La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/12/2020 | FRANCE | N°20NC02439-20NC02440

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 18 décembre 2020, 20NC02439-20NC02440


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F... E... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 22 août 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 2000031 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure d

evant la cour :

I. Sous le n° 20NC02439, par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F... E... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 22 août 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 2000031 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I. Sous le n° 20NC02439, par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 août 2020 et le 2 décembre 2020, M. A... F... E... D..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000031 du 18 juin 2020 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler l'arrêté contesté ;

3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une carte de résident, à défaut un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, à défaut de réexaminer sa situation et de lui remettre dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, l'injonction devant être assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à son avocate en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. E... D... soutient que :

En ce qui concerne le refus de séjour :

- la décision est insuffisamment motivée en ce que l'arrêté ne vise que l'article L. 313-11-11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors qu'il a également sollicité son admission au séjour en qualité de parents d'enfants français et au titre de ses 10 années de présence en France, ainsi que la délivrance d'une carte de résident ;

- l'arrêté a été pris à l'issue d'une procédure viciée : la commission du titre de séjour n'a pas été consultée, alors qu'il réside en France depuis plus de 10 ans ; il a été pris un an après l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ; cet avis ne lui a pas été spontanément transmis par le préfet ; il a été pris au vu d'un rapport médical incomplet et ne répondant pas aux exigences des textes ; les membres du collège ne figurent pas sur la liste des médecins de l'office publiée au Bulletin officiel du ministère de l'intérieur ; il n'est pas établi que l'avis a été émis de manière collégiale ; sa nationalité n'est pas mentionnée dans l'avis ; les signatures figurant sur l'avis sont des fac-simile numérisés, ce qui ne permet pas de vérifier l'identité des signataires, ni par suite de vérifier que l'avis a bien été émis par un collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

- le préfet a omis de statuer sur sa demande d'admission au séjour au titre de ses 10 années de présence en France ;

- contrairement à ce qu'a retenu le préfet, il résidait régulièrement et habituellement en France depuis 11 ans à la date de la saisine du tribunal, ses multiples déplacements au Tchad au courant des trois années précédentes étant justifiés par la nécessité d'assister sa mère, veuve depuis 2015, et souffrante ;

- il remplit les conditions pour se voir renouveler son titre de séjour en raison de son état de santé, ou délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le refus de séjour a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 313 11-11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : il est entaché d'une erreur de droit, dès lors que le préfet, qui pourtant connaissait son état de santé et sa situation de handicap, s'est cru, à tort, lié par l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ; le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation au regard de ces dispositions ; alors que son état de santé avait jusqu'alors justifié son admission au séjour, il n'est pas établi qu'il se serait subitement amélioré au point qu'un défaut de prise en charge médicale n'entraînerait plus pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il s'est au contraire aggravé et, en outre, il ne peut pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine où sa vie serait en danger et où il ne bénéficie d'aucun soutien familial et financier ;

- le refus de séjour a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-11-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : le préfet a omis de statuer sur ce fondement de sa demande d'admission au séjour ; il est père de deux enfants français et, contrairement à ce qu'a retenu le préfet, sur la base de lettres calomnieuses de son épouse, qu'il a refusé de produire devant le tribunal, il contribue à l'entretien et à l'éducation de ces enfants en fonction de ses ressources ;

- le refus de séjour a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : le préfet a omis de statuer sur ce fondement de sa demande d'admission au séjour ; il justifie d'une résidence régulière ininterrompue d'au moins 5 ans avec l'un des titres de séjour mentionnés à l'article L. 314-8, et, en outre, il perçoit l'allocation pour adultes handicapés et entre dans le cas prévu par le 2° de cet article ;

- le refus de séjour a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-11-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le refus de séjour est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour ;

- les dispositions des 4°, 6° et 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile y font obstacle ;

- il ne peut pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement dès lors qu'il peut prétendre de plein droit à la délivrance d'un titre de séjour ;

- l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- elle est illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour.

