la personne détenue est informée, par écrit, des motifs invoqués par l'administration, du déroulement de la procédure et du délai dont elle dispose pour préparer ses observations. Le délai dont elle dispose ne peut être inférieur à trois heures à partir du moment où elle est mise en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat, si elle en fait la demande. ".
6. Il ressort des pièces du dossier que M. D...a été avisé le 27 novembre 2015 de ce que l'administration envisageait de prolonger la mesure d'isolement dont il faisait l'objet, qu'il a eu la possibilité de consulter son dossier le 2 décembre suivant et que son avocat a reçu à sa demande par télécopie le 2 décembre à 15h59 une convocation mentionnant les motifs de la décision envisagée. En outre, il n'est pas établi ni même allégué que M. D...ou son avocat auraient demandé la copie d'une ou plusieurs pièces et que cela leur aurait été refusé. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les droits de la défense n'ont pas été respectés au motif que l'administration n'a pas communiqué, ni à lui ni à son conseil, une copie de son dossier.
7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D...a été placé à l'isolement le 18 septembre 2015 après avoir notamment, le 18 août 2015, donné un violent coup de poing au visage d'un agent de l'administration pénitentiaire et brandi une arme artisanale, faits qui ont été rapportés par un témoin direct de l'agression et corroborés par une prise de vue du système de vidéosurveillance. Pendant cette première période d'isolement, les agents de l'établissement ont rendu compte de sept faits successifs de menaces, jets d'urine, et tentatives d'agression avec un stylo. Si M. D...conteste la réalité de ces incidents, il n'apporte aucun élément de nature à mettre valablement en doute l'exactitude ou la sincérité des faits ainsi rapportés par le personnel pénitentiaire. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la matérialité des faits qui fondent la décision contestée ne serait pas établie.
8. En dernier lieu, compte tenu des faits relatés au point 8 et des antécédents disciplinaires de l'intéressé, le directeur interrégional des services pénitentiaires n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en estimant que le placement à l'isolement de M. D...était nécessaire pour garantir la sécurité et le bon ordre de l'établissement et en décidant, pour ce motif, de prolonger pour une durée de trois mois la mesure dont l'intéressé avait fait l'objet le 18 septembre 2015.
9. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision en litige. Les conclusions formulées par M. D...tendant au bénéfice des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1 : Le jugement n° 1601068 du 22 septembre 2017 du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D...devant le tribunal administratif de Caen, ainsi que les conclusions présentées par lui en appel, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. C... D....
Délibéré après l'audience du 20 décembre 2018 à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme Le Bris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 janvier 2019
Le rapporteur
I. Le BrisLe président
I. PerrotLe greffier
M. E... La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°17NT03466