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30/12/2005 | FRANCE | N°04NT00123

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, Formation pleniere, 30 décembre 2005, 04NT00123


Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 4 février 2004, présentée pour l'Etablissement public Loire, anciennement dénommé Etablissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA), dont le siège est ..., représenté par son président, par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ; l'Etablissement public Loire demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 01-3423 et 03-1280 du 25 novembre 2003 par lequel le Tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidair

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Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 4 février 2004, présentée pour l'Etablissement public Loire, anciennement dénommé Etablissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA), dont le siège est ..., représenté par son président, par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ; l'Etablissement public Loire demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 01-3423 et 03-1280 du 25 novembre 2003 par lequel le Tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne à réparer le préjudice que lui a causé l'abandon du projet de réalisation d'un barrage à Chambonchard ;

2°) de condamner solidairement l'Etat et l'Agence de l'eau Loire-Bretagne à lui verser une somme de 6 911 116,46 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 1999, au titre du préjudice subi pendant la période 1986-1999 ;

3°) de condamner solidairement l'Etat et l'Agence de l'eau Loire-Bretagne à lui verser une somme de 10 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

……………………………………………………………………………………………………...

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu la loi n° 82-653 du 29 juillet 1982 modifiée portant réforme de la planification ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 décembre 2005 :

- le rapport de Mme Perrot, rapporteur ;

- les observations de Me Paloux substituant Me Briard, avocat de l'Etablissement public Loire ;

- les observations de Me Garreau, avocat de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne ;

- et les conclusions de M. Mornet, commissaire du gouvernement ;

Considérant que l'Etablissement public Loire, anciennement dénommé Etablissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA), relève appel du jugement du 25 novembre 2003 par lequel le Tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne à lui verser une indemnité de 6 911 116,46 euros en réparation du préjudice que lui a causé l'abandon du projet de réalisation d'un barrage à Chambonchard (Cher) ;

Sur la recevabilité de la requête :

Considérant qu'aux termes de l'article L.5211-9 du code général des collectivités territoriales : Le président est l'organe exécutif de l'établissement public de coopération intercommunale (…). - Il représente en justice l'établissement public de coopération intercommunale (…) ; que ces dispositions, qui se sont substituées aux dispositions antérieures du code des communes, auxquelles renvoyait l'article 28 des statuts de l'Etablissement public d'Aménagement de la Loire et de ses affluents, ont pour effet de conférer au président de cet établissement public qualité pour le représenter en justice, même en l'absence d'une délibération du comité syndical l'habilitant à cet effet ; que, d'ailleurs, le comité syndical de l'établissement public a, par deux délibérations des 18 novembre 1999 et 24 mars 2005, autorisé son président à saisir toute juridiction compétente en vue d'obtenir réparation du préjudice susmentionné ; que, par suite, et en tout état de cause, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'écologie et du développement durable doit être écartée ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement :

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 29 juillet 1982 susvisée : L'Etat peut conclure avec les collectivités territoriales, les régions, les entreprises publiques ou privée et éventuellement d'autres personnes morales, des contrats de plan comportant des engagements réciproques des parties en vue de l'exécution du plan et de ses programmes prioritaires… - Le contrat de plan conclu entre l'Etat et la région définit les actions que l'Etat et la région s'engagent à mener conjointement par voie contractuelle pendant la durée du plan… - Des contrats particuliers fixent les moyens de mise en oeuvre des actions définies dans le contrat de plan… ; que, selon l'article 12 de ladite loi : Les contrats de plan… ne peuvent être résiliés par l'Etat, avant leur date normale d'expiration, que dans les formes et les conditions qu'ils stipulent expressément. Ils sont réputés ne contenir que des clauses contractuelles… ;

