La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/11/2021 | FRANCE | N°20NC03311

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 16 novembre 2021, 20NC03311


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 17 avril 2019 par laquelle le préfet du Doubs a refusé d'abroger l'arrêté du 28 juin 2018 refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 1901210 du 25 juin 2020, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enreg

istrée le 13 novembre 2020, Mme B..., représentée par Me Bertin demande à la cour :

1°) d'annul...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 17 avril 2019 par laquelle le préfet du Doubs a refusé d'abroger l'arrêté du 28 juin 2018 refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 1901210 du 25 juin 2020, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 novembre 2020, Mme B..., représentée par Me Bertin demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 25 juin 2020 ;

2°) d'annuler la décision du préfet du Doubs du 17 avril 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ainsi qu'un " récépissé avec droit au travail " dans un délai de huit jours à compter de cette même notification et, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation personnelle et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de cette notification sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le préfet a commis une erreur de droit en estimant que sa demande d'abrogation était irrecevable faute d'éléments nouveaux ;

- la décision de refus de titre de séjour porte désormais une atteinte disproportionnée au doit au respect de sa vie privée et familiale ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 avril 2021, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 septembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Picque, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante algérienne, née le 22 novembre 1962, est entrée en France régulièrement le 10 février 2018, en étant munie d'un visa court séjour. Le 6 avril 2018, elle a sollicité la régularisation de sa situation administrative, afin d'assister ses parents âgés qui résident en France. Par un arrêté du 28 juin 2018, le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le tribunal administratif de Besançon a rejeté le recours pour excès de pouvoir formé par Mme B... contre cet arrêté par un jugement n° 1802013 du 31 janvier 2019. Par un arrêt n°19NC01059 du 3 décembre 2019, l'appel de l'intéressée contre ce jugement a été rejeté. Parallèlement, le 16 avril 2019, Mme B... a demandé au préfet d'abroger l'arrêté du 28 juin 2018 et de régulariser sa situation administrative, en se prévalant de circonstances de faits nouvelles. Le 17 avril 2019, le préfet du Doubs a refusé de faire droit à cette demande et a invité Mme B... à se conformer à la mesure d'éloignement dont elle faisait l'objet. Mme B... fait appel du jugement n°1901210 du 28 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) L'administration est tenue d'abroger expressément un acte non réglementaire non créateur de droits devenu illégal ou sans objet en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à son édiction, sauf à ce que l'illégalité ait cessé ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. Il ressort des pièces du dossier que le père de Mme B..., qui a servi dans l'armée française, a un titre de reconnaissance de la Nation pour ses faits d'armes et est titulaire d'une carte d'invalidité à 100%, réside en France depuis 2009. Son épouse l'a rejoint dans le cadre du regroupement familial. Ils sont chacun titulaires d'une carte de résident. Né en 1932, le père de la requérante connaît d'importants problèmes de santé chroniques, notamment cardiaques et vasculaires, nécessitant un suivi médical très régulier. La mère de Mme B..., née en 1941, souffre d'une hypertension et de céphalées chroniques. Tous deux sont, en outre, atteints de syndromes anxio-dépressifs avec troubles du sommeil, anxiété généralisée et rumination morbide. Ces problèmes de santé s'accompagnent d'une perte importante d'autonomie pour les actes de leur vie quotidienne. Le père et la mère de la requérante relèvent respectivement d'un groupe iso-ressources (GIR) 2 (fonctions mentales partiellement altérées mais capacités motrices conservées) et 3 (autonomie mentale mais besoin d'aide pour les soins corporels). Postérieurement à l'arrêté du 28 juin 2018 par lequel le préfet a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme B... en assortissant cette décision d'une mesure d'éloignement, l'état de santé de ses parents s'est dégradé. Ainsi, le père de la requérante a subi deux interventions chirurgicales, en décembre 2018 et mars 2019, avec la mise en place de stents coronaires et d'une endoprothèse aorto bi-iliaque et, au mois de mars 2019, une maladie dégénérative a été diagnostiquée chez sa mère. Alors que l'assistante sociale du département du Doubs et les médecins qui suivent les parents de Mme B... ont toujours indiqué que sa présence aux cotés de ses parents était nécessaire pour leur apporter une aide adaptée, plusieurs certificats médicaux postérieurs au refus de titre séjour attestent que le soutien permanent de Mme B... à ses parents, familialement isolés en France, est devenu indispensable afin d'assurer tant leur prise en charge quotidienne qu'un suivi médical optimal, dans le cadre du maintien à domicile librement souhaité par eux avec l'assentiment de leurs médecins. Ces derniers estiment ainsi que la régularisation de la situation administrative de Mme B... devient urgente au regard de la vulnérabilité de ses parents. Dans ces circonstances particulières, compte tenu de la dégradation de l'état de santé des parents de Mme B..., âgés de 87 et 78 ans, le refus de lui délivrer un titre de séjour et la mesure d'éloignement prise à son encontre portent désormais au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée par rapport au but poursuivi. L'arrêté du 28 juin 2018 étant devenu illégal en raison de circonstances de faits postérieures à son édiction, le préfet était, dès lors, tenu, en application de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration précité, de l'abroger. La décision du 17 avril 2019 refusant d'abroger l'arrêté du 28 juin 2018 doit en conséquence être annulée.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 17 avril 2019 par laquelle le préfet du Doubs a refusé d'abroger l'arrêté du 28 juin 2018 refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination et, en conséquence, refusé de régulariser sa situation administrative.

Sur l'injonction et l'astreinte :

6. L'annulation de la décision du 17 avril 2019 implique nécessairement que le préfet abroge l'arrêté du 28 juin 2018. Compte tenu des motifs exposés au point 3, l'exécution de l'arrêt nécessite également de régulariser la situation administrative de Mme B... en lui délivrant un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Doubs d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte, n'y d'enjoindre à l'autorité administrative de munir l'intéressée un récépissé de demande de titre de séjour, lequel n'est délivré qu'en cas de première demande.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Bertin, conseil de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat d'une somme de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n°1901210 du 25 juin 2020 du tribunal administratif de Besançon est annulé.

Article 2 : La décision du 17 avril 2019 par laquelle le préfet du Doubs a refusé d'abroger l'arrêté du 28 juin 2018 refusant de délivrer un titre de séjour à Mme B..., l'obligeant de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Doubs d'abroger l'arrêté du 28 juin 2018 et de délivrer à Mme B... un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Bertin, avocat de Mme B... une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Bertin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs

2

N° 20NC03311


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03311
Date de la décision : 16/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Disparition de l'acte - Abrogation - Abrogation des actes non réglementaires.

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie PICQUE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-11-16;20nc03311 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award