Par un mémoire, enregistré le 2 décembre 2020, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.

II. Sous le n° 20NC02440, par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 août 2020 et le 2 décembre 2020, M. A... F... E... D..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2000031 du 18 juin 2020 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. E... D... soutient que :

- l'exécution du jugement risque d'entraîner pour lui des conséquences difficilement réparables ;

- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée, n'a pas été précédée par un examen particulier de sa situation, est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation, et méconnaît les stipulations des articles 6 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... D..., ressortissant tchadien, est entré en France le 7 mars 2008 et a bénéficié, à compter du 29 octobre 2009, d'un titre de séjour en raison de son état de santé, régulièrement renouvelé ensuite entre mars 2013 et juillet 2014. Par un arrêté du 22 août 2019, le préfet du Bas-Rhin a refusé de renouveler ce titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné. M. E... D... relève appel du jugement du 18 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté, jugement dont il demande à la cour de prononcer le sursis à l'exécution et l'annulation.

2. Les requêtes susvisées, nos 20NC02439 et 20NC02940 étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. Il ressort des pièces du dossier que M. E... D..., arrivé en France le 7 mars 2008, y a épousé en 2014 une ressortissante française, avec laquelle il a eu deux enfants, nés le 18 juin 2016 et le 23 août 2018. Si le couple s'est séparé à l'été 2019, il ressort des éléments produits par M. E... D... que, dans la mesure de ses maigres ressources, il contribue depuis à l'entretien et à l'éducation de ses enfants. Du reste, le préfet n'a produit ni devant le tribunal, ni devant la cour, les courriers de l'épouse du requérant alléguant du contraire et que ce dernier conteste. Dans ces conditions, bien que le requérant ait un fils mineur au Tchad et y ait séjourné plus de deux ans entre 2016 et 2019 pour y prendre soin de sa mère, depuis décédée, eu égard à l'ancienneté et aux conditions de son séjour en France depuis 2008, il est fondé à soutenir que le préfet a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a refusé de l'admettre au séjour et que, par suite, il a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précité.

5. L'illégalité du refus de séjour emporte celle de l'obligation de quitter le territoire français prise sur son fondement, ainsi que celle de la décision fixant le pays de destination.

6. Dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par le requérant, celui-ci est fondé à demander l'annulation tant du jugement attaqué, que de l'arrêté contesté.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Eu égard au motif d'annulation retenu par la cour, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet admette au séjour M. E... D... en raison de ses attaches privées et familiales en France. Il ne résulte pas de l'instruction que ce dernier a sollicité, outre le renouvellement de sa carte de séjour temporaire en raison de son état de santé, la délivrance d'une carte de résident. Par conséquent, il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de délivrer à l'intéressé une carte de séjour temporaire d'une durée d'un an portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu de fixer à un mois le délai imparti au préfet pour déférer à cette injonction qu'il n'apparaît pas nécessaire d'assortir d'une astreinte.

Sur le sursis à exécution du jugement :

8. La cour se prononçant par le présent arrêt sur le bien-fondé du jugement du 18 juin 2020, les conclusions de M. E... D... tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur ces conclusions.

Sur les frais de l'instance :

9. M. E... D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me C..., avocate de M. E... D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 1 500 euros

D E C I D E :

Article 1 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 20NC02440 de M. E... D... tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2000031 du 18 juin 2020 du tribunal administratif de Strasbourg.

Article 2 : Le jugement n° 2000031 du 18 juin 2020 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 3 : L'arrêté du 22 août 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de renouveler le titre de séjour de M. E... D..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai est annulé.

Article 4 : Il est enjoint au préfet du Bas-Rhin de délivrer à M. E... D... une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera à Me C..., avocate de M. E... D..., la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me C... à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 6 : Le surplus des conclusions de M. E... D... et de Me C... est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Me C... pour M. A... F... E... D... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

N° 20NC02439 et 20NC02440 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC02439-20NC02440
Date de la décision : 18/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. REES
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : MENGUS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-12-18;20nc02439.20nc02440 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award