Considérant que, par un protocole d'accord en date du 13 février 1986, prévu par le contrat de plan interrégional dans le cadre du IXème plan, et constituant, selon son article 6 pour ce qui concerne les années 1986, 1987 et 1988 un contrat particulier au sens de l'article 11 de la loi n° 82-653 du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification et du décret n° 83-32 du 21 janvier 1983, l'Etat, l'Agence financière de bassin Loire-Bretagne et l'Etablissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents ont, notamment, décidé qu'au cours de ces trois années seraient entreprises les études et acquisitions foncières du barrage de Chambonchard ; que le même document mentionnait le coût prévisionnel et les modalités de financement de cet ouvrage par les trois partenaires ; que, le Gouvernement ayant, lors d'un comité interministériel du 4 janvier 1994, arrêté un plan global pour un aménagement et une gestion cohérents, équilibrés et écologiques du bassin de la Loire, les mêmes parties se sont de nouveau engagées, par une charte conclue le 6 juillet 1994, à réaliser sur le Cher l'ouvrage de retenue d'eau de Chambonchard, pour un volume de 50 millions de m3 et un coût maximum de 500 millions de francs, l'Etablissement public d'aménagement de la Loire devant en assurer la maîtrise d'ouvrage, le barrage devant être mis en service à la fin de l'année 1998, et la charge du financement de l'opération étant répartie entre l'Etat, à concurrence de 70 millions de francs au plus, de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, à concurrence de 190 millions de francs au plus, et du maître d'ouvrage, à concurrence de 240 millions de francs au moins ; que, toutefois, alors que le projet avait été déclaré d'utilité publique par un arrêté interpréfectoral du 12 décembre 1996, le Premier ministre a fait connaître, le 4 août 1999, à l'Etablissement public d'aménagement de la Loire qu'à la suite de l'adoption d'un nouveau programme interrégional Loire Grandeur Nature pour les années 2000 à 2006, l'Etat n'apporterait plus son concours financier à la construction du barrage ; que, par une délibération du 25 novembre 1999, le conseil d'administration de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne a, en conséquence, décidé, à son tour, de renoncer au financement de l'opération ;

Considérant que le protocole d'accord du 13 février 1986 et la charte du 6 juillet 1994 qui s'y est substituée constituent, au sens des dispositions précitées de la loi du 29 juillet 1982, des contrats particuliers dont les stipulations mettaient des obligations précises tant à la charge de l'Etat et de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, pour le financement de la construction du barrage, qu'à la charge de l'Etablissement public d'aménagement de la Loire, pour ce même financement, ainsi que pour les modalités de réalisation de l'opération ; qu'il suit de là que l'établissement public requérant ne saurait rechercher la responsabilité de l'Etat et de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne que sur le seul fondement contractuel ;

Considérant que la décision susmentionnée du Premier ministre en date du 4 août 1999 doit être regardée comme emportant, pour un motif d'intérêt général et par application des règles générales s'appliquant à tous les contrats administratifs, résiliation du protocole et de la charte dont s'agit ; que, dès lors, en vertu des mêmes règles et en l'absence de toute stipulation y faisant obstacle, l'Etablissement public Loire est en droit d'obtenir réparation du préjudice résultant pour lui de cette résiliation unilatérale ; que, par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif lui a refusé tout droit à indemnisation ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'Etablissement public d'aménagement de la Loire devant le Tribunal administratif d'Orléans ;

Considérant, en premier lieu, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, seul l'Etat a fait usage de son pouvoir de résilier unilatéralement les contrats particuliers qu'il avait conclus avec l'établissement en cause et l'Agence de l'eau Loire-Bretagne ; qu'ainsi, le préjudice subi par le requérant trouve son origine exclusive dans la décision prise par l'Etat, l'Agence s'étant bornée à tirer les conséquences de cette décision qui rendait impossible la poursuite de la réalisation du barrage de Chambonchard dans un cadre contractuel devenu inexistant ; qu'il suit de là que l'Etablissement public Loire n'est pas fondé à demander que l'Agence de l'eau Loire-Bretagne soit déclarée solidairement responsable avec l'Etat du préjudice qu'il a subi ;

Considérant, en deuxième lieu, que la participation financière contractuelle de l'Etat et de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne représentait plus de 50 % de l'ouvrage public projeté ; que la suppression de ce financement, la résiliation des contrats qui l'avaient prévu, ainsi que la circonstance que le projet ne soit plus conforme aux objectifs de la politique d'aménagement du territoire, rendaient désormais impossible la réalisation de l'ouvrage par l'Etablissement public d'aménagement de la Loire ; que par suite, la réalité du préjudice subi par cet établissement à raison des dépenses exposées pour la réalisation de l'opération en cause doit être regardée comme établie ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment des observations présentées le 5 juin 2001 par la Chambre régionale des comptes du Centre que les charges supportées par l'établissement requérant au titre du projet litigieux s'élevaient, à la fin de l'année 1998, à la somme de 92 600 000 F TTC (14 116 779 euros) ; qu'après avoir déduit le montant des subventions qu'il a perçues, le montant des recettes du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée et celui de la valeur résiduelle des biens acquis, l'établissement public estime à 45 308 982,36 F (6 911 116,46 euros), le montant du préjudice qu'il a subi pour la période 1986-1999 ; que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'écologie, cette évaluation, qui repose sur un bilan financier complet élaboré avec l'aide des services de la direction départementale de l'équipement du Loiret et qui se fonde sur le montant des dépenses exposées de 1990 à 1998, telles qu'elles ont été arrêtées par la Chambre régionale des comptes, est de nature à établir le bien-fondé des prétentions de l'Etablissement public Loire ; que, dès lors, il y a lieu de condamner l'Etat à payer à ce dernier la somme de 6 911 116,46 euros, qui portera intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 1999 ; que la capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois le 19 juillet 2001, date de l'enregistrement de la demande de première instance ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, par suite, lesdits intérêts, capitalisés au 31 décembre 2000 et à chaque échéance annuelle, porteront eux-mêmes intérêts à chacune de ces échéances jusqu'au 31 décembre 2004 ;

Sur l'appel incident de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne :

Considérant que le présent arrêt met hors de cause l'Agence de l'eau Loire-Bretagne ; que, par suite, les conclusions de cette dernière tendant à ce que, dans l'hypothèse où elle serait condamnée à réparer le préjudice subi par l'établissement requérant, ce dernier soit lui-même condamné à lui rembourser la somme de 3 985 847,24 euros représentant le montant des dépenses qu'elle a exposées au titre du projet de barrage, sont sans objet ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etablissement public Loire, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à l'Etat et à l'Agence de l'eau Loire-Bretagne les sommes que ceux-ci demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des mêmes dispositions, de condamner l'Etat à payer à l'Etablissement public Loire une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement nos 01-3423 et 03-1280 du Tribunal administratif d'Orléans en date du 25 novembre 2003 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à l'Etablissement public Loire la somme de 6 911 116,46 euros qui portera intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 1999. Les intérêts capitalisés à chaque échéance annuelle porteront eux-mêmes intérêts jusqu'au 31 décembre 2004.

Article 3 : L'Etat versera à l'Etablissement public Loire une somme de 5 000 euros (cinq mille euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de l'Etat et de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Etablissement public Loire, à l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, au Premier ministre et au ministre de l'écologie et du développement durable.

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N° 04NT00123

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : Formation pleniere
Numéro d'arrêt : 04NT00123
Date de la décision : 30/12/2005
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

135-04-02-02-0239-04-02-03 COLLECTIVITÉS TERRITORIALES. - RÉGION. - ATTRIBUTIONS. - PLANIFICATION. - CONTRAT PARTICULIER RELATIF À UN CONTRAT DE PLAN INTERRÉGIONAL - ENGAGEMENT DE RÉALISER UN BARRAGE - ABANDON DU PROJET PAR L'ETAT - DROIT DE L'ETABLISSEMENT PUBLIC D'AMÉNAGEMENT DU FLEUVE À OBTENIR RÉPARATION DU PRÉJUDICE SUBI.

z135-04-02-02-02z39-04-02-03z Aux termes d'un protocole d'accord prévu par un contrat de plan interrégional dans le cadre du IXème plan, l'Etat, l'Agence financière de bassin et l'Etablissement public d'aménagement d'un fleuve ont décidé la réalisation d'un barrage. Ce protocole d'accord et la charte ultérieure, par laquelle les mêmes parties ont confirmé leurs engagements, constituent, au sens des dispositions de l'article 11 de la loi du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification, des contrats particuliers dont les stipulations mettaient des obligations précises tant à la charge de l'Etat et de l'Agence de bassin, pour le financement de la construction du barrage, qu'à la charge de l'Etablissement public d'aménagement, pour ce même financement, ainsi que pour les modalités de réalisation de l'opération. La décision par laquelle le Premier ministre a décidé qu'à la suite de l'adoption d'un nouveau programme interrégional pour les années 2000 à 2006, l'Etat n'apporterait plus son concours financier à la construction du barrage, doit être regardée comme emportant, pour un motif d'intérêt général et par application des règles générales s'appliquant à tous les contrats administratifs, résiliation du protocole et de la charte. Dès lors, en vertu des mêmes règles et en l'absence de toute stipulation y faisant obstacle, l'Etablissement public est en droit d'obtenir réparation du préjudice résultant pour lui de cette résiliation unilatérale.


Composition du Tribunal
Président : M. PIRON
Rapporteur ?: M. Michel DRONNEAU
Rapporteur public ?: M. MORNET
Avocat(s) : BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2005-12-30;04nt00123 ?
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