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07/10/2016 | FRANCE | N°15NT00598

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 07 octobre 2016, 15NT00598


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...L..., agissant à titre personnel et en qualité de tutrice de son fils majeur ChristopheJ..., M. D...J...son mari et MM.B... et G...J...leurs enfants ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen à réparer les préjudices résultant des handicaps dont a été atteint Christophe J...à sa naissance.

Par un jugement n° 1200342 du 31 décembre 2014, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Procédure devant la c

our :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 février 2015 et 1er février 2016...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...L..., agissant à titre personnel et en qualité de tutrice de son fils majeur ChristopheJ..., M. D...J...son mari et MM.B... et G...J...leurs enfants ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen à réparer les préjudices résultant des handicaps dont a été atteint Christophe J...à sa naissance.

Par un jugement n° 1200342 du 31 décembre 2014, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 février 2015 et 1er février 2016, Mme C... L...et MM.D..., B...et G...J..., représentés par Me E..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 31 décembre 2014 ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Caen à verser, à M. K...J..., la somme de 4 588 319,60 euros ainsi qu'une rente annuelle de 134 904 euros, à Mme L...la somme de 215 000 euros et à MM. D...J..., B...J...et G...J...les sommes respectives de 50 000 euros, 75 000 euros et 120 000 euros, sommes assorties des intérêts au taux légal ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Caen la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Ils soutiennent que :

- les préjudices de Mme L...et ceux de son fils Christophe trouvent leur origine dans la faute commise par le CHU de Caen durant le suivi de la grossesse au mois de juillet 1983 ; contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, et malgré l'introduction de la procédure postérieurement au 7 mars 2002, les dispositions de l'article L.114-5 du code de l'action sociale et des familles ne peuvent s'appliquer dès lors que le fait générateur était antérieur à l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 ;

- le responsable du service gynécologie-obstétrique du centre hospitalier n'a pas pris le soin de préciser le contexte clinique lors de sa prescription d'une sérologie de la rubéole, et la recherche des igm n'a pas été prescrite alors qu'elle aurait seule permis d'établir le diagnostic d'une primo-infection préjudiciable au foetus ; le CHU n'a pas mis en oeuvre tous les moyens en sa possession pour parvenir au diagnostic ; si l'application de la loi du 4 mars 2002 n'était pas écartée, il y aurait lieu de constater que la faute ainsi commise revêt le caractère de faute caractérisée, au besoin après avoir ordonné une nouvelle expertise ;

- Mme L...a été contrainte de gérer la vie de son fils dont la dépendance est totale ;

- il convient de réparer les préjudices de M. K...J...par une somme de 3 307 773,48 euros au titre des préjudices patrimoniaux temporaires, une somme de 257 200 euros au titre des préjudices extra patrimoniaux temporaires, somme à laquelle devra s'ajouter l'allocation d'une rente d'un montant de 138 678 euros à compter de janvier 2015, une somme de 1 042 805,79 euros au titre des préjudices patrimoniaux permanents, une somme de 903 250 euros au titre des préjudices extra patrimoniaux permanents ;

- il convient de réparer les préjudices de Mme L...par une somme de 200 000 euros au titre de son préjudice moral, une somme de 15 000 euros au titre de son préjudice professionnel et une somme de 40,01 euros au titre des frais engagés pour obtenir la communication du dossier médical en vue d'une expertise judiciaire ;

- au titre du préjudice moral, M. D...J..., le père de ChristopheJ..., demande une somme de 50 000 euros, M. B...J..., son frère, une somme de 75 000 euros, M. G...J..., son second frère, une somme de 120 000 euros.

Une mise en demeure a été adressée le 5 octobre 2015 à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 novembre 2015 le centre hospitalier universitaire de Caen, représenté par MeI..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par les consorts L...et J...ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 18 janvier 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 18 février 2016 à 12h.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 62 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le premier protocole additionnel à cette convention ;

- le code de la santé publique ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

- la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 ;

- la décision n° 2010-2 QPC du Conseil constitutionnel du 11 juin 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,

- les observations de MeH..., substituant MeI..., représentant le centre hospitalier universitaire de Caen.

1. Considérant que Mme L...a présenté le 23 juin 1983 une éruption cutanée qui a été diagnostiquée par son médecin traitant comme étant une rubéole ; que sa grossesse a été établie le 9 juillet suivant et prise en charge à compter du 12 juillet 1983 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen ; qu'elle a donné naissance le 5 mars 1984 à un garçon prénommé Christophe atteint de nombreuses malformations et qui conserve de très graves séquelles de la rubéole ayant affecté sa mère ; que Mme L...a saisi le 13 février 2008 le tribunal administratif de Caen d'une demande d'expertise ; que, par une ordonnance du 22 mai 2008, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a désigné le docteur Delangre, neurologue, en qualité d'expert et le professeur Janvresse, virologue, en qualité de sapiteur ; que le rapport d'expertise a été déposé le 6 juillet 2011 ; que M. D...J...et Mme A...L..., père et mère de l'enfant Christophe, et ses frères B...et VincentJ..., estimant que plusieurs fautes avaient été commises par le CHU de Caen lors des prescriptions de sérologie effectuées les 12 et 26 juillet 1983, ont recherché la responsabilité de cet hôpital et saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à la condamnation du CHU de Caen à réparer tant les préjudices subis par M. K...J...que ceux subis par ses parents et ses frères ; que, par un jugement du 31 décembre 2014, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande ; que les requérants relèvent appel de ce jugement ;

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la codification par le 1 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 de dispositions qui figuraient antérieurement aux trois premiers alinéas du I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance /(...) / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. " ; qu'aux termes du 2 du II de l'article 2 de la loi précitée du 11 février 2005 : " Les dispositions de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles tel qu'il résulte du 1 du présent II sont applicables aux instances en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation. " ;

3. Considérant, d'autre part, que, par la décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, publiée au Journal officiel le 12 juin, le Conseil constitutionnel a, sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, déclaré le 2 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 contraire à la Constitution, en jugeant qu'il n'existait pas de motifs d'intérêt général suffisants pour justifier la remise en cause des droits des personnes ayant engagé une instance juridictionnelle en vue d'obtenir la réparation de leur préjudice avant le 7 mars 2002, date d'entrée en vigueur du I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 ; que le Conseil constitutionnel a en revanche jugé qu'il existait des motifs d'intérêt général pouvant justifier l'application des règles nouvelles à des instances engagées après le 7 mars 2002 au titre de faits générateurs intervenus avant cette date ; qu'il résulte de cette même décision et des motifs qui en sont le support nécessaire que, conformément au deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, elle n'emporte abrogation du 2 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 que dans la mesure où la disposition inconstitutionnelle rendait les règles nouvelles applicables aux instances en cours au 7 mars 2002 ; que cette décision ne définit aucune autre condition ou limite remettant en cause les effets que cette disposition a produits vis-à-vis des situations de fait n'ayant pas encore donné lieu à cette même date à l'engagement d'une instance ;

4. Considérant que les consorts L...et J...n'ont engagé une instance en réparation des conséquences dommageables du handicap de leur enfant Christophe né en 1984 que postérieurement au 7 mars 2002 ; qu'ainsi le régime de responsabilité défini à l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles, dont les termes ont été rappelés au point 2, était applicable à l'instance engagée par eux ;

5. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L.114-5 du code de l'action sociale et des familles que Christophe J...ne peut se prévaloir d'aucun préjudice du fait du handicap dont il était atteint à sa naissance ; qu'ainsi les conclusions présentées Mme L...en sa qualité de tutrice de celui-ci ne peuvent qu'être rejetées ;

6. Considérant, en ce qui concerne les conclusions indemnitaires présentées par les consorts J...et Mme A...L...en leur nom propre, que les intéressés soutiennent que plusieurs fautes ont été commises par cet établissement lors des prescriptions de sérologie effectuées au cours du mois de juillet 1983, le médecin n'ayant pas précisé le contexte clinique -éruption cutanée, date des dernières règles- ni procédé à la prescription d'une recherche d'Igm (anticorps) spécifiques, et que ces manquements n'ont, en particulier, pas permis d'établir si la mère de l'enfant avait été affectée au début de sa grossesse d'une primo infection ou d'une réinfection par la rubéole, seule la première présentant des risques graves pour le foetus ;

7. Considérant cependant qu'il résulte de l'instruction qu'à l'occasion de sa prise en charge le 12 juillet 2003 par le service de gynécologie obstétrique du CHU de Caen Mme L...s'est présentée avec les résultats de grossesse positifs et une sérologie de la rubéole pratiquée en 1980, établissant une immunisation ancienne, qu'elle a, ainsi qu'elle l'a constamment affirmé, systématiquement présentée aux praticiens qui l'ont suivie au cours de sa grossesse ; que le chef du service de gynécologie obstétrique du CHU de Caen, qui ne disposait d'aucun argument pour remettre en cause les conclusions de l'examen ainsi effectué en 1980, a toutefois prescrit deux sérologies en réponse aux inquiétudes formulées par la patiente, qui ont été effectuées les 12 et 26 juillet 1983 par un laboratoire extérieur et ont montré l'existence d'anticorps de type IgG et confirmé l'immunité de Mme L...constatée en 1980, sans permettre de conclure à une immunité récente ; que si l'expert a indiqué dans son rapport que " Mme L...n'a pas reçu les informations qui auraient pu lui faire prendre une autre décision que la poursuite de la grossesse ", il a également relevé dans son pré-rapport, en référence à la sérologie pratiquée en 1980 par Mme L...qui faisait apparaître une immunité acquise, " qu'aucune faute de négligence n'a été commise par les médecins du CHU de Caen, le résultat d'immunisation ancienne leur ayant apporté une fausse certitude " ; qu'il a ajouté que " la procédure qui a été réalisée sur les prélèvements du 12 juillet 1983 et du 26 juillet 1983 était la procédure habituelle à cette époque " ; que si les requérants reprochent au CHU de Caen de n'avoir pas, lors des prescriptions de sérologie effectuées les 12 et 26 juillet 1983, précisé le contexte clinique ni procédé à la prescription d'une recherche d'Igm (anticorps) spécifiques, il ne résulte cependant pas de l'instruction, et en particulier du dossier médical de MmeL..., que, contrairement aux propos que cette dernière a tenus lors de l'expertise judiciaire réalisée en 2009, soit 26 ans après les faits, cette dernière aurait informé précisément le service de gynécologie obstétrique du CHU de Caen de l'existence d'une éruption cutanée récente peu de temps avant que son état de grossesse ne soit établi ; que, par ailleurs, les recommandations de bonnes pratiques médicales de l'époque ne prescrivaient pas encore la recherche d'Igm spécifiques ; que, dans ces conditions, et ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le centre hospitalier universitaire de Caen aurait commis en 1983 des manquements qui, par leur intensité et leur gravité, établiraient l'existence, au sens du troisième alinéa de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles, d'une faute caractérisée de nature à leur ouvrir droit à réparation de leur préjudice ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que Mme L...et les consorts J...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande indemnitaire ;

Sur les dépens :

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce et en application du deuxième alinéa de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de maintenir à la charge du CHU de Caen les frais et honoraires d'expertise ;

Sur les conclusions aux fins d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Caen, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par les consorts J...et Mme L...et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme L...et des consorts J...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...L..., M. D...J..., M. B... J..., M. G...J..., au centre hospitalier universitaire de Caen et à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2016, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Lemoine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 octobre 2016.

Le rapporteur,

O. Coiffet

Le président,

I. Perrot

Le greffier,

M. F...

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 15NT000598


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 15NT00598
Date de la décision : 07/10/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : SELARL COUBRIS, COURTOIS etASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2016-10-07;15nt00598 ?